Les raisons de se reconvertir sont nombreuses et elles se déclinent en deux catégories: celles qui font émerger le désir de reconversion et celles qui en sont les moteurs. C’est cette seconde catégorie qui nous intéresse aujourd’hui: l’impulsion, l’énergie dynamique qui donne et entretient le rythme et le souffle tout au long du parcours de reconversion.
Eperon ou impulsion, quel moteur pour la reconversion?
Le Bourrin Basque devient un poil trop vieux pour servir encore de métaphore professionnelle, mais l’équitation est un sport intelligent et complexe qui s’y prête parfaitement, alors je vous en sert une là, sur le comptoir, avant de nous mettre en selle vers des horizons professionnels heureux…
“Calme, en avant et droit” dit le motto du Cadre noir, noble institution de l’équitation française. La caractéristique majeure de l’équitation, c’est l’impulsion, le désir du cheval de se porter en avant et donc l’énergie qu’il va mettre dans chacun de ses pas, quelle que soit l’allure ou la nature de l’exercice, et dans l’entretien d’une cadence régulière. C’est aussi “l’énergie et la vibration avec lesquels le cheval se donne et travaille (…) avec constance et plaisir”*
Ramenée à nos vies professionnelle, l’impulsion est une force de mouvement mêlée d’envie ou d’enthousiasme sereins, celle qui nous fait avancer, le moteur de nos projets. Comme pour les chevaux, elle peut être naturelle ou construite et elle s’auto-alimente. Devoir l’entretenir mécaniquement “n’est que gesticulation et gymnastique inutile!”*
Dans le cadre d’une reconversion, elle est donc une raison d’être inspirante et porteuse à ce changement de métier. Pour nous entendre sur la nature de cette impulsion, commençons par la définition des raisons de la bifurcation professionnelle et distinguons tout d’abord ce qui déclenche le désir de reconversion des moteurs de la reconversion :
1- Les raisons du désir de reconversion : Les raisons qui font poindre un désir de reconversion – ennui, désintérêt, relations difficiles, perte de sens, licenciement, difficulté à trouver un emploi ou encore « dynamiser sa carrière » pour reprendre des expressions un peu tarte (à la crème) etc. s’inscrivent souvent dans ce dont on ne veut plus et ne mènent pas nécessairement à changer de métier. D’ailleurs, dans 25 à 40% des cas, le job crafting, ou l’adaptation de la fonction à soi-même et à ses propres aspirations permet de renouer avec la satisfaction professionnelle et le plaisir au travail, parfois au travers d’une simple transition comme un changement de poste ou d’entreprise. Nous avons détaillé les raisons du désir de reconversion dans la série Déterminer s’il est temps de changer de métier. Elles sont l’éperon du changement de métier, pas l’impulsion.
2- Les moteurs de la reconversion Les raisons de la reconversion, quant à elles, sont les motivations qui vont la porter jusqu’à sa concrétisation. Lorsque le job crafting n’est pas la réponse appropriée et qu’il y a reconversion derrière, ces raisons se transforment et évoluent vers les motivations réelles de la reconversion : ce à quoi les candidats aspirent, les désirs qu’il chercher à combler qui sont l’expression spécifique de besoins professionnels génériques. Ici, ce sont bien ces motivations qui nous intéressent. Ainsi avoir davantage de reconnaissance, gagner plus d’argent ou un patron juste bon à fourrer dans un bocal à con peuvent déclencher un désir de changer de métier, mais ils ne seront pas des moteurs de reconversion.
L’impulsion de la reconversion, celle qui en maintient la cadence et la motivation, ce sont donc ses raisons réelles, quand on passe au delà des déclencheurs de son désir. Elle est le moteur qui participe du pourquoi des trois dimensions de la reconversion qui sont les piliers de sa mise en oeuvre et de sa concrétisation car elles nourrissent les besoins émotionnels. Voir:
6 moteurs du changement de métier
Au vu de cette distinction il devient évident que je parle ici de reconversions réelles, à savoir des changements de métiers en cours et non pas de déclaration d’envie ou d’intention, ou encore de simples changements de secteur, comme c’est malheureusement le cas dans trop d’études, ce qui fausse considérablement la vision du changement de métier. Ainsi, selon une étude Opinionway, 88% des salariés se disent prêts à suivre une formation pour un secteur qui recrute, 66% des actifs ont déjà envisagé de changer de métier et 33% veulent le faire dans les trois ans à venir et 60% des actifs déclarent avoir déjà effectué un “changement d’orientation”.
