Qui n’aspire pas à l’apaisement de soi, de ce tumulte intérieur de jugements lapidaires, de méfiances d’inquiétudes, d’agacements, de questionnements, de ces tourbillonnements qui nous éloignent de nous-mêmes et des autres ? Qui n’aspire pas au sentiment d’être heureux, à la plénitude, à la joie? Voilà un trio qui nous offre une triplette pour faire trois petits pas vers une poétique de soi… et de l’autre.
Un moine, un philosophe et un psychiatre parlent de sagesse
A l’occasion de la sortie de leur livre, Trois amis en quête de sagesse, Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard ont répondu aux questions de François Busnel dans l’émission La grande librairie, sur France 5.
Il paraît que le livre aurait pu s’appeler les pipelettes du Périgord* et François Busnel parle quant à lui des Tontons flingueurs de l’égo. Et certes, si l’on sent pointer la gouaille dans le ton et les paroles du moine, c’est surtout la poésie que je retiens de leur entretien dans La grande librairie, la poésie de la douceur, de l’humanité, de la relation. Voici comment leur trois voix nous font faire faire trois pas vers la sagesse.
Et ils parlent d’une seule voie lorsqu’il s’agit des moyens d’aller vers la sagesse: la réponse est du domaine de l’indissociable paire relation à soi/relation aux autres. Ensuite, si les voix (voies) dirvergent, le produit de leur rencontre, ce n’est pas le secret révélé d’une quelconque sagesse à méthode unique, incontournable et obligatoire. c’est une manière de s’approcher doucement de sa propre sagesse, une sensibilité à soi-même et aux autres. Voir
Derrière le terme de sagesse utilisé par l’animateur, c’est une certaine idée du bonheur qui se dessine ou au moins (j’ai du mal avec le terme bonheur, trop fort, trop absolu), du sentiment d’être heureux, de la joie, pour reprendre le joli substantif qu’Alexandre Jollien préfère à bonheur. Mais quel que soit le terme que nous avons envie de mettre dessus, il s’agit d’un état serein et heureux auquel nous aspirons tous : « personne ne se lève le matin en espérant souffrir toute la journée. » dit Matthieu Ricard.
La sagesse fragile ou exigeante
“Le mot sagesse apparaît comme quelque chose qui tombe du ciel, quelque chose d’un peu écrasant. Tout simplement, tendre vers la sagesse est une manière de vivre en se demandant très concrètement ce qui est essentiel à l’existence, dit Alexandre Jollien. J’apprécie énormément le philosophe, sa manière décomplexée de mettre des mots simples et accessibles sur sa pensée, la déculpabilisation inhérente à ses idées, l’immense humanité de son propos. Pour lui, le détachement et la sagesse sont un regard qui transperce les apparences, “c’est un truc très concret, dit-il, quand on va au bistrot, est-ce qu’on regarde le serveur ou bien est-ce que notre regard perce la fonction.”
Chez Matthieu Ricard la sagesse est exigeante, absolutiste, mois joliment humaine, fragile et poétique que chez Jollien : “c’est on ne peut plus clair, c’est se débarrasser de la confusion mentale, de toute forme de malveillance, de toute forme de jalousie, d’arrogance, toutes ces toxines mentales qui empoisonnent notre existence et celle des autres. Quand ces choses-là sont claires, pensée après pensée on peut travailler là-dessus.”
Cette description définitive de la sagesse est certainement une étape ultérieure, un chemin plus loin, celui où on en est venus à se débarrasser des oripeaux de l’égo en pleine malnutrition. En revanche, difficile d’y voir un point de départ, un moyen de cheminer, car entre décréter que l’on cesse d’avoir des pensées malveillantes et y parvenir, il y a un canyon. Le moyen de cheminer vers elle commence peut-être simplement dans l’apaisement de la relation à soi, préalable sans doute à l’apaisement de la relation aux autres.
