Nous avons vu comment mobiliser ses talents et sa force de caractère pour renverser des montagnes et atteindre des objectifs ambitieux. Seulement parfois, disons-le tout net, malgré tous nos efforts, c’est la montagne qui nous renverse et nous écrase comme une crêpe. Voyons voir comment se relever d’un placage qui vous découpe en deux le buffet.
Se faire renverser par la montagne : déconvenues et débâcles
” J’aurais aimé être un All-Black. Ca doit être bien de mettre des branlées à tout le monde ” Christophe Juillet
Lorsque j’ai rédigé ce billet, je ne m’attendais pas au naufrage du XV de France samedi 17 octobre 2015, date qui restera dans l’histoire du rugby français, tant il est l’humiliant indicateur de l’inefficacité d’un système entier et non pas une mésaventure qui égratigne la dignité. Du coup me voilà face à un double sujet : celui des débâcles et celui des déconvenues puisque, évidemment, on ne s’en relève pas totalement de la même façon.
Quoi qu’il en soit, lorsqu’on s’attaque à une montagne, autant ne pas s’imaginer que le chemin de nos aspirations va être, facile, fluide et couler de source comme les bulles dans une garden party. Si le rugby ressemblait à ça, ça se saurait (et au fond, qu’est-ce qu’on s’ennuierait):
Donc: les débâcles et déconvenues, ce sont des possibilités possibles dont la probabilité augmente probablement de façon exactement proportionnelle à l’ampleur de l’ambition. Bref: les risques, ça existe, tenons-nous-le pour dit. Ce qui n’empêche pas que ça fait mal, alors voici quelques pistes en vrac pour se relever. Ce ne sont pas des étapes, ce sont plutôt des éléments pour rebondir après une déroute à prendre en compte en fonction de votre propre situation et de vos propres réactions.
Se relever d’une débâcle
Les déconfitures qui mettent des 65-13 dans la hure sont des débâcles d’une telle envergure qu’il est alors souvent tentant, comme en Angleterre après sa défaite en poules ou comme chez nous après l’humiliation des quarts, de commencer par chercher les coupables, par trouver des têtes à faire tomber, histoire de se soulager la boîte à émotions.
Ça paraît faire du bien sur le moment, ça vide des sacs, mais ça a le défaut majeur de se concentrer sur l’arbre et d’ignorer la forêt. L’ampleur de la débine est parfois indicatrice d’une déliquescence fondamentale et donc de changements bien plus profonds à mettre en œuvre. A l’instar du rugby français, qui a besoin de revoir l’intégralité de son fonctionnement, parfois, nous avons besoin de revoir la structure même de notre projet et le repenser dans son intégralité, voire de changer de projet (on a d’ailleurs un peu envie de suggérer à Blanco de se reconvertir définitivement dans la thalasso).
Les déroutes magistrales sont surmontables et nécessitent de s’asseoir et de réfléchir à la refonte du projet et des stratégies pour le mener à bien et peut-être que le rugby français en sera exemplaire en nous pondant une de ces révolutions dont on a parfois vraiment besoin.
Mais pour parvenir à s’asseoir et à refondre sereinement l’intégralité d’un projet, les principes pour se relever d’une simple déconvenue peuvent être utiles.
Se relever d’une déconvenue
Autant nous pouvons réussir des choses épatantes, autant parfois, on se prend le rouleau-compresseur en pleine figure (aaaah, quel supporter catalan a oublié Gavin Hume ?) et on finit aplati comme une crêpe, à bouffer la pelouse.
Bon, on sait bien qu’au rugby, on a le panache de sortir du terrain en disant « ouéééé, ils étaient meilleurs que nous, ils en ont plus montré, ils ont été plus réalistes, on a manqué de ceci, on a manqué de cela, on n’a pas su ceci, on n’a pas réussi cela ».
C’est d’ailleurs l’une des forces de ce sport qui fait qu’on concède la défaite avec élégance et humilité. Mais n’empêche, soyons honnêtes : ça esquinte un peu le moral, ça met un coup de crampons dans l’estime de soi, en particulier quand on y a mis du cœur et des monceaux d’efforts. Et lorsque ces projets professionnels ambitieux auxquels on croyait si forts nous laissent pleins de bleus, la dignité bigornée, comment se relève-t-on ?
Accueillir l’émotion
“Il y a de tout dans le rugby. Une comédie humaine pleine de sensibilité, d’espérances et de déceptions, de rires et de larmes.” Disait Louis Malle.