Les personnes qui se lancent dans une reconversion (donc non pas d’identification du projet, mais bien, en aval, dans la concrétisation du projet) sont en général mues tout au long de leur parcours par un ou plusieurs des 6 moteurs suivants, intimement liés à la relation qu’ils entretiennent à la vie professionnelle et à leurs valeurs motrices, bref, à un métier qui parle à leurs tripes. Ce sont des moteurs qui les mettent en mouvement et qui participent de l’entretien de ce mouvement et du maintien de l’énergie tout au long de l’itinéraire de reconversion: ils sont une promesse de vie professionnelle plus réjouissante et plus roborative. Sans cette impulsion, le cheval s’écrase sur ses épaules, perd en fluidité de mouvement, en équilibre, il se contracte, prend l’allure traînante du désengagement et de l’absence de motivation…
Ces moteurs sont donc des forces au sens physique et mental du terme, le système de propulsion du parcours de reconversion et les valeurs motrices qu’ils honorent ainsi que les aspirations professionnelles (expression personnelle des besoins professionnels) auxquelles ils répondent en sont le carburant. La conjonction des trois, associée aux compétences relationnelles et à la capacité à engranger des vitamines mentales débouche sur des reconversions zen et dynamiques à la fois, avec des candidats capables d’aborder les obstacles lorsqu’ils se présentent, de traiter les coups de mou et les éventuelles difficultés, toujours “calmes, en avant et droits”, parce qu’un cheval qui tortille de la croupe devant l’obstacle aura du mal à le franchir;)
1- Un métier qui a du sens
Plus que le métier d’ailleurs, c’est avoir une vie professionnelle qui a du sens qui importe. Evidemment, se pose la toute la question de la définition du sens qui se pose et contrairement à beaucoup d’idées un peu trop ancrées, nul besoin de “se consacrer aux autres” ou de « faire dans le social » pour identifier une voie de reconversion qui a du sens. Celui-ci sourd d’une articulation harmonieuse entre sentiment de contribuer à quelque chose d’important, désirs professionnels, valeurs motrices, talents naturels, tâches et job crafting pour s’assurer l’adaptation à soi du métier. Leur conjonction crée le sentiment d’un job satisfaisant, inspirant, motivant, réjouissant.
Ce désir de sens est très fréquent chez les candidats à la reconversion, autant d’ailleurs chez ceux qui ont une carrière (souvent brillante) derrière eux mais ne supportent plus les conditions délétères dans les grandes entreprises : pression, sentiment d’être un pion, objectifs inatteignables, relations difficiles, ambiance lourde, manque de reconnaissance, etc. que ceux pour qui il a suffi de se frotter quelques mois à la vie professionnelle pour se rendre compte que ce qu’ils font ne leur convient pas. Le sens est le moteur puissant, élégant, l’impulsion qui surpasse et améliore toutes les autres, celle du pur sang arabe.
2- Mieux concilier vie professionnelle et vie privée (Travailler moins et vivre mieux)
Tendance grandissante depuis 30 ans et qui ne cesse de prendre de l’ampleur, qui n’a pas du tout été inventée par la génération Y, mais par ceux, présents à chaque génération, qui ne se reconnaissent pas dans une définition classique de la réussite version carrière linéaire faite d’échelons et de promotions. Soit parce qu’ils s’intéressent à beaucoup de choses et veulent du temps à pour des activités non professionnelles, soit parce qu’ils sont moins intéressés par l’argent que par la qualité de vie (toutes générations confondues), soit pour consacrer plus de temps à leurs enfants (forcément génération Y, hommes ou femmes d’ailleurs), soit tout simplement parce qu’il y a une vie après le travail.
Travailler moins pour vivre mieux et vivre plus, voilà qui est évidemment parfaitement compatible avec un métier générateur de plaisir et qui a du sens. Très peu de candidats mus par le moteur de conciliation des temps de vie choisissent des métiers qu’ils trouvent peu intéressants ou purement alimentaires.
Cela se traduit souvent par une acceptation de la perte de revenu souvent inhérente à des vies professionnelles auxquelles on consacre moins de temps. On voit ainsi de plus en plus d’entrepreneurs choisir de limiter leur chiffre d’affaire plutôt que de renoncer à une vie personnelle digne de ce nom. C’est l’impulsion sereine du Mérens qui sait se préserver.
