L’agressivité verbale, l’impolitesse, les propos désobligeants ont le don de nous mettre le palpitant en émoi et la rate au court-bouillon. Mais attention, jouer les coqs de basse-cour ou les poules mouillées en réaction revient à autoriser l’agressivité et fragilise la relation et l’estime de soi. Alors commençons par garder notre sang-froid pour pouvoir désamorcer la situation.
Le verbe acerbe du bipède ombrageux
Comme nous n’avons pas élevé les cochons ensemble, nous n’avons pas les mêmes valeurs, les mêmes échelles de ce qui est acceptable ou pas, la même définition de l’impolitesse, de l’agressivité et de ce qui les justifie. Si tant est que quelque chose les justifie. Il est probable qu’y trouve justification celui qui a besoin d’y avoir recours, parce qu’il ou elle n’arrive pas à se faire entendre, à exprimer ou à faire valoir ses opinions ou ses besoins.
D’ailleurs, qu’est ce qui explique qu’il nous arrive, à vous, à moi pourtant si épris d’élégance relationnelle, si alcyoniens à force d’en avoir vu d’autres, il nous arrive à tous d’avoir un ton cassant, un propos désobligeant, un mot malséant qui mornifle tout de go l’humeur amène d’un énergumène. La raison en est simple: le besoin de nous faire entendre et respecter. Donc la crainte de ne pas l’être. Et voilà que derrière le roquet qui éructe et vitupère, derrière le mal embouché, l’ombrageux au verbe acerbe, il y a un bipède qui a la trouille.
Chercher à comprendre au lieu de juger
Et puis disons-le, nous faisons parfois preuve d’un brin de complaisance avec nos propres emportements : la grande gueule qui se dit « cash » continue à avoir bonne presse pour ceux qui ont besoin de se flatter (« Ben ouais, je suis cash, c’est quoi le problème ? Je ne vais quand même pas me laisser marcher sur les arpions ») tout en détestant l’agressivité ou la grossièreté chez l’autre (« Non mais tu l’as vu, cet ostrogoth malgracieux ? Il a fait un stage chez Moi, moche et méchant ou bien ? »). C’est fascinant de voir combien nous attendons l’élégance relationnelle des autres, tout en parvenant à justifier nos propres écarts. Être franc du collier, dire ce qu’on a à dire est une qualité tant qu’on le dit avec amabilité. Dès qu’une forme de rabaissement ou de jugement s’y ajoute, ça devient un comportement de Persécuteur parfaitement délétère.
Bref, nous avons tous en nous une aptitude plus ou moins marquée à l’agressivité ou à l’impolitesse lorsque nous avons quelque chose à dire et que nous craignons de ne pas être entendus, pris en compte ou reconnus et/ou que nous voulons nous imposer. Il nous est arrivés à tous de ne pas nous arrêter pour laisser un piéton traverser ou de ne pas tenir la porte à Paul-Edouard parce qu’il n’en pleut plus d’être lui-même. Il est donc assez futile de chercher à juger la désobligeance des autres au prisme de nos belles valeurs et plus intéressant de regarder comment nous pouvons la désamorcer.
Un comportement agressif de temps à autre ne fait pas d’un quidam une personne toxique, mais simplement quelqu’un qui a du mal à s’affirmer et qui du coup le fait en mode rouleau-compresseur. Dans la plupart des cas, quelqu’un qui a une personnalité colérique, autoritaire et coutumière des tons cassants et des remarques dévalorisantes est un Persécuteur patenté (et non pas un manipulateur pervers). qui a acquis la conviction que c’est un moyen de s’imposer, et ce n’est pas uns surprise puisqu’on confond souvent comportement de gougnafier et affirmation de soi.
Désarmer l’agressivité, déjouer l’incivilité et les tentatives de rabaisser vont donc nécessiter de comprendre les raisons derrières les coups de bec de ces volatiles virulents.
Rester calme, et puis quoi encore ?
Et pour cela, rien de tel dans un premier temps que de rester calme, de ne pas céder à l’envie sourde d’aller expliquer la vie à coups de bilboquet à un quidam qui a déjà la cafetière à l’envers. Oui, à l’évidence il pourrait nous partager ce qui ne va pas avec élégance et en s’appuyant sur une communication non violente parfaitement rodée, mais visiblement, il n’est pas en mesure de le faire.