Revenir à un égo moteur de frigo
“Dans la bulle de l’égo, ça sent le renfermé” dit Alexandre Jollien. Et disons-le sans ambages, on n’y fait pas que des rencontres qui sentent la rose ou la lavande. L’égo qui tourne en rond autour de lui-même se préoccupe au fond bien peu de l’autre, bien que celui-ci fasse l’objet de beaucoup d’élucubrations, cet égo-là, cahoté dans les méandres du manque d’estime de soi, oublie d’ouvrir les fenêtres et de s’aérer…
“Médecin des âmes brisées, dit Christophe André, je vois tellement des gens qui souffrent d’un égo qu’ils ont tendance à agresser, à dévaloriser, à malmener qu’il m’est difficile d’avoir une position de théoricien, de philosophe. L’essentiel dans un premier temps est qu’ils prennent soin d’eux, qu’ils aient de la tendresse, du respect, de l’affection pour eux, de l’auto bienveillance, de l’auto compassion. Un des grands problèmes que nous avons dans notre vie c’est de comprendre qu’il y a des souffrances que nous ne pouvons pas éviter, la vie est une succession de souffrances, de douleurs, de violences que nous avons tous à subir et que en plus de toutes ces souffrances issues du réel il y a toutes ces souffrances que nous fabriquons dans notre virtuel psychologique : on amplifie, on dramatise, on anticipe, on se voit misérable. Ces souffrances il faut apprendre à les alléger et pour cela, il faut se vouloir du bien et ça ne va pas de soi.”
Et dès lors qu’on commence à se vouloir du bien, à vivre gentiment en compagnie de soi-même, l’égo se détend, ses vociférations s’apaisent et il laisse l’estime de soi s’exprimer. “L’égo est un moteur de frigo, dit le psychiatre, moins on l’entend, mieux il fonctionne.”
De l’égo à la relation
Pour Matthieu Ricard “Il s’agit donc de renoncer aux causes de la souffrance et d’aller vers l’accomplissement, la plénitude, ce n’est pas un bonheur où tout le mode saute de joie et s’écroule épuisé. Il s’agit de se libérer des poisons mentaux, de cette façon de s’agripper à l’égo. Lorsque le monde devient soit une menace soit un instrument de notre intérêt personnel, ça déraille. Le bonheur est une manière d’être qui rassemble un certain nombre de qualité humaines. Je suis de plus en plus convaincu que le bonheur sans altruisme et sans bonté ça n’existe pas. Le bonheur égoïste est un concept auto destructeur. L’amour la bonté la tendresse c’est le sentiment le plus satisfaisant au niveau de l’expérience vécue et ça tient compte de l’interdépendance de tous les êtres.
Alexandre jollien préfère la joie au bonheur qu’il définit comme “Etre en plein accord avec l’existence telle qu’elle se présente. Il s’agit de prendre soin de soi tout en faisant moins cas de soi. Plus je me réprime, plus je me déteste, plus je suis dans une tension narcissique. Se lever le matin en combattant, en guerrier, ou bien se lever sans pourquoi.” Et pour lui aussi, la réponse à la joie est dans le rapport à l’autre “un rapport à l’autre libéré du qu’en-dira-t-on. Dans ma vie d’handicapé, ce poids est vraiment massif. Libéré de la comparaison, libéré de l’égoïsme, du narcissique. C’est un chemin éminemment concret, libérateur, ce qui compte c’est le pas qu’on est en train de faire en ce moment. Ce n’est pas un truc narcissique “je me libère des autres”, c’est pour aimer, être dépouillé pour aller vers l’autre”.
C’est quand l’égo s’apaise que les narcisses de tout poil peuvent enfin se connaître et se reconnaître;)
Trois pas vers une poétique de soi
A défaut de nous donner une recette express à laquelle, de toute façon, nous n’aurions pas cru et encore moins adhéré, c’est l’esquisse d’un itinéraire que le trio nous offre, la troisième voie de leurs trois voix, comme une poétique de soi, que chacun écrira à sa manière, au fil d’étapes à ajuster qui à son désert, qui à sa montagne, qui à sa foret ou son paysage urbain.
Se vouloir du bien
Une balade en trois temps et trois pas, une balade poétique, heureuse et décontractée qui commence par se vouloir du bien, par se traiter soi-même avec une gentillesse et une tendresse rassurantes et valorisante. Un premier qui consiste à se rappeler que nous avons de belles qualités, que nous avons de la valeur. Cette auto reconnaissance commencera à apaiser l’égo. En se libérant ainsi de son propre regard, on peut se libérer du regard de l’autre et aller enfin à sa rencontre.
Revenir à l’essentiel
Le second temps, une fois l’âme dépouillée des influences toxiques d’un égo malmené, consiste à revenir à l’essentiel : qu’est-ce qui est essentiel pour chacun de nous, pour moi, pour vous ? Est-ce une question que nous nous posons ? Que nous nous autorisons à nous poser ? Que nous prenons le temps de nous poser ? Est-ce une question que nous posons à ceux qui nous entourent ? Cette flânerie sensible au cœur de soi-même va nous permettre de prendre le temps de l’essentiel, d’entrevoir le nôtre comme celui des autres et d’y découvrir des mondes à explorer, des mondes à partager.