- Les deux syndromes de la chambre d’hôte
- Se reconvertir pour mieux concilier vie personnelle et vie privée
3- Le plaisir au travail
La vie professionnelle est trop longue pour s’emmerder au boulot et prendre du plaisir aux tâches inhérentes au métier, travailler dans une ambiance détendue, entretenir de bonnes relations à ses collègues bref, toutes les nuances du plaisir au travail sont un moteur majeur du changement de métier. Travailler mieux pour vivre mieux, en somme. Cependant, le plaisir au travail peut se révéler un vieux canasson bougon: il n’y a pas de métier qui rend heureux par nature, c’est le sens qu’on lui donne et l’adaptation régulière de ses conditions d’exercice à soi-même, en fonctions de nos propres désirs et aspirations, qui vont garantir un plaisir durable. Il est donc essentiel de faire le point sur l’expression personnelle des catégories de besoins professionnels pour mettre en oeuvre ce job crafting, qui peut être d’ailleurs aller jusqu’à réinventer complètement des métiers, en prenant conscience qui nous prenons bien trop des habitudes pour des “impératifs”. Le plaisir au travail est une impulsion adaptative et réactive, joyeuse et entreprenante, une impulsion de poney de polo. Voir:
- Réinventer son métier pour se libérer
- Job crafting: devenir l’artisan de son propre plaisir au travail
4- Le désir d’accomplissement de soi, de « réalisation » professionnelle
Difficile de trouver une définition de l’accomplissement de soi qui ne ramène pas simplement à Maslow. Je vous donne donc quelques éléments glanés ici ou là, y compris dans les paroles de mes clients. Pour beaucoup, le sentiment de s’être accompli professionnellement passe davantage aujourd’hui par l’exercice d’un métier en harmonie avec ses valeurs, d’une métier qui génère du plaisir et qui a du sens que par l’accession à des postes à responsabilité, qu’ils sont souvent en train de fuir!
Se réaliser, dans l’imagerie de nombreux candidats à la reconversion, s’est aussi “exprimer son potentiel”, c’est à dire exercer un métier qui va leur permettre de conjuguer leurs talents naturels, leurs aptitudes, les compétences qu’ils apprécient. C’est aussi l’idée d’un métier librement choisi, fruit d’une réflexion sur soi et sur son propre roman de vie, d’une connaissance de soi solide et d’une estime de soi qui libère le potentiel plutôt qu’elle ne contraint, qui libère des héritages, des croyances et des influences.
Chez Maslow, l’accomplissement de soi est un besoin fondamental lié au sens de la vie, qui se traduit par un sentiment de plénitude proche du flow de Csikszentmihalyi, c’est à dire un état optimal de motivation intrinsèque qui provoque une expérience intense faite de joie, de sentiment d’être vivant, d’exister pleinement, de compétence, de liberté.
Chez Robert Misrahi, il y a une notion de processus qui amène à un état d’esprit dans lequel ” je ne vais plus avoir peur de mourir, je ne vais plus me lamenter de mon déterminisme, je ne vais plus me sous-estimer, je ne vais plus entrer en guerre pour disputer à autrui ce qu’il possède ou convoite.” On peut alors accomplir son désir en tant que manque dynamique qui va mener à l’action, puis la complétude et la joie.
Chez Ostad Elahi, il s’agit de dépasser les pulsions et passions, les désirs avides, car la possession et l’avoir ne peuvent créer les conditions du bonheur. On peut alors s’approcher de sa propre essence et du bien agir ce qui permet d’accomplir son humanité.
Etre destin auto-défini et mission de vie, le désir de réalisation de soi est un puissant moteur parce qu’il touche à une spiritualité individuelle logée au cœur de la personne, aspiration ultime car sentiment de complétude, de raison de vivre et d’être. L’accomplissement de soi est un moteur brillant, altier et courageux d’Andalou.
5- Vivre sa passion
Personnellement, je n’aime pas beaucoup le terme « passion » que je trouve bien trop fort et bien trop connoté obsession. Un métier passionnant n’est pas toujours un métier passion (je n’ai pas de passion pour le coaching mais je trouve ce qu’il me permet de faire passionnant). Cependant, une part des personnes en reconversion a choisi de transformer une passion en métier, entendons par là une activité à laquelle ils consacrent beaucoup de temps depuis longtemps et qu’ils aiment suffisamment pour avoir envie d’en faire leur quotidien professionnel. Ces candidats à la reconversion sont en général ceux qui ont le moins besoin d’accompagnement car une fois que le projet est identifié, la partie opérationnelle du projet est la plus facile à définir.
Attention cependant, c’est un moteur efficace et vif, mais aussi ombrageux qu’un pur sang: la passion est parfois soluble dans la professionnalisation et l’idéalisation du métier est malheureusement un classique dans ce genre de bifurcation.
