Lorsque la collaboration devient difficile, voire conflictuelle, c’est que les besoins respectifs de chacun sont mal comblés et génèrent des émotions négatives qui l’entravent encore davantage. Voici comment la lecture émotionnelle peut permettre de prévenir ou régler le conflit en amenant les besoins respectifs à signer un traité de coexistence pacifique…
Mécanismes personnels et conflits potentiels
Même à l’époque du tout collaboratif, travailler ensemble n’est pas toujours un voyage fluide, limpide et décontracté en terre de tolérance et de bienveillance. C’est même parfois un pays où l’on arrive jamais!
Que celui d’entre nous qui n’a jamais vécu une collaboration difficile nous jette le premier seau d’eau: ces réactions incompréhensibles et forcément pénibles de cet Autre qui devient tout d’un coup un étranger au sens de “celui qui m’est étranger, que je ne connais pas”. Ou en l’occurrence que je ne reconnais pas.
Le conflit devient une réalité potentielle, vu la nature des émotions que la relation déclenche: agacement, frustration, angoisse, fatigue, découragement, tous glissés un peu vite fait sous le tapis du salon, qu’on a étiqueté “stress”. Peut-être que le conflit latent et ces émotions ont alors une utilité: celle de permettre à chacun de se positionner dans la relation de collaboration, plutôt que de chercher à s’écharper. Et la bonne nouvelle, c’est que nous pouvons nous appuyer sur les émotions pour éviter le conflit en question, ou pour le traiter.
Les réactions émotionnelles des autres vécues comme des aberrations
Nous trouvons aberrantes les réactions des autres quand elles ne font pas partie de notre paysage émotionnel, c’est à dire quand nous avons des perceptions, donc des réactions et des besoins derrière différents.
- Tartempion qui s’inquiète d’un délai court et panique du manque d’étapes clairement identifiées alors que nous sommes à l’aise avec les deadlines nous donne le sentiment de se noyer dans un verre d’eau. ET s’agacera de notre manque de notre désinvolture.
- Bichtouille qui a besoin d’évoquer les tenants des aboutissants du comment du pourquoi des bénéfices et des risques avant de faire le moindre premier pas dans l’action peut susciter l’exaspération ce ceux qui sont davantage partisans du “on y va et on verra en route”. Et s’inquiéter ou s’agacer en retour du vite fait mal fait, des risques mal anticipés.
- Dupont-Durand qui s’énerve à chaque fois qu’on n’est pas d’accord avec lui peut générer la crainte ou l’agacement en retour chez ses collègues.
- Ainsi par exemple, une personne qui sera à l’aise avec très peu de cadre aura parfois tendance à rester vague sur sa contribution et à s’agacer de cet autre qui en veut davantage. Quant à l’autre en question, il pourra en retour s’agacer de ce qu’il considérera comme un objectif peu clair ou même de la rétention d’information.
Ces différences sont un entrave directe à la collaboration sereine et peuvent aller jusqu’à générer des conflits qui sont les enfants pas si improbables de notre incompétence émotionnelle et de notre propension à généraliser nos propres fonctionnements à la totalité de la planète. Quand nous jugeons que Tartempion se noie dans une verre d’eau, c’est parce que nous pensons qu’il devrait être comme nous. De façon générale, c’est la généralisation de nos propres mécanismes internes en attente universelle qui rend nos comportements et/ou discours obscurs aux yeux de ceux qui fonctionnent autrement. Et inversement!
Généralisations abusives
Pour schématiser, généralement, il n’y a à nous yeux qu’une bonne manière de collaborer: la nôtre, transformée en une évidence universelle non écrite. Dès que nous rencontrons d’autres modes de fonctionnement, nous pouvons facilement être déstabilisés et en rejeter la faute sur cet Autre qui est forcément un abruti, puisqu’il ne rentre pas dans nos cases pourtant tellement universelles. Ce que nous exprimons
- à la personne concernée, sous forme de vertu offensée “mais enfin, tu te rends bien compte que ça ne se fait pas d’arriver en retard comme ça”
- à des tiers sous la forme de jugements à l’emporte pièce “non mais tu te rends compte, comment il/elle se comporte? Ce n’est pas possible de travailler avec lui/elle”. Et parfois même, nous allons chercher confirmation “d’ailleurs, y’a pas que moi qui le dit, puisque ça a été pareil avec Tartempion”.
