Même si l’intérêt des entreprises pour le plaisir au travail s’accentue, même si elles sont de plus en plus nombreuses à mettre en place des mesures allant dans ce sens, pour le travailleur lambda, quel que soit son niveau dans la hiérarchie, ce n’est pas le sentiment de nager dans les eaux limpides et azuréennes du bonheur qui prime. Vie au boulot, voyage dans le marigot? Allez, hardis petits, laissons les marécages, les cloaques et construisons des sources, des fontaines!
Salariés, entrepreneurs: déni de plaisir et cafetière trop pleine
De façon générale, les salariés se sentent pris dans un étau d’exigences, de contraintes, de rigidité, d’incompréhensions, de relations pourries, d’ambiance délétère, d’ennui ou de stress, d’aspirations remises au placard. Un joli tableau qui donne bien plus d’aigreurs d’estomac que d’envie de croire qu’il est possible de se faire plaisir au travail ou de sentiment qu’au delà des discours marque employeur, la hiérarchie s’intéresse réellement à eux.
De même pour les entrepreneurs, convaincus que les contraintes qu’ils s’imposent sont inhérentes à leur métier et qu’ils n’ont pas tellement le loisir de faire autrement. Et qui, bon an mal an, bossent sans relâche et sous la pression constante, un œil sur un chiffre d’affaire parfois en dents de scie, l’autre sur une clientèle pas toujours simple à satisfaire et aucun sur eux-mêmes. Ils sont bien loin le plaisir, la motivation et l’ivresse qui les ont poussé à la création…
Ce voile pudique tiré sur le champ des possibles, au nom d’un réalisme fataliste (qui pare de raisonné-raisonnable un pessimisme immobiliste), gonflé aux discours moroses et nourri à la résignation cultive avec soin le déni de plaisir: il bride l’imagination, muselle toute velléité de changement sans même en évaluer la faisabilité, met à mort l’électron libre en chacun de nous (et après, on voudrait qu’on soit créatifs^^). On est pas là pour rigoler, L’oncle Alfred le répète depuis toujours, il avait raison, le vieux bougre, et voilà que nous en faisons la triste expérience. L’auto-avortement du plaisir au travail est une sorte de réponse automatique d’absence du bureau d’une cafetière trop pleine qui ne sait plus ou donner du goulot.
Plaisir au travail: le courage de l’exploration avant les conclusions!
Mais la bonne nouvelle, c’est qu’aucun d’entre nous n’est condamné à un job au mieux incolore et inodore, au pire à un quotidien professionnel asphyxiant et annonciateur d’aller simple vers le burnout: le plaisir au travail peut se redécouvrir et se réimplanter pas à pas, pour peu qu’on s’autorise un peu d’estomac: l’intrépide optimiste qui avance ira toujours plus loin que les cassandres apathiques.
Il y a mille bonnes raisons de se mettre au job crafting et de partir à la conquête de son propre plaisir au travail, nous en avions vu quelques unes dans le billet Job crafting, devenir l’artisan de son plaisir au travail. Gardons en tête que c’est avant tout jubilatoire et bon pour l’estime de soi autant que pour la performance. Une fontaine de jouvence pour nos âmes fatiguées par des boulots déshumanisés!
Et souvent pas si compliqué à mettre en oeuvre, le plaisir au travail se conçoit en architecte, se façonne en maçon, se sculpte en artiste. Dépasser les idées reçues et accepter d’aller explorer le vaste territoire des possibles en dépit des pisse-froids, demande plus de courage que la mise en oeuvre des changements. La transformation en oeuvre d’art devient assez naturelle lorsqu’on a identifié les outils nécessaires, les pistes potentielles. Partons donc à la découverte de cette marge de manœuvre et des moyens concrets d’activer des changements réjouissants.
Réalisme fataliste et attentes passives vs marge de manoeuvre
La morosité vis-à-vis du quotidien professionnel génère des croyances nées des interprétations des situations ou des comportements des uns et des autres qui nous ancre dans l’attente passive d’un miracle dont on se doute qu’il n’aura pas lieu.