6- Se mettre à son compte
Entre les discours “demain tous entrepreneurs”, l’uberisation galopante et l’entrepreneuriat présenté comme solution à “la crise”, l’envie d’indépendance se fait de plus en plus fréquente. C’est le moteur le plus ambigu et le plus multi-facettes de tous. Ambigu car trop souvent lié à l’illusion qu’à son compte on n’a pas de patron, parce que c’est un moyen de se “débarrasser de tous ces cons”. L’entrepreneuriat demande pourtant son lot de compétences relationnelles, de doigté, de capacité à réseauter. Aussi parce que parfois, plus qu’un moteur en soi, entreprendre représente plutôt l’un des moyens d’expression des moteurs cités plus haut ou la condition de leur réalisation.
De façon générale, ce n’est pas être son propre patron qui est un moteur. Les motivations données dans les sondages sont souvent les déclencheurs, leur formulation en fait des motivations de surface et la vraie motivation est à chercher dans les bénéfices que cela comporte aux yeux du candidat à la reconversion.
L’impulsion réelle vient le plus souvent du désir de liberté, d’autonomie, d’être aux commandes. Pour beaucoup, être son propre patron signifie avoir la liberté vendre les produits qu’ils veulent et comme ils le veulent, de porter leurs propres projets, de contribuer d’un bout à l’autre de la chaîne. Pour d’autres, le désir d’entreprendre soit en créant soit en reprenant une entreprise peut être aussi mu par l’intérêt qu’on porte au pilotage, à la stratégie d’entreprise, plus qu’à la nature du produit ou encore au désir de se débarrasser d’une hiérarchie parfois jugée incompétente ou trop contraignante. Pour certains, le besoin d’autonomie s’accommode mal des tâches et missions réparties de façon hiérarchique. Pour d’autres, la variété des tâches inhérentes à la fonction d’entrepreneur répond à leur multipotentialité
Souvent, faire vivre une entreprise est étroitement lié au sentiment de réussite professionnelle, quelle que soit la nature de l’activité et la taille de l’entreprise: être entrepreneur est un accomplissement professionnel en soi. Au final, se mettre à son compte est une impulsion forte et tenace, une impulsion de traction, bref, de Frison.
Au final, tous ces moteurs combinés donnent une impulsion puissante, joyeuse, élégante, brillante, courageuse, infatigable, efficace, ombrageuse … de bourrin basque;)
Et vous, votre reconversion a été, est ou sera plutôt Frison, Pur sang, Poney de polo?
Comment s’expriment vos moteurs?
Comment vont-ils être l’impulsion qui va contribuer à l’énergie nécessaire à votre itinéraire?
Et si vous avez mené une reconversion, comment y ont-ils contribué?
Sources:
L’art de monter à cheval – Bernard Chiris
Vivre : la psychologie du bonheur – Mihály Csíkszentmihályi
La théorie de la motivation – Abraham Maslow
La vraie joie – Robert Misrahi
“Nous sommes source de signification et de liberté” – L’Express
Bonheur et accomplissement de soi – Leili Anvar
Crédit photo: Wikimedia Commons
“Cadre noir – Nadège Bourdon et Rapsodie 11” – Alain Laurioux CC BY-SA 3.0
“Cadre noir – saut au piquet” – Alain Laurioux CC BY-SA 3.0
“Cadre noir – cheval au trot” by Alain Laurioux CC BY-SA 3.0
« Friesian Stallion » – Larissa Allen – CC BY-SA 3.0
« Pas espagnol » – Realinou – CC BY-SA 3.0
« Air Jihad 19991031C1 » – Goki – GFDL
“Mérens cluny101” – Eponimm – CC BY 3.0
« ZarifeElMansour » – CoralieM – CC BY-SA 3.0
« Polo 070922 16 » – Own work – CC BY-SA 3.0
Pour ma part, je suis un Frison (enfin… un Tinker, si je puis choisir la race), qui aurait croisé la route d’un poney de polo (ou d’un Islandais) 🙂
Bel article, qui me parle beaucoup, merci !
Belle comparaison : même si je ne fais pas de cheval, c’est parlant et poétique !
En tant que professionnelle de l’accompagnement à la création d’entreprise, j’aurai beaucoup d’autres motivations à rajouter pour le point 6 : souvent se mettre à son compte s’impose comme une évidence quand des choses importantes nous touchent. Le décès de proche, la naissance d’un enfant en font aussi partie et peuvent être puissant sur le long terme car on veut pouvoir construire un autre modèle pour sa famille, vivre autrement, etc. Il y en a d’autres bien-sûr ..
Comme c’est mon premier message de l’année, j’en profite pour te souhaiter mes meilleurs vœux.
Bien à toi
Antonella
Le décès d’un proche ou la naissance d’un enfant sont des déclencheurs et effectivement, le vivre autrement peut être un moteur, en particulier quand il est clairement défini: vivre comment, exactement? Merci pour l’ajout Antonella et bon année à toi aussi!