Où, comme j’aime les triplettes, je vous en propose une nouvelle, celle du dépassement de soi qui peut prendre la forme d’un désir de développer une qualité, un comportement, un soft skill. Non pas pour “s’améliorer” ou pour devenir un salarié à l’employabilité parfaitement formatée mais parce que l’aptitude recherchée nous ouvrira des portes importantes à nos yeux. Voici comment vous y prendre:)
Le droit au dépassement de soi (n’est pas un devoir)
Il paraît évident que nous avons avant tout intérêt à nous accepter tels que nous sommes, sans sombrer dans la sinistre dichotomie forces/faiblesses ou, en version sémantiquement ripolinée (on dit aussi politiquement correcte) « talents » et « axes d’amélioration » qui vous impose sournoisement l’idée que vous devriez être une meilleure version de vous-même, plus conforme à la norme managériale ou RH du moment, aux idées reçues de la performance et de l’efficacité. Et de préférence en allant piocher dans une liste limitée de soft skills utilitaires. L’acceptation de soi consiste plutôt à admettre et à accueillir :
– Nos qualités, nos compétences, nos talents naturels – qui sont autre chose que les deux premiers et encore bien autre chose que le « talents » mentionné au paragraphe précédent et sui ne sont pas non plus un don – pour plus d’indications sur ce qu’ils sont, voir ici
– La légitimité de nos émotions, de nos désirs, de nos aspirations et par ricochet notre droit à questionner notre condition, notre vie, et les bifurcations personnelles ou professionnelles que nous avons envie d’y ajouter. Et lorsqu’il s’agit de nos qualités et comportements, oui, certains peuvent être modifiés si nous le souhaitons:
– Le droit au dépassement de nous-mêmes, y compris lorsqu’il s’agit de développer des qualités humaines ou des aptitudes qui nous manquent (par exemple relationnelles, émotionnelles, organisationnelles, méthodologiques etc. Des soft skills qui nécessitent d’être personnalisées), autant que d’acquérir de nouvelles compétences techniques.
Mais le droit n’est pas le devoir. Il est une option possible, à disposition pour ceux qui le désirent.
L’acceptation de soi, préalable au dépassement de soi
Bref, nous avons le droit de devenir autre que ce que nous sommes. Non pas dans l’envie de collectionner les soft skills reconnues du parfait-petit-employé 3.0, qui n’est plus – ces jours-ci – tant dynamique et curieux qu’autonome, collaboratif, empathique, sportif, bien alimenté et dopé à la méditation.
Pas non plus dans une quête de perfection vide de sens ou d’aspiration à correspondre aux héros du moment, mélange imbuvable de performance, de charisme, de réussite (forcément financière et entrepreneuriale), tout autant vide de sens. Ou pire des héros version Instagram, aux vies de rêve où on « kiffe » H24 en maillot sur des plages lointaines, ou au bord de piscines bleues de mers du sud, ordinateur à la main pour faire nomade libéré, montrant des muscles juvéniles (qu’on a le temps de travailler) sous des peaux élastiques entretenues par des mélanges fait maison de produits bio venus de Chine par avion enveloppés dans du polystyrène. Ceux qui ont réussi parce qu’ils osent, qu’ils sont audacieux et qui vous tutoient pour vous faire croire qu’ils vous veulent du bien. Le devoir de dépassement de soi véhiculé par les tendances actuelles du développement personnel est une plaie par laquelle s’engouffre une gangrène sournoise de l’époque : celle de la normalisation par l’absurde et de la culpabilité.
Ce dont je veux parler, c’est le droit à dépasser que ce que la vie a fait de nous-mêmes, façonnés que nous avons été par les épreuves et expériences, les commentaires de nos contemporains, les croyances dont nous avons héritées ou que nous avons construites tous seuls. A modifier un comportement qui, dans l’idée que nous nous en faisons, ne casse pas trois pattes à un canard et mérite une révision! Ce droit commence par l’acceptation de ce nous-même imparfait et merveilleux comme un préalable indispensable au dépassement de soi, pour éviter l’écueil de la lutte constante contre soi-même, guerre picrocholine, combat douteux qui mène à l’auto-flagellation, au mépris de soi.
Définir ce que nous voulons
1- Définir en plein plutôt qu’en creux
Nous avons parfois tendance à définir ce que nous voulons… en creux. C’est à dire en expliquant ce dont nous nous ne voulons plus, et le plus souvent associé à des termes guerriers, probablement histoire de nous donner du courage. Pour partir la fleur au fusil en un combat perdu d’avance? Probablement. Car de même que “je ne veux pas de Maroilles” n’aide pas votre fromager à vous servir, “je veux vaincre la procrastination/le trac/la timidité/la désorganisation” ne met pas précisément sur la voie de ce que vous voulez vraiment.
