Beaucoup trop encore, l’affligeante formation des managers brille soit par la transmission à la va-vite de techniques à l’efficacité douteuse, soit par son absence pure et simple. Ce vide est responsable d’une bonne partie du stress en entreprise, autant pour les managers eux-mêmes que pour leurs équipes. Car les managers ne sont pas les petits chefs malveillants qu’on a tendance à voir partout: le plus souvent, ils n’ont pas appris à faire ce qu’on exige d’eux.
Expertise et évolution de carrière
Emma Najer vient d’être promue responsable d’équipe et cette promotion marque la reconnaissance de ses bons et loyaux services, de ses compétences métier, de son savoir et de son savoir-faire dans son domaine d’expertise. Lesquels se sont enrichis au fur et mesure de ses expériences, tant et si bien qu’Emma Najer est devenue l’homme – la femme – de l’art dans son métier, sa légitimité étant directement liée à ses compétences avérées. C’est d’ailleurs elle que les collègues viennent voir pour qu’elle tranche sur un point technique.
Pourtant Emma Najer semble soucieuse. C’est qu’elle n’y connait rien en gestion d’équipe et sa société ne prévoit pas de lui offrir des stages de management. Elle rumine cette nouvelle fonction et se pose mille questions :
– Comment va-t-elle se positionner ?
– Comment va-t-elle fixer des objectifs à son équipe ?
– Comment sa nouvelle fonction va-t-elle impacter ses relations existantes ?
– Comment va-t-elle communiquer avec ses anciens collègues devenus subordonnés ?
– Comment va-t-ellemotiver son équipe ?
– Comment va-t-elle les impliquer ?
Ou pire: Emma Najer ne se pose aucune question, elle a une idée très précise de ce que signifie être chef d’équipe, son Oncle Alfred l’a été avant elle: c’est avoir un ascendant officiel sur ses collaborateurs. En tant que boss, c’est simple, elle décide et les autres exécutent. Sans moufter.
Managers non formés, générateurs involontaires de stress
Emma Najer, c’est aussi ce salarién homme ou femme, qui devient chef de service, cet ingénieur qui devient chef de projet. Son histoire est évidemment celle du middle management dans nos entreprises, propulsé du jour au lendemain dans des postes pour lesquels ils ne sont pas outillés. Et les voilà qui se dépatouillent comme ils peuvent à gérer des exigences de l’entreprise d’une part et des gens à la complexité confondante d’autