Nous avons déjà évoqué la façon dont les métiers se créent de façon inattendue, par pollinisation croisée d’appétences et de sources d’intérêt. Automatisation oblige, je vous propose aujourd’hui de nous saisir de drones – robotisation oblige;) – pour observer comment les métiers se conservent et comment les rendre durables à une époque où leur hybridation s’accélère.
L’accélération de l’automatisation
J’ai été conviée par l’Agora des dirigeants à venir parler d’évolution des métiers avec Bruno Teboul, vice-président du cabinet de conseil en innovation Keyrus, membre de la chaire digitale à l’Ecole polytechnique et enseignant chercheur à Paris-Dauphine.
Dans son intervention, Bruno Teboul a insisté sur l’obsolescence des théories de Schumpeter ou Sauvy selon lesquelles à chaque phase de robotisation, des métiers disparaissent et d’autres apparaissent, déplaçant l’emploi et les revenus sans nécessairement les détruire. Selon sa vision, la spécificité de notre époque est une automatisation massive et en voie d’accélération avec un déplacement bien moindre des activités professionnelles et surtout une première, la disparition de métiers cols blancs, jusqu’ici épargnés, et dont on n’aurait pas imaginé l’automatisation il y a seulement quelques années. Son constat est alarmant, d’aucuns diront alarmiste, et on peut freiner des quatre fers à l’idée de devoir réfléchir à l’avenir de son métier (celui qu’on exerce comme celui qu’on désire exercer). Cependant, les progrès technologiques et l’accélération fulgurante des mutations du travail et de l’automatisation méritent qu’on s’intéresse de près à la pérennité de nos métiers, qui est de moins en moins assurée.
Hors hybridation, point de salut !
Qu’on soit dans une logique de reconversion, pour s’éviter de foncer tête baisser dans un métier en voie d’obsolescence ou de plan de carrière, pour s’éviter la ringardisation, ou encore qu’on soit entrepreneur pour s’éviter le produit/service en désuétude et inversement s’assurer durabilité et/ou employabilité, il devient crucial de comprendre les enjeux des évolutions des métiers d’une part et de s’intéresser à l’hybridation, qui ressemble de plus en plus à la seule option contre l’obsolescence programmée de nos compétences professionnelles. Selon France stratégie, une approche par compétences et non plus par métier rend les prévisions d’automatisation beaucoup plus limitées, aux environs de 15%, en raison d”une transformation du contenu des métiers qui se recentre sur les tâches les moins automatisables par une hybridation avec les compétences numériques et sociales.
Quand on parle d’hybridation, on pense évidemment avant tout au digital et aux mines d’opportunités que les métiers émergents du secteur ont générées, souvent au confluent de compétences à l’origine très éloignées : technologiques, commerciales, stratégiques, juridiques etc. la transdisciplinarité étant le creuset de l’évolution des métiers. Mais cette transdisciplinarité est aussi un enjeu majeur de la pérennisation des métiers dans tous les autres secteurs, qui viennent d’ailleurs s’hybrider de compétences numériques et technologiques.
Il semble aussi que les hybridations spectaculaires récentes ait donné des métiers éphémères, à durée de vie limitée et qui nécessitent de se réinventer en permanence. Ainsi les community managers ont greffé d’autres compétences – création de contenu, compréhension globale et détaillée de l’entreprise, gestion de l’information – pour au final céder la place aux social managers, à mesure que chacun devient community manager de lui-même. Avec un périmètre plus vaste et des compétences encore plus hybrides.
L’art (équestre) de l’évolution des métiers
Alors pour explorer la conservation longue durée d’un métier à l’heure de l’obsolescence programmée, à nos drones, survolons un métier qui résiste depuis 15 à 25 siècles : le métier de maréchal ferrant. Face au chaos annoncé de nos métiers, il fallait bien un fer à cheval (blague mathématique;)
Depuis l’hipposandale romaine au fer retrouvé dans le tombeau de Childéric, roi mérovingien mort en 481 en passant par l’embatai grec, le soin apporté aux pieds des chevaux n’en fait peut-être pas le plus vieux métier du monde, mais pas loin. Ce métier s’est conservé non pas dans le cadre noir de la saumure (blague équestre), mais par ses évolutions.
Pour tout vous dire, l’idée de parler de ce métier m’est venue d’un article sur l’évolution du monde du travail qui parlait des métiers insolites, désuets, en voie d’obsolescence et y mettait gaiement maréchal ferrant. L’affaire m’a désarçonnée: dans un pays ou l’équitation concerne 600 000 licenciés et 2 000 000 de cavaliers, où les courses sont une institution, un pays qui est le quatrième producteur mondial de chevaux et a près d’un million de chevaux sur son territoire, le métier de maréchal ferrant n’a rien d’insolite! C’est même un métier en plein essor: ils étaient 1700 en 2011 contre 300 quarante ans plus tôt!
Mais le fait qu’il résiste au temps et connaisse un renouveau d’ampleur après la motorisation des exploitations agricoles et la diminution drastique du nombre de chevaux de trait en fait-il un métier pérenne ? Voilà donc un métier phénix qui s’est beaucoup renouvelé :
– Il s’est réinventé : dans des temps anciens, on amenait ses chevaux à la forge. Ensuite, les maréchaux sont devenus mobiles
– Il s’est spécialisé – déshybridé, en quelque sorte 😉 : jusqu’au 18ème siècle, les maréchaux étaient aussi soigneurs et auparavant ils étaient aussi forgerons)
– Il a évolué : par exemple avec l’apparition de ferrure orthopédiques en 19ème
– Il s’est adapté : la disparition des chevaux de trait et l’augmentation des chevaux de sport et de loisir, ont profondément impacté les pratiques
– Il s’est professionnalisé (Depuis 1997, il faut au moins le CAPA ou le BEPA activités hippiques, option maréchalerie).