Réfléchissez donc plutôt à ce que vous voulez obtenir, peut-être à la place de ce dont vous ne voulez plus. Précisez au maximum: le vague n’aide pas à arriver à bon port. Si vous rentrez forêt de Rambouillet dans votre GPS, il y a peu de chance qu’il vous amène directement au Chateauform des Mesnuls où votre incentive annuel commence à 9h pétantes. Vous risqueriez de rater le café, qui est quand même le seul vrai moment convivial de la journée.
2- Un objectif écologique
Tout d’abord, nous pouvons avoir envie de développer ou renforcer toutes les qualités, aptitudes ou comportements que nous voulons, du moment que ce que nous voulons ait
– Un bénéfice réel pour nous à la fois dans la nature de la qualité que nous voulons développer et dans la façon de la développer. S’acharner à devenir “plus organisé(e)” parce qu’on nous a dit qu’on est bordélique et à coups d’auto-discipline de fer, de to-do lists et de processus alors qu’on est un créatif fantasque dont l’efficacité est directement liée au degré de liberté, c’est un aller simple pour l’enfer. Autre exemple: pour ma part, je ne suis pas très collaborative, je travaille souvent mieux seule. Bien que ce soit LA qualité du moment, je préfère rester comme je suis, c’est à dire que je collabore très bien sous certaines conditions et je vois plus de coûts que de bénéfices à m’obliger à changer cela. Encore une fois, modifions seulement ce que nous voulons.
– Aucun impact négatif sur autrui. Car une conséquence négative sur une ou des personnes de notre entourage cache en général un déficit d’estime de soi qui se traduit par la tentation du (jeu de) pouvoir. Personnellement, je me méfie beaucoup des désirs de développer “l’influence” la persuasion et tout autre aptitude qui navigue à la limite floue d’une manipulation qui ne veut pas dire son nom. Comme vouloir “développer son ascendant sur les autres”, façon polissée de dire qu’on se rêve en dominant patron de troupeau – demande qui ‘a été faite il y a quelques années et que j’ai évidemment refusée.
En revanche, développer l’aisance ou l’assurance pour devenir plus confiant(e) dans ses entretiens d’embauche ou prises de parole, l’affirmation de soi pour parvenir à exprimer ses opinions, ses émotions, ses besoins, la confiance en soi pour faciliter la prise de décision, la pensée critique pour améliorer son discernement, la débrouillardise qui facilite la résolution de problèmes, la prise de recul ou le calme qui apaise les bouillonnement mental, la capacité à se ressourcer, la capacité à gérer son temps en fonction de soi, développer toute qualité comportementale ou relationnelle peut être à la fois utile et agréable, en donnant un sentiment d’évolution, de réalisation de soi et d’amélioration de son quotidien plutôt que de soi.
3- Un challenge émotionnellement pertinent
D’autre part, lorsque le dépassement de soi concerne une qualité ou une aptitude, il a deux aspects qui nécessitent d’être précisés, faute de quoi vous risquez de vous engluer dans des bonnes intentions qui ne parviennent pas à se concrétiser et qui deviennent vite culpabilisantes.
Ces deux aspects participent aussi de la réconciliation intérieure qui permet une mécanique plus fluide de nos actions : l’association du concret et des émotions. Pour qu’une action soit efficace, elle nécessite non pas tant (ou pas seulement) de répondre à des objectifs dits SMART, qu’aux trois questions qui la rendent émotionnellement forte ainsi que pertinente et faisable :
- Le besoin d’affirmation : répondre au Quoi ? – Ce que je veux exactement, l’acceptation et l’affirmation de mon désir, en accord avec moi-même qui diminue l’impatience, l’agacement, la frustration et donne l’assurance, la conviction, la force tranquille
- Le besoin de sens : répondre au Pourquoi ? – Les bénéfices que je cherche, l’utilité de ce que j’entreprends, qui évite la fatigue, le découragement et détermine l’envie, la motivation, le dynamisme
- Le besoin de repères : répondre au Comment ? – La définition des étapes, des actions à mener qui sécurise l’itinéraire tout en laissant libre cours à l’expression de soi dans la façon de le mener. Ce qui atténue l’inquiétude et donne de la confiance et du courage.