- Abdel, ingénieur commercial : « Jamais mon boss n’acceptera de me donner un peu plus d’opérationnel et un peu moins d’administratif. Depuis le temps, il sait parfaitement que je préfère l’opérationnel et ne m’en a jamais confié davantage. » Et Abdel n’a jamais été voir son chef pour lui faire part clairement et simplement de se préférence et y ajouter une demande directe. Sa certitude que son chef sait est une interprétation. Il est donc possible que son chef soit un abruti, mais il est tout autant possible qu’il n’ait pas conscience de la situation et donc aucune raison de la changer.
- Sophie, webmaster : Je dois me montrer ultra réactive et répondre aux demandes des clients dans les plus brefs délais pour les fidéliser et leur prouver mon professionnalisme. Résultat, sous les injonctions pas toujours aimables de ses clients, Sophie se retrouve à bosser le soir et le week-end. Croyant les satisfaire, elle leur envoie surtout le message qu’elle est corvéable à merci, petit soldat répondant au doigt et à l’œil à toutes leurs exigences. Elle y perd en plaisir, ils y perdent en respect pour elle… et deviendront de plus en plus exigeants.
Dans ces deux cas, la marge de manœuvre, bien que masquée par des convictions erronées, est assez considérable. En vertu du principe que la meilleure façon de ne rien obtenir est de ne rien demander, si Abdel reste dans le silence, la situation ne changera pas. Il n’y a à peu près qu’en se décidant à parler de son mal-être et de ses envies à son chef qu’il a des chances d’être entendu.
Quant à Sophie, en continuant à se positionner comme corvéable à merci, c’est comme ça qu’elle sera traitée. Si elle définit les plages horaires précises auxquelles elle est joignable et s’y tient, si elle apprend à éteindre son téléphone ou à ne pas y répondre en dehors de ces plages, ses clients apprendront à la joindre quand elle est disponible et seront bien moins tentés de l’appeler à 23h le vendredi soir, parce qu’ils viennent d’avoir une idée forcément brillante sur laquelle ils exigent qu’elle planche d’ici lundi 9h (pour un projet qui verra le jour dans 6 mois).
Tous des jobs crafters !
Comme le soulignent les études sur le job crafting, quels que soient la position hiérarchique, le statut, la fonction ou la nature de notre emploi (salarié ou entrepreneur) nous sommes tous en mesure d’apporter des adaptations significatives en termes de plaisir au travail, de motivation et d’efficacité génératrice de satisfaction, pour peu que nous en ayons l’envie. J’ai eu l’occasion de travailler avec des profils très variés et tous ont gagné, parfois de façon considérable, en bien-être, en contentement, en sentiment d’être heureux dans leur travail:
- Le directeur marketing d’une banque, la directrice commerciale d’une SSII, le DRH d’une ETI, deux PDG de PME
- Des ingénieurs, chefs de projet, managers, ingénieurs commerciaux
- Une assistante sociale, un technicien
- Une musicienne, un ingénieur du son, une enseignante, un formateur
- Des hauts fonctionnaires, un chef de service hospitalier, un chirurgien
- Un avocat d’affaires, un analyste financier
- Des freelances et professions libérales (une décoratrice, un infographiste, un informaticien, une infirmière, des consultants, un ergothérapeute etc.)
En d’autres termes, nous avons tous la possibilité d’être des job crafters, au bénéfice d’un quotidien professionnel agréable.
Rappelons à toutes fins utiles qu’il n’y a pas de vérité universelle, secret magique du plaisir au travail, les besoins sont individuels et toutes les pistes d’amélioration doivent être personnalisées. Les injonctions classiques du type “faire en sorte d’avoir une tâche sympa par jour” ou “ayez des objectifs” ou encore “soyez toujours en apprentissage” sont certainement pleines de bonnes intentions, mais si elles tombent à côté de vos sources d’insatisfaction, vous ne risquez pas de gagner en plaisir au travail. L’identification des points d’amélioration part donc de la façon dont vous percevez votre quotidien professionnel, pas de généralisations abusives par nature.