Seulement voilà : rester calme face à une personne impolie, grossière ou agressive, voilà un de ces conseils dont on se passerait bien, un peu comme quand on dit à un enfant qui est convaincu que le monstre du placard va venir le dévorer tout cru qu’il n’y a « aucune raison d’avoir peur »: s’il suffisait de le dire, ça se saurait.
Et c’est vrai, il n’y a ni baguette magique, ni « outil » de développement personnel, ni approche psychologique pour se retrouver rapidement d’une placidité indéfectible face à l’animosité et l’impolitesse. Et on n’a pas toujours la possibilité d’aller faire un exercice de relaxation, boire un verre d’eau ou s’emmener faire le tour du pâté de maison pour faire redescendre la pression. Ceux qui vous donnent ce genre de conseils ne se sont jamais pris une soufflante dans les esgourdes en plein open space ou une réflexion dévalorisante en pleine réunion!
Et si vous pensez que la méditation peut aider, vous avez sans doute raison, il suffit de voir l’équanimité de plus en plus limpide de Christophe André pour s’en convaincre. Seulement voilà, vous n’avez pas forcément le temps nécessaire, ou vous voulez le consacrer à autre chose, ou bien vous n’avez pas envie de méditer pour une autre raison que l’envie de le faire, ou bien vous n’avez pas forcément envie de méditer tout court. Alors quelle alternative ?
Pour tout vous dire : je l’ignore. Ce que je peux vous proposer, c’est de revoir nos convictions, de changer d’angle de vue sur les comportements désagréables et d’explorer l’intérêt de rester calme, parce que c’est un moyen de remettre en question nos réflexes d’une part et parce que modifier nos croyances peut aider à modifier nos comportements. Commençons par répéter que garder son sang-froid ne veut pas dire ne pas réagir et donc se laisser aplatir par les malotrus, c’est l’inverse : rester calme pour pouvoir réagir avec élégance et désarmer le conflit qui pointe le bout de son nez.
Des bénéfices du sang-froid face à l’agressivité
Face à celui ou celle qui vous vole dans les plumes, noblesse d’âme consiste à garder son sang-froid pour jouer la relation plutôt que d’opter pour le combat de coqs (de basse-cour) ou de jouer la poule mouillée.
Parce trop souvent, nous l’avons vu dans le billet précédent, à agressivité, agressivité et demi : puisque l’autre veut la bagarre, il va l’avoir, ou bien je m’en vais me faire tout(e) petit(e) et tout(e) discret(ète) dans un petit coin en attendant que l’orage passe:
Garder son sang-froid face aux incivilités de boulot a non seulement plus de gueule, mais aussi de multiples bénéfices:
– Eviter de nourrir l’agressivité et de laisser l’escalade et le conflit ouvert
– Permettre à l’autre de se sentir entendu et écouté (ce qui ne veut pas dire se soumettre à sa volonté)
– Permettre à l’autre d’exprimer ce besoin, cette opinion qui lui tient à cœur et qu’il craint de voir passer à la trappe
– Pourvoir résoudre le problème, donc éviter la rancœur
– Eviter le malaise qui suit les remontage de bretelles et les accrochages, souvent fait de non-dits et de ressentiment.
– Préserver de l’estime de soi : le sien comme nôtre, toujours malmenés lorsque nous nous comportons de façon inélégante. Celui/celle qui apprend au fur et à mesure de ses emportements qu’il/elle peut prendre le dessus en élevant la voix ne gagne pas en estime mais en attitude dominante dans un rapport de troupeau.
Sang-froid et noblesse d’âme
Les dix réflexions que je vous propose ici ont pour objectif de baisser les armes et de vous aider à rester calme face à l’impolitesse, serein parce que vous êtes au jus de ce qui se joue. Parmi elles, peut-être que certaines vous parleront suffisamment pour vous y raccrocher le jour où un quidam au boulot aura décidé de vous balancer du caramel plutôt salé.
Accepter que ça arrive
Être agacé(e), ça nous arrive à tous. Allez, avouons-le, ce n’était pas très sympa cette façon de regarder la caissière de travers parce qu’elle n’était pas assez rapide, ou le fait d’avoir « recadré » Brenda parce que wech, c’est quoi cette prez pourrie. C’est bien normal d’être agacé quand quelque chose nous heurte, nous est désagréable. Alors donc, ça signifie que cet autrui qui vitupère a quelque chose qui lui défrise le poil : restons calmes pour pouvoir comprendre.
Ne pas le prendre de façon personnelle
Suite logique du point 1 – derrière son agressivité qui vous semble destinée, votre interlocuteur parle de ses propres convictions ou de ses besoins, pas de vous. Restons calmes pour pouvoir entendre.
Il/elle a le droit à ses convictions
Même les plus bêtes, les plus viles et les plus désagréables. Inutile de vouloir lui remonter les bretelles pour lui apprendre les vraies valeurs, donner votre confiture à vos propres cochons et gardez vos rillettes pour vous ! Restons calmes pour pouvoir prendre du recul.
Dissocier la personne de sa façon de s’exprimer à un instant T
Le contexte de la personne est toujours au centre de ses réactions. Or, de nombreux détails qui ne vous sont pas forcément connus peuvent teinter sa façon de parler. Ca ne l’excuse pas, ça l’explique. Ca ne la rend pas plus acceptable, mais ça permet d’éviter les conclusions hâtives sur la personnalité de l’autre. Non, une personne qui vous tient un propos désobligeant n’est pas forcément quelqu’un qui aime rabaisser les autres. Peut-être que c’est son impuissance à gérer la situation qui parle. Restons calmes pour pouvoir analyser.
Reconnaître que c’est pas de bol
Son ton, ses mots sont péremptoires, brutaux, agressifs ? Imaginez comme c’est pas de bol pour lui : ça signifie surtout qu’il manque de confiance en lui, qu’il a quelque chose à dire et qu’il a besoin de se faire entendre, mais qu’il craint de ne pas être entendu. Restons calme pour lui apporter de la considération.
Reconnaître que c’est pas de bol (2)
Ses choix sémantiques sont maladroits, dévalorisants, crétins ? Imaginez comme c’est pas de bol, ce N+1 ou ce collègue qui n’a jamais entendu parler d’élégance relationnelle ? Restons calmes parce que nous sommes chevaleresques.
Activer le tri sémantique sélectif
Concentrez-vous sur les faits, ignorez complètement les commentaires désobligeants, les jugements, les interprétations. Restons calmes pour sortir la situation de l’émotion.
Ne pas chercher à toujours à avoir raison
Parfois, on a tort de vouloir avoir raison, même quand on a vraiment raison et que l’autre a tort. Restons calmes pour jouer la relation plutôt que la domination.
Jouer la grâce et la dignité
Les jeux de l’égo n’aident pas la relation et n’alimentent pas l’estime de soi. Avoir le dernier mot, clouer le bec à l’autre etc. sont des façons parfaitement inélégantes de vouloir gagner un jeu de l’égo qui ne fait avancer aucun schmilblick mais qui met la relation en péril. Restons calme pour jouer la relation plutôt que l’égo.
Rappelez-vous
La colère alimente la colère et que le calme la désarme. Restons calmes pour apaiser la discussion.
Ces propositions ne sont bien évidemment pas du tout des façons de supporter les propos rabaissant et les vociférations ! Elles sont un moyen de ne pas céder au jeu de pouvoir de l’agressivité, car c’est en gardant votre sang-froid que vous pourrez ensuite passer calmement à une résolution mutuellement avantageuse de la situation.
Alors bien spur, elle ne vont pas fonctionner juste parce que vous les avez lues sous ma plume. Pensez-y et pratiquez. A chaque fois que vous parvenez à garder votre sang-froid, à ne pas vous laisser submerger, vous avez fait un grand pas. Et vous allez pouvoir passer à la dernière étape : le truc en plume, amortisseur et adoucissant qui permet d’agir avec une élégance affirmée à l’agressivité. Rendez-vous la semaine prochaine (mais avant, le résumé illustré)
Les illustrations font partie du projet Sans peur et sans reproche sur lequel je travaille avec la talentueuse Florence Marguerat, dont vous pouvez voir les créations sur son Instagram:
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