Or, nos mécanismes, qu’ils soient traits de personnalité ou façons de travailler, sont une combinaison unique qui reflète à la fois:
– nos motivations
– nos principes moraux
– notre expérience personnelle
– nos convictions
Les 4 sont interdépendants et s’inscrivent dans nos besoins. Ils sont essentiellement individuels, ne répondent à aucune logique autre que celle qui nous est propre, celle de notre singluarité. Une mécanique potentiellement illisible pour autrui, un peu comme deux montres qui n’auraient pas les mêmes rouages. Pour coexister sereinement à l’intérieur d’un projet, ceux des uns et ceux des autres ont besoin de se rencontrer, de se découvrir, de se comprendre.
Persécution mutuelle
Comme nous ignorons comment générer cette rencontre, nous avons le plus souvent recours, instinctivement, aux rôles relationnels. Le problème, c’est qu’en rentrant dans la valse à trois temps Victime/Sauveur/Persécuteur, si nous parvenons à mener vaille que vaille des projets communs, c’est dans l’effort et dans l’inconfort.
Pour peu que les différences de fonctionnement (et donc les besoins des uns et des autres) soient majeures, que les enjeux soient élevés, que les délais soient courts ou les conditions peu favorables, on peut rapidement finir dans un jeu sinistre de persécution mutuelle que personne n’a vraiment voulu et dans lequel l’autre est un con monumental, un irrécupérable et nous une pauvre victime pleine de belles valeurs. Et ça marche dans les deux sens, puisque l’autre pense exactement la même chose de nous. Car la plupart du temps, chacun se sent victime mais est aveugle à sa propre part de harcèlement. Or, vous l’avez bien compris: il n’y a de con ni d’un côté ni de l’autre, il n’y a que des égos malmenés, des besoins qui s’ignorent et qui se heurtent les uns aux autres.
Trop souvent, dans les discours sur le travailler ensemble et le collaboratif, les piliers sont intelligemment décrits, tout en omettant le plus fondamental, mais peut-être le plus compliqué, la gestion des égos qui, comme on le voit plus haut, mènent à toutes les incompréhensions, aux décisions absurdes, an ressentiment, aux jeux de pouvoir.
Sortir du conflit: la lecture émotionnelle au cœur de la rencontre
Parmi les solutions possibles pour diminuer l’expression de l’égo, les compétences émotionnelles sont une option à la fois passionnante et pas si compliquée. Je ne parle pas ici d’intelligence émotionnelle, qui reste très superficielle sur l’utilisation positive qui peut être faite des émotions -et donc n’est pas si intelligente que ça;) Voir :
Je m’intéresse ici à la lecture émotionnelle: par la clarification qu’elle permet des besoins qui se manifestent dans nos propres réactions comme dans celles des autres, elle est un formidable moyen de générer cette rencontre entre des réactions et des modes de fonctionnements très différents. Il s’agit bien ici de comprendre que les émotions sont les alliées de notre bien-être – ici relationnel et collaboratif – en ce qu’elles sont les indicateurs des besoins mis à mal dans une situation donnée.
Quand un conflit se déclenche, elle permet dans un premier temps, de sortir de la vague émotionnelle qui nous submerge (sentiments d’énervement, de colère, d’anxiété, d’angoisse et/ou de tristesse, de fatigue ou de découragement) en intégrant que celle-ci nous parle de nous-mêmes, pas du tout de ce que nous considérons comme les épouvantables manquements de l’autre. Nous sommes alors en capacité d’éviter les travers habituels, comme vouloir convaincre que l’autre que c’est nous qui avons raison, ou lui démontrer ce que nous considérons comme ses inaptitudes, ce qui génère souvent des tentatives de prise de pouvoir dans la relation. Ou l’inverse: se soumettre et s’offrir en pâture à la Persécution.