Bref, façonnez votre plaisir au travail, sculptez-le, agencez-le jusqu’à obtenir la source de votre motivation, de votre performance, de votre engagement et votre satisfaction. Quelle que soit la nature de ce plaisir, margelle de fontaine de village ou bassin d’Apollon, surtout: savourez le résultats obtenus;)
Mini coaching : devenir l’artisan de son plaisir au travail
Quelle que soit la nature de vos points d’insatisfaction, vous y avez droit, ils vous appartiennent et les jugements n’engagent que ceux qui les tiennent. Bref, ne laissez personne vous dictez ce que vous devriez ressentir ou améliorer. Evaluez votre satisfaction/insatisfaction sans censure et travaillez les points qui sont importants pour vous, indépendamment de ce que pourraient penser ou dire qui que ce soit. En d’autres termes, vous n’êtes pas obligé(e) de devenir extraverti si vous ne l’êtes pas ou encore vous avez tout à fait le droit de développer une caractéristique comme la débrouillardise ou le sens de l’observation si vous en avez envie.
Etape 1 – Evaluez votre plaisir au travail et les pistes d’évolution
Evaluez votre degré de satisfaction, sur un échelle de 1 à 10 dans tous les domaines de votre quotidien professionnel. Ces domaines correspondent à ceux que nous avions détaillés dans la série de billets Boulot idéal, une réalité à inventer
- Environnement et organisation de travail
- Rémunération
- Tâches et comportements
- Capacités et compétences
- Talents et stratégies
- Relations et communication
- Reconnaissance et épanouissement
- Valeurs et convictions
- Sens
Quelles sont les actions à mener pour passer au chiffre supérieur? Et au chiffre supérieur? Jusqu’à arriver à 8?
Priorisez en fonctions de vos critères: Vous ne pourrez pas tout faire en même temps, courir tous les lapins de la futaie c’est pas si futé, c’est même le meilleur moyen de les voir tous s’échapper. Choisissez donc les domaines à travailler et les actions à mener comme vous l’estimez utile:
- Les domaines évalués entre 0 et 4 sont générateurs d’agacement, d’inquiétude, de découragement, de stress. Ils ont donc besoin d’être traités rapidement et en profondeur, mais pas à pas (Rome ne s’est pas fait en un jour, toussa…)
- Les domaines évaluées entre 5 et 7 suscitent des insatisfactions plus légères, mais peuvent aussi être de bons terrains d’entraînement, car potentiellement plus faciles à traiter.
il ne s’agira peut-être pas de commencer par ce qui va le moins bien, peut-être préférerez-vous y aller à petit pas en commençant par ce qui vous paraît simple ou par ce qui vous apportera des résultats rapidement.
Etape 2 – Appuyez-vous sur vos ressources internes
Autant dans votre personnalité que dans vos compétences techniques et talents naturels, vous disposez déjà d’un bagage important en termes de ressources internes qui vous permettra de renforcer votre estime de vous et l’assurance nécessaire pour mettre en œuvre les actions indispensables à votre sentiment de plaisir au travail. Pour vous aider:
D’autre part, vos valeurs sont aussi des ressources: plus vous travaillerez en harmonie avec elles, plus les mises en action seront fluides:
Etape 3: Passez en mode solutions et stratégies
Vous êtes à présent en pleine possession de l’assurance nécessaire pour construire votre plaisir au travail. Il est temps de réfléchir aux solutions à mettre en place. Vous pouvez ainsi faire des demandes assez classiques comme d’autres responsabilités, une augmentation, une promotion. Mais vous pouvez aussi inventer d’autres organisations, des méthodes de travail très personnelles qui s’appuient sur vos talents naturels, modifier vos relations pour pouvoir enfin sortir certains collègues du bocal à con dans lequel ils trempent depuis bien trop longtemps, demander une journée de télétravail, etc.
Quelles actions avez-vous besoin de mener pour gagner en plaisir dans le domaine que vous avez choisi?
Quelles compétences nécessitent ces actions?