Chaque victoire implique une défaite et lorsqu’on se retrouve du mauvais côté de la barrière, ça fait souvent carburer la fabrique à émotions. Colère ici, larmes là et le rugby, qui a suffisamment dépassé les clichés sur les faiblesses, n’a pas beaucoup de barrières à exprimer ses émotions. On se souvient des larmes de Bastareaud, émouvantes larmes de tristesses, de découragement et d’épuisement. On se souvient aussi qu’il ne viendrait à l’idée de personne de faire de Bastareaud une fillette parce qu’il a écrasé sa petite larme en public. De façon générale, Les rugbymen (et women, par le chemin) ça chiale facilement, et ça ne les empêche pas d’être des combattants. D’ailleurs, qu’est-ce qu’on a versé comme larmes dans cette coupe du monde 2015:
C’est vrai aussi dans des circonstances plus agréables : les larmes touchantes de Scott Spedding apprenant son intégration dans le XV de France ou celles des japonais après leur magistrale victoire sur l’Afrique du sud. Bref, le rugby est un sport de combat qui accorde sa place au grand sentimental qui sommeille en chacun de nous. : comme c’est rafraîchissant et bienfaisant et comme le mode professionnel devrait en prendre de la graine, lui qui se croit grand fort et courageaux^^
Accueillir l’émotion, s’autoriser à la ressentir sans évaluation ni jugement, juste histoire de lui donner la place qu’elle mérite d’une part et dont elle a besoin pour se détendre d’autre part. C’est le premier pas vers l’écoute de ses messages, qui peuvent être fort instructifs lorsqu’on a un projet à repenser, à adapter, à modifier. Voir :
Oublier les vilains fautifs et se concentrer sur soi
Au rugby, pendant les matches, on s’époumone beaucoup contre l’arbitre, essentiellement depuis les tribunes, essentiellement par chauvinisme de mauvaise foi : ça fait partie de l’activité normale d’un supporter. Mais une fois la partie terminée, il y a unanimité, on est même d’accord avec les anglais, ce qui n’arrive pas tous les four mornings :
– “Pour moi, il y a trois choses inutiles au monde, les couilles du pape, les seins d’une nonne et les paroles dites à l’arbitre au banquet d’après-match.” – Jean-Pierre Rives
– “Les erreurs d’arbitrage sont aussi nombreuses que les faux rebonds du ballon. Mais on n’a jamais vu personne discuter de cela avec un ballon.” – Les Britanniques à la suite d’une réclamation des Français en 1956
La montagne nous a foulés au pied? La plupart du temps, on voudrait bien – et on ne se gêne pas toujours pour le faire – crier à l’injustice qui nous a fait trébucher, à ce vendu qui a la berlue, ce seizième homme qui ferait mieux, justement, d’aller chez Blanco en thalassothérapie… Bref : c’est la faute de l’arbitre.
C’est très bien, et parfois même nécessaire pour évacuer la colère. Mais hurler à la lune ne changera pas le score et il y a un moment où il devient surtout nécessaire de tirer des enseignements féconds de cette gamelle.
D’ailleurs, la coupe du monde 2011, nous ne l’avons pas gagnée parce que la Nouvelle Zélande a joué à 16 contre 15. Et même si nous sommes encore nombreux à continuer à le dire 4 ans plus tard, la terre ne s’est pas arrêtée de tourner et le score n’a pas été changé face à nos indignations. Dont acte : remballons nos désirs hâtifs et complaisants de pointer des doigts, responsabilisons-nous et changeons de stratégies sans remettre en cause notre identité ou notre valeur.
Humour et humilité mieux que victimes et regrets
Les déconfitures, ça réveille la Victime* en chacun de nous mieux que n’importe quelle injustice. On se lamente de la vilenie du sort, de l’acharnement de la malchance, de l’absence criante de Dame Fortune qui justement, ce jour-là, évidemment, devait être partie se la couler douce en thalasso chez Blanco avec le seizième homme d’un peu plus haut.
Mais les sanglots longs des violons de nos déresponsabilisations ont leurs limites. A moins d’être une réelle victime, victime d’une escroquerie, d’un pillage de vos idées, d’une personne qui a volontairement fait foirer votre projet, les raisons d’une déroute sont à aller chercher dans nos stratégies et les jérémiades ont de multiples défauts :
- Elles ne soulagent pas l’émotion, au contraire elles l’encouragent.