Lorsque nous aspirons à développer une qualité ou une aptitude, nous luis donnons généralement un nom – courage, confiance en soi, assurance dans la prise de parole, calme etc. – mais le défaut du substantif est de rester un concept vague, aux contours incertains. Or, nager dans le flou risque de susciter de l’agacement, de l’inquiétude et/ou de la démotivation. A quoi bon s’efforcer de renforcer une qualité si on ne sait pas comment s’y prendre et si on n’est pas certain de ce qu’on met vraiment dessus ?
La triplette Quoi?/Pourquoi?/Comment? est la réponse émotionnelle qui donne des ailes à nos projets.
La triplette du dépassement de soi
1- Quoi? Pour quoi ?
Les deux premières questions constituent la première étape avant de décider précisément ce que vous voulez développer ou renforcer. Trop souvent, nous cherchons directement – et parfois désespérément – le comment sans avoir défini le quoi et le pourquoi, ce qui rend la tâche encore plus ardue, donc inquiétante, agaçante ou fatigante. Prenez donc le temps de vous penchez dessus 😉
Quelle qualité ou comportement voulez-vous renforcer ?
Pour quoi ? Dans quel but ? Quels seront les bénéfices ?
Quels sont, précisément les comportements et actions qui traduisent cette qualité à vos yeux ? Attention, il s’agit ici d’être très concrèt(e).
– Vouloir “mieux s’organiser” ne veut pas dire grand chose en soi (mieux que quoi? Par rapport à quoi?), aussi précisez, précisez, clarifiez, clarifiez ce que vous voulez dire par là, jusqu’à avoir une liste de comportements très concrets.
– Développer de l’assurance ne signifie pas grand chose non plus. « Ben avoir l’air sûr de soi » ne suffit pas : quels sont les attitudes qui font dire qu’une personne est sûre d’elle ?
– etc.
2- Comment
Le comment est toujours plus facile à trouver lorsque l’objectif a été finement précisé. Il y a bien des manières de renforcer une qualité, de développer une aptitude qui ne nécessitent pas de sauter en parachute ou de brailler sur une péniche avec un porte-voix (l’un et l’autre n’ont probablement jamais aidé à renforcer la confiance en soi). Plutôt pas à pas, chacun à son rythme, en procédant par étape, avec bienveillance. Quelques pistes par ici:
- Combien de temps pour changer un comportement?
- Changer un comportement: le naturel revient-il au galop?
- Modifier un comportement: le mentor qui s’ignore
- La débrouillardise: 10 pistes pour développer cette épatante qualité
- Cultiver le sens de l’émerveillement au travail
- 40 minutes pour gagner en confiance en soi
- 14 astuces de communication qui vont révolutionner vos conversations
- Sortir des rôles relationnels pour accélérer la recherche d’emploi
Avant de vous en proposer deux autres très prochainement:
– Une gymnastique de l’esprit ultra simple
– Une métaphore équestre (il y avait longtemps;)
Aller plus loin
Vous voulez renforcer et entretenir un état d’esprit serein et dynamique, une posture relationnelle élégante et affirmée, pour renouer avec le plaisir de travailler et favoriser la réalisation de vos aspirations? Ithaque vous accompagne. Pour tous renseignements, contactez Sylvaine Pascual
Article remarquable, je suis ravie d’entendre enfin la voix du bon sens, surtout concernant cette mode du développement personnel et cette sempiternelle culpabilisante “quand on veut on peut”. La connaissance de soi nécessite autre chose que des avalanches de phrases exclamatives et d’autoflagellation “yakafonkon”. Par ailleurs, je tiens à vous féliciter et à vous remercier de manière générale pour ce site, les articles me réjouissent, l’aspect et les photos sont apaisants et beaux… Je ne suis pas en reconversion, mais j’essaie de travailler à mieux aimer mon travail (répétition intéressante), et votre approche dépasse largement le cadre de la reconversion professionnelle, il aide à mieux être. Merci.
Je vois que vous aussi, le développement personnel de supermarché vous fait lever les yeux au ciel!
Merci infiniment pour ce retour qui me fait réjouit car avant la reconversion, ce qui m’intéresse, c’est effectivement le plaisir de travailler, changer de métier est simplement une option pour le redéployer. Pour d’autres (les plus nombreux) le job crafting est la solution:)
Bien Sylvaine un texte très lucide et qui secoue certains paradigmes.
Le droit à se dépasser prend enfin le pas sur les tabous, les dogmes et les clichés pro!
Je dirais pour moi le droit à ne pas se laisser contaminer, être soi-même et le montrer de manière intelligente et pertinente.
Le processus d´évolution est inscrit dans nos gènes et se frayer un chemin pour ne pas l´oublier est un dépassement constant de soi-même.
Merci pour cette participation.
Merci pour ce point de vue:)