– Comprendre ses propres réactions émotionnelles. Nous pouvons alors écouter ce que l’émotion nous dit de nos véritables besoins et identifier des façons de les affirmer et de les satisfaire qui ne consistent pas à exiger de l’autre qu’il se soumette à notre manière de faire.
– Comprendre les mécanismes émotionnels des autres. D’autre part, cette même lecture émotionnelle nous permet aussi de détecter les besoins qui s’expriment chez l’autre, en fonction de leurs réactions, et donc de comprendre son mode de fonctionnement.
Lorsque les deux parties ont une conscience claire que ce sont leurs besoins respectifs qui se heurtent et qu’il est important de faire le point avec l’autre sur cette mosaïque des besoins de chacun pour voir comment les articuler, comment ils vont pouvoir coexister, alors les règles d’une collaboration viable et mutuellement profitable peuvent être posées d’un commun accord, les terrains d’entente – autant relationnels qu’opérationnels – vont pouvoir être identifiés.
S’apprécier ne suffit pas pour collaborer sans conflit
Prenons l’exemple de deux personnes qui pensent pouvoir travailler ensemble parce qu’elles apprécient toutes deux l’autonomie. Si chez l’une cela s’exprime en relation avec un besoin de liberté/reconnaissance qui la pousse à vouloir passer très vite sur les aspects communs, pour se concentrer sur sa contribution, alors que chez l’autre c’est en relation avec un besoin de sens, qui exige une direction commune précise avant de travailler par elle-même, alors elles peuvent se retrouver en difficulté.
- La première risque d’estimer que la seconde “n’est pas aussi autonome qu’elle le dit”.
- La seconde risque de penser que ça n’est pas de l’autonomie, mais de l’absence de collaboration.
Et hop! Il n’en faut pas plus pour générer interprétations, généralisations, agacements mutuels, fatigue ou angoisse. Dans cet exemple, il est possible que la première accepte d’accorder plus de temps à la vision commune. Il est possible aussi que ça la mette dans un inconfort non supportable à long terme et que la collaboration soit génératrice de stress. Les deux peuvent entrer en conflit, car l’un aura besoin de montrer une valeur individuelle là ou l’autre voudra une direction claire commune par exemple.
La construction d’une collaboration sereine et la solution au conflit latent ou ouvert sont donc doubles:
- Identifier clairement ses propres besoins dans des schémas de collaboration (environnement, relations, rôles, fonctions, processus etc), de façon à pouvoir les exprimer et potentiellement reconnaître les associations malheureuses.
- Maîtriser la lecture émotionnelle pour être en mesure de reconnaître sa propre perception comme parlant d’elle-même et non de l’autre et de gérer l’éventuel conflit en opérant cette rencontre des besoins plutôt qu’en cherchant à prendre ou à céder le pouvoir dans la relation.