Améliorer ce qui n’est pas encore satisfaisant demande parfois le développement ou le renforcement de compétences spécifiques (si vous les maîtrisiez déjà, vous feriez déjà autrement). Par exemple, Les noeuds des relations difficiles ne se dénouent pas souvent d’un coup de baguette magique et necessitent, la plupart du temps, de s’y prendre autrement. Ce qui ne s’invente pas!
Quelles compétences avez-vous besoin de renforcer pour avancer vers vos objectifs?
Quelques pistes:
- Savoir dire non
- Savoir faire une demande
- Sortir des rôles relationnels
- Clarifier ses messages
- Savoir engranger les vitamines mentales
- Renforcer la confiance en soi
- etc…
Etape 4 – Mise en action et évaluation
Vous avez identifié les pistes d’amélioration, capitalisé sur vos ressources internes et déterminé les actions à mener. Il ne reste plus qu’à établir un plan d’action progressif pour développer les compétences nécessaires puis agir directement. N’oubliez pas d’intégrer dans votre plan de route les phases de tests puis d’évaluation de vos solutions.
En d’autres termes, transformez les actons à mener en objectifs SMART puis passez à la phase triplette du coaching pour en évaluer les bénéfices et/ou les ajustements nécessaires.
Quatre exemples de job crafting
Dans le billet introductif, nous avions vu deux exemples détaillés de job crafting:
- Le cas de Bénédicte: le plaisir au travail par les croyances et besoins
- Le cas de Florence: le plaisir au travail par la lecture émotionnelle
Je pourrais vous rajouter :
Et plus simplement, voici quatre exemples de points spécifiques d’augmentation du plaisir au travail qui donnent des idées sur ce qui peut être fait grâce au job crafting:
Job crafting et délégation
Marie-Jo, qui travaille à la direction commerciale de son entreprise, en avait ras-la-calcombe de l’administratif qu’elle considère fastidieux. Il ne lui était pas venu à l’esprit que peut-être, dans son équipe, certains avaient plus de goût qu’elle pour la paperasse, elle pensait au contraire les décharger en la faisant elle-même. Après avoir fait le tour de son équipe, elle s’est rendu compte que deux de ses collaborateurs étaient bien contents à l’idée de passer un peu moins de temps sur le terrain et que l’admin ne leur faisait pas peur. Une nouvelle répartition des tâches plus tard, ce sont trois personnes qui ont gagné en satisfaction.
Job crafting et environnement de travail
Sébastien détestait l’aménagement du bureau qu’il partageait avec deux collègues, il le trouvait désagréable et peu pratique. Les relations avec ses deux collègues n’étant pas particulièrement proches – Sébastien est plutôt introverti et plein de croyances sur la distance nécessaire à conserver au boulot – il était persuadé de devoir continuer comme ça et en prendre son parti. Finalement, il s’est lancé et leur a proposé de repenser ensemble cet espace. A sa grande surprise, ses deux collègues ont accepté avec enthousiasme et la discussion a fait l’objet d’un déjeuner qui a permis à Sébastien de voir ses collègues sous un autre jour, de se montrer sous un autre jour et les trois ont gagné en confiance mutuelle. Ils ont conçu leur nouvel aménagement à partir de critères communs et en sont ravis.
Job crafting et développement de compétences
Bien entendu, nous avons travaillé avec Abdel pour qu’il aille faire part à son chef de ses aspirations. Il s’est avéré que son chef n’était pas tout à fait convaincu de ses capacités opérationnelles et ils ont mis ensemble en place un système de mentoring, associé à une courte formation pour renforcer les compétences d’Abdel et lui permettra d’aller vers des tâches qui lui plaisent davantage.
Job crafting et positionnement relationnel
Sophie a eu besoin de renforcer la confiance en elle et des capacités d’affirmation pour être en mesure d’habituer ses clients à son rythme plutôt que de subir leurs exigences. Elle a construit un positionnement relationnel authentique, affirmé et serein qui plaît beaucoup à ses nouveaux clients et lui donnent le sentiment qu’ils ont du respect pour elle.
Vous avez à présent les outils en main pour faire de votre plaisir au travail une oeuvre d’art. Faites-vous plaisir!
Crédit photo: Eric Pouhier
Aller plus loin
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