- Elles suscitent de l’attention, certes, mais c’est une attention empreinte de pitié et donc peu constructive ou ressourçante
- Elles peuvent s’enfermer dans la complainte à plusieurs et ancrer dans des comportements Victimes dévalorisants et passifs.
Imaginez un gosse qui apprend à marcher et se casse la figure. S’il préférait gémir au lieu de se relever, à 25 ans, il marcherait encore sur les fesses?
« Heureusement qu’il y avait mon nez, sinon je l’aurais pris dans la gueule » avait déclaré l’inénarrable Walter Spanghero après une mornifle en pleine poire. L’humour et l’auto-dérision sont un bon moyen de dédramatiser une mésaventure, d’éviter d’encourager la Victime en soi et de rebondir. De même, l’humilité qui aide à regarder dans l’objectif de nos ratés comment nous avons réussi cet exploit-là, de façon factuelle et sans remettre en cause notre identité ou notre valeur a plus de gueule et d’efficacité que les pleurnicheries.
- Mécanismes de valorisation et dévalorisation
- Le rire, remède universel
- Ebook: Le triangle de Karpman: sortir des rôles relationnels
*Victime au sens Triangle de Karpman du terme, d’où la majuscule. Il s’agit du comportement Victime et non du statut (victime d’un cambriolage etc.)
Faire preuve d’orgueil
Quand on a eu la dignité égratignée par des résultats en deça de nos espérances, ou par plus petit que soi, comme par exemple l’Afrique du Sud après sa défaite par le Japon, le sursaut d’orgueil est souvent un excellent moyen de retourner sur le terrain avec un entrain tout neuf, une humilité de bon aloi et des envies magistrales de bouffer de l’adversaire.
Je me souviens, lorsque je me suis installée en tant que coach et après des premières semaines en demi-teinte, mon père m’avait mis en relation avec un ancien collègue devenu lui-même coach. Au vu de mon parcours, il m’a très poliment et très aimablement expliqué que je n’avais aucune chance dans ce métier et que peut-être je pouvais regarder du côté du life-coaching, par exemple pour les femmes. Ça m’a un peu calmé l’amour-propre, pour tout vous dire : les desperate housewives ? Moi ? Ma réaction a été de l’ordre du « mais il connaît pas Raoul ! » et puisqu’on doutait de ma capacité à renverser une montagne, il ne faisait aucun doute que j’allais à présent la renverser, dussé-je y aller avec le bec et les ongles. Un an plus tard, j’avais constitué une clientèle.
Les infortunes peuvent susciter des sursauts d’orgueil sources d’une énergie incroyable lorsque nous décidons de ne pas nous laisser faire par les circonstances. “Il ne faut jamais donner l’impression à un Écossais qu’il est inférieur.” A déclaré un jour John Jeffrey, qui n’était pas connu sou le joli sobriquet de Grand requin blanc pour rien. Voir :
Se recentrer sur son écosystème
L’Angleterre s’est elle aussi proprement humiliée dans cette coupe du monde 2015, en réussissant l’exploit de ne pas se qualifier pour les quarts. Le coup a été d’autant plus dur que c’est l’équipe la plus unanimement détestée, celle que tout le monde veut voir perdre et que cette défaite à fait les choux gras des réseaux sociaux pendant toute la semaine qui a suivi.
Bref, le choc a été rude. Mais l’Angleterre comme un seul homme s’est soudée dans l’épreuve et a joué un dernier match exemplaire devant un stade plein à craquer : la dignité, ça a de la gueule.
Lorsqu’on s’est fait retourner par la montagne, pour dépasser la déception , il fait bon commencer par trouver refuge auprès d’un entourage bienveillant et encourageant, pour y panser ses blessures émotionnelles au chaud, (re)trouver ses appuis, (re)connecter avec les valeurs et les motivations qui nous ont amenés là, les talents et aptitudes qui vont nous permettre de rebondir.
Tirer les leçons de ses expériences
« Il vaut mieux être hors jeu que hors du jeu » disait Jean-Pierre Rives Quand on s’est fait retourner par la montagne, c’est déjà qu’on a tenté de la renverser au lieu de s’asseoir sur un banc et de la contempler prudemment de loin. Bref, on a fait preuve de courage et pris des risques, ce qui en soit est déjà admirable. Rappelons-nous que Maurice Prat affirmait « Le vrai courage, c’est celui de tenter des coups. » Alors encore une fois, plutôt que de perdre du temps et de l’énergie à se dévaloriser en tenant des discours sur soi, son identité et sa valeur personnelle pleins de jugements et de noms d’oiseaux, autant tirer les enseignements d’un défaite et chercher les ajustements, à faire, les points d’amélioration et construire de nouvelles stratégies qui vont rendre impatients d’être dimanche et de jouer le match retour.