Quatre petits pas vers la lecture émotionnelle
1- Les états de défense : identifiés par Henri Laborit, ces états appelés lutte, fuite et repli sont simples à reconnaître. Ils donnent un accès direct au besoin générique mis à mal dans le conflit potentiel: reconnaissance/affirmation de soi, sécurité/liberté ou sens/utilité. Voir:
2- Mettre des mots sur l’émotion : nous avons pris l’habitude de ranger discrètement nos émotions sous le chapeau générique de “stress” et par ricochet nous peinons à mettre des mots clairs et précis sur nos expériences émotionnelles. C’est une seconde étape cruciale pour remettre en perspective ce qui se passe en nous parce qu’elle va être d’une grande aide pour identifier le besoin spécifique. Pour reconnecter à nos états intérieurs:
- De l’importance de la distinction entre stress et émotions
- La météo intérieure: des mots et des émotions
3- Identifier le besoin spécifique : la réaction émotionnelle est donc la traduction en termes physiques, physiologiques et cognitifs d’une menace perçue en tant que telle parce que nos besoins sont malmenés ou insuffisants pour traiter la situation. Une fois identifié le besoin générique et l’émotion nommée, il existe plusieurs façons d’aller à l’origine de son déclenchement. Par exemple:
Et puisqu’il s’agit ici de collaboration, de prévenir des conflits latents ou de traiter ceux qui ont éclatés, la solution va quasiment toujours passer par une jolie dose d’élégance relationnelle, histoire de résoudre le problème avec panache:
- Petit précis de communication non violente (1)
- Formuler une critique avec élégance et délicatesse
- Recevoir une critique avec grâce et dignité
- Mieux communiquer: les demandes assertives
Besoins et collaborations impossibles
Il peut arriver que cette lecture émotionnelle débouche sur une conclusion a priori insatisfaisante: celle de l’incompatibilité collaborative de deux personnes.
Il est essentiel de considérer alors que ce n’est de la faute ni de l’un ni de l’autre, c’est simplement une question… mécanique. Les boulons de l’un ne sont pas en face de ou de la même taille que les écrous de l’autre, et inversement. C’est aussi une compétence relationnelle que de savoir accepter les limites d’une relation sans pour autant en tirer des conclusions abusives et des jugements détestables sur l’autre.
Et il vaut mieux en prendre conscience que de persister dans des associations impossibles, aussi peu fructueuses qu’elles sont coûteuses en énergie. Car ce n’est pas parce qu’on s’entend bien, qu’on a de l’affection pour une personne ou qu’on partage des principes ou des opinions qu’on va être en capacité de travailler avec elle. Voilà qui explique par exemple bien des déceptions dans des partenariats inaboutis, des créations d’entreprise qui échouent, des collaborations qui se transforment en pugilat.
La lecture émotionnelle, appliquée à soi, à l’autre et au service de la collaboration permet de renforcer la tolérance et la bienveillance envers des collègues en apparence difficiles à comprendre mais dont les réactions suivent une logique qu’il est possible de décrypter et de prendre en compte. Les déploiements organisationnels et managériaux sont gigantesques, tant en termes de composition des équipes que dans leur gestion et de prévention d’innombrables petits conflits de personnalité. Et au final, puisque nos réactions émotionnelles racontent simplement de nous une étrange poésie singulière qui ne demande qu’à être partagée et comprise, à l’instar de Verlaine, soyons l’un à l’autre indulgent:)
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Bel article. On devrait enseigner cela dans toutes les entreprises quelle que soient leurs tailles. Cela éviterait bon nombre de catastrophes. Votre site est une pépite d’or que je ne me lasse pas de contempler.
Oh, comme c’est joliment dit! Merci Jess pour un compliment qui me touche beaucoup:))
Passionnant et… exhaustif ! Travailler sur ses émotions, c’est ainsi avant tout se connaître et aller à sa propre rencontre en tenant compte de tous les indicateurs du tableau de bord… J’identifie le message de ma précieuse émotion, je choisis une action appropriée et je la mets en place. C’est pourtant pas bien compliqué. Si ? Bah si justement, cela signifie que j’essaie et que pour ça je décide… En tenant compte de l’AUTRE… Ainsi, on serait plusieurs…. Dedans, et dehors… Et si on s’alignait ?
C’est vrai que ça peut paraître compliqué au début, comme tout apprentissage, c’est la pratique qui aide:)
Je trouve que le travail fait est superbe et il est vraiment réfléchi. On sent la sensibilité et la logique des bonnes relations. Merci Sylvie pour cette article.
Désolé Sylvaine, c’est mon correcteur orthographique.
Aaah les correcteurs! Le mien me joue des tours régulièrement! Merci pour me commentaire qui m’a fait très plaisir:))