S’ouvrir à l’autre
Le troisième pas c’est donc ce pas vers l’autre, vers sa merveilleuses étrangeté pour que l’effarante bêtise comportementale des jeux de pouvoir, engendrée par la peur de la relation laisse à place à la collaboration, la solidarité, à l’élégance
Et enfin pas à pas, pensée après pensée, nous pourrons laisser derrière nous les taillis broussailleux de l’arrogance, de la comparaison, du jugement, de l’envie, bref, de la peur de l’autre pour faire pousser les jardins dans lesquels on perce la fonction ou l’apparence de l’autre, on va vers lui, on le rencontre. Entre la poétique de soi et la poétique de l’autre naissent les sources de la bienveillance, de la bonté, de la générosité.
Voilà de quoi susciter l’ironie de bon ton et les sarcasmes, comme cela a été dit à Christophe André dans une interview accordée au Monde :
Vous valorisez la gentillesse, la bienveillance, la bonté, l’empathie. De quoi susciter les sarcasmes ?
“Moins qu’auparavant, je perçois un infléchissement. Nous avons touché les limites du système. La société de consommation, de performance, d’égoïsme, s’effondre. Nous redécouvrons les vertus de l’altruisme, de la compassion, de la solidarité, de la douceur. Comme si nous avions l’intuition que sans cela, nous sommes cuits. Avec les attentats, les gens se sont rendu compte des vertus de la solidarité. La parole sur la gentillesse se libère.”
Au fil de soi et au fil de l’autre, le chemin vers la sagesse et le sentiment d’être heureux est long et sinueux, un chemin initiatique et chaotique qui, loin d’exclure l’effort et d’en prétendre la facilité, nous suggère d’agir dans le concret. « Nous ne sommes pas des modèles de perfection mais des tâcherons, des tâcherons de la condition humaine, on fait de notre mieux pour devenir de meilleurs humains » dit Christophe André. C’est moins poétique… mais c’est sans doute, par nos actions au quotidien, ce que nous pouvons nous souhaiter à nous-mêmes.
Des pistes pour une poétique de soi
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La gentillesse: un peu de noblesse d’âme dans un monde de brutes
Aller plus loin
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De la poétique de soi à l’élégance du comportement, il n’y a qu’un pas.
Celui qui donnera à notre société cet élan tranquille vers plus de sérénité.
Il me semble que le savoir-avoir nous a détournés du savoir-être.
Mais où est-il passé, ce coquin (le savoir-être) ? Je me dis qu’il n’est jamais très loin 😉
Savoir-avoir ou vouloir-avoir désespéré…
Ah le bel optimiste que voilà et qui vient apaiser mes élans dubitatifs qui sont temporaires mais récurrents:)
Une des voies d’accès à la sagesse, ne serait-ce pas le lâcher-prise ?
– Accepter de ne pas être parfait, accepter sa part de faiblesse, plutôt que se concentrer sur l’objet de sa contrariété, choisir de considérer ce que nous enseigne cette émotion négative, en visualisant le désir contraire et le bien-être qui en résulterait.
Ces émotions qui nous aident à déterminer si nos comportements et nos attitudes nous conviennent et correspondent à nos valeurs. Être aligné, agir en cohérence avec nos valeurs, est ce qui est important pour nous, ce qui nous porte et donne du sens à nos actions.
– S’adapter sans cesse dans sa recherche de solutions, en restant ouvert aux possibilités de l’instant.
C’est en balayant les angles morts, en sortant des sentiers battus, en explorant différents aspects d’un questionnement que l’on s’ouvre à de plus larges perspectives, que l’on retrouve souvent des regains d’énergie et de plaisir, dont on se privait par un alignement insuffisant.
Ce n’est évidemment qu’une petite pierre à l’édifice d’un monde plus sage et plus joyeux, d’autres petites pierres viennent s’y ajouter.
« Celui qui déplace une montagne commence par déplacer de petites pierres » » Confucius.
Bonjour Carole, Je t’avoue que je suis assez perplexe face au terme “lâcher-prise”, le grand fourre-tout du développement personnel. Cependant, ce que tu mets derrière m’intéresse: faillibilité, vulnérabilité et adaptation, auxquels on pourrait peut-être ajouter action et surtout relation, car l’apaisement de soi va rarement sans l’apaisement avec les autres.
Les émotions sont effectivement un biais d’apaisement qu’étonnamment aucun des trois n’a évoqué, bien qu’il servirait activement leur propos!