– Et puis il s’est réhybridé et réinventé à en épousant la technologie et l’innovation : utilisation d’amortisseurs, d’alliages, de matériaux et demande une connaissance anatomique et biomécanique du cheval ainsi qu’un travail en collaboration avec les vétérinaires et les ostéopathes. Et création de contenu sur internet: billets, posts sur les réseaux sociaux, photo, vidéo.
Voilà un panorama qui penche en faveur d’un métier d’avenir, assurément, la passion du cheval n’est pas près de se tarir et le métier évolue avec son temps. Sauf que.
– Une tendance émergente est celle des chevaux non ferrés et du parage naturel, par exemple en favorisant le travail sur des sols adaptés. C’est peut-être mauvais signe.
– Oui, mais pour l’instant, c’est plutôt une tendance de bobos bios, ce n’est pas une grande menace.
– Et puis le milieu du cheval est certes passionné d’innovation mais aussi trèèès conservateur, il y a peu de chances pour que les chevaux de compétition et de course passent à l’absence de ferrure avant un bon bout de temps. tout va bien pour le métier.
– Sauf que la jumenterie de reproduction a baissé de 40%
– Oui mais avec 57 000 poulains nés chaque année, ça laisse un paquet de chevaux à ferrer.
– Sauf que seulement 30% sont des chevaux de compétition et que les autres sont de plus en plus susceptibles de vivre sans fers.
– Et puis la proportion de chevaux en retraite, potentiellement au pré et non ferrés, augmente et que leur coût d’entretien limite l’achat de jeunes chevaux de remplacement pour les propriétaires.
L’art d’hybrider son métier
J’arrête là, vous l’avez compris, ce métier est un exemple criant de la difficulté à prédire son avenir et sa pérennité et de l’accélération de ses évolutions. Il montre que les métiers durables ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval et que chaque métier, même le moins automatisable, même déjà adapté et hybridé est au cœur d’un écosystème très complexe qui rend nécessaire d’être très à cheval sur une veille régulière et attentive pour anticiper les évolutions et flairer les tendances, de façon à orienter les hybridations professionnelles dans plusieurs situations et ne pas rester coincé(e) entre le marteau de l’automatisation et l’enclume des métiers figés dans la naphtaline. Et ce dans toutes les situations professionnelles:
Logique de bifurcation : désir de reconversion
Changer de métier est un processus suffisamment long pour s’éviter de s’engouffrer dans des métiers en voie de disparition ou de choisir une voie sans avoir fait le tour du secteur, de ses tenants et aboutissants, de façon à construire un projet adaptatif qui intègre l’hybridation et s’oriente en fonction des appétences et des évolutions.
Logique de carrière : rendre son métier durable
En développant sa transdisciplinarité par la greffe des compétences qui le rendent plus difficiles à automatiser. On pense à l’association de compétences technologiques et business, tendance forte dans les grandes entreprises, on pense aux compétences numériques, mais n’oublions pas les compétences humaines, relationnelles, informelles (la pensée critique par exemple), les neurosciences.
Logique d’appétence : inventer de nouveaux métiers
Cette création de nouveaux métiers se fait à l’intersection d’appétences issues d’un métier qu’on aime et de sources d’intérêts variés. C’est ainsi qu’au confluent de l’intérêt pour la vie naturelle du pied et les compétences en maréchalerie est né un nouveau métier : podologue équin. Et qu’au confluent de l’innovation et de la préoccupation du bien-être est né un nouveau secteur, celui de l’ingénierie équestre. Et qu’aux confins de la biomécanique équine et du bien-être est né le métier d’osthéopate équin, et plus récemment de masseur.
L’hybridation n’est certainement pas chose nouvelle : à l’époque où les tracteurs ont remplacé les chevaux, les agriculteurs ont aussi acquis, souvent sur le terrain, des compétences en mécanique, ce que l’on appelle généralement une adaptation. Cependant, on peut probablement distinguer l’adaptation de l’hybridation en ce que la seconde est potentiellement davantage qu’une logique de survie dans le métier : c’est un choix à la fois stratégique et délibéré, dans une double logique de durabilité et de plaisir au travail, puisqu’elle est motivée par un goût prononcé pour la compétence ajoutée.
L’art de l’hybridation débridée pour multipotentiels patentés
J’en avais déjà parlé, l’hybridation est une solution en or pour les multipotentiels qui ont un grand besoin de stimulation intellectuelle et de variété des tâches, parce qu’elle leur permet une vie professionnelle plus adaptée à leurs aspirations. Il s’agit pour eux non plus de trouver « leur voie », l’idée la plus tarte (à la crème) – et la plus obsolète – du XXIème siècle, mais d’identifier une direction professionnelle qui va être constamment en mouvement et s’orientée de façon débridée en fonction des évolutions des métiers, mais aussi des appétences des professionnels et des opportunités qu’ils choisiront de saisir. C’est la raison pour laquelle l’orientation va se faire dans le mouvement, par petites touches, en mode impressionniste.
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Dans la foulée – et dans un second billet – nous verrons comment être en veille sur un métier, car pour ne pas retrouver sa vie professionnelle les quatre fers en l’air, mieux ne pas avoir les deux pieds dans le même sabot 😉
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Aller plus loin
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