Une transition qui bloque, une reconversion qui n’aboutit pas, une entreprise qui vivote, une déplaisir chronique dans son poste, vous rend aussi morose qu’un novembre pluvieux? Il est temps de regarder objectivement comment on s’y est pris pour en arriver là, pour ne pas réussir, avec bienveillance et œuvrer autrement pour éviter le principe sinistre du mêmes causes mêmes effets. Ainsi, par exemple, retourner au travail comme si de rien n’était et dans des conditions inchangées après un burnout est une absurdité, le risque de reproduire est très élevé. Mieux vaut reconnaître simplement la défaite et chercher d’autres solutions. Les besoins d’ajustements peuvent être multiples, comme par exemple:
– Renforcer l’estime de soi et la confiance en soi, pour se réconcilier à soi-même et à son propre parcours, renouer avec une valorisation paisible, reprendre conscience de ces talents naturels et mécanismes de réussite sur lesquels s’appuyer
– Renforcer sa posture relationnelle pour être plus affirmé et efficace vis-à-vis de recruteurs/clients/managers etc. et parvenir, selon les situations, à raconter son histoire, à dire non, à exprimer une opinion, à réussir un entretien, à faire une demande, à faire preuve d’une confiance en soi sereine, d’une élégance dans la relation qui donne envie d’être en relation.
– Trouver d’autres moyens de faire valoir ses prestations et faire venir de nouveaux clients, voire déléguer ces tâches à des professionnels.
– Reconnecter avec ses valeurs, ses motivations, ses besoins professionnels, ses croyances pour refondre son projet de transition en fonction de soi, un projet qui parle aux tripes et qui sera mené à bien en s’appuyant sur ses talents naturels. Et avoir le courage d’entreprendre une autre bifurcation.
Selon Jacques Fouroux, “Dans ce jeu merveilleux, tout le monde a un jour raison; heureusement, pour progresser, qu’un autre jour, tout le monde a tort.” Voilà qui est bien pratique: c’est rassurant, nous ne sommes pas les seuls à dire/faire des âneries et si parfois nous pouvons nous fourrer le doigt dans l’œil, parfois nous voyons aussi la lumière. Nous ne sommes donc as condamnés à l’erreur chronique et nous sommes en mesure de faire progresser nos projets, ou notre façon de les mener à bien.
Et avec tout ça, vous avez de quoi mettre au sort les poings sur les yeux, comme on dit chez Poupard et Beka😉
L’échec, un état d’esprit
“Les Anglais ne perdent jamais mais parfois on les bat.” a dit un jour Jean-Pierre Rives, C’est intéressant à plusieurs titres: l’affirmation explique le point °5 d’une part, et montre que le sentiment d’avoir été vaincu par la montagne n’est, au final, qu’un état d’esprit. On peut choisir de se relever ou non lorsque la montagne nous a aplatis et même y mettre un panache dont un barde anglais chanterait volontiers les louanges. Dans le monde professionnel, on met le très désagréable terme “échec” sur nos déconfitures et sans doute que lui aussi est un état d’esprit. Et donc, qu’on peut en changer. Ce sera la sujet d’un prochain billet;)
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Aller plus loin
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Bonjour Sylvaine
J’aime infiniment quand vous utilisez le rugby pour parler de la vie! Même si c’est plutôt du côté du XV de Trèfle que j’agite les bras en criant Vas-y mon gars, cours cours COURSSSS!!! dès que je vois se profiler la possibilité d’un essai (… by the way “nous” nous sommes aussi pris une montagne).
Ce que je retiens particulièrement dans votre post (et dans le comportement des bons sportifs en général), c’est l’accueil des émotions… cette idée là, vous l’avez développée à d’autres occasions et elle me fait du bien, car à force de me dire qu’il FAUT que je positive quand ça ne va pas, je finis par craindre les émotions négatives, je les rejette ou me mets en colère, et ça leur donne encore plus d’importance.
Ce n’est pas facile, quand on se veut forte, va-de-l’avant et “porteuse”, quand on cherche, parfois fébrilement, à trouver des solutions pour tout, de reconnaître que là on est par terre, découragée et qu’on voudrait bien un câlin, en fait… quoique je doute qu’un Ian Madigan aurait besoin d’un câlin pour se relever sur le terrain… ce qui est bien dommage quand j’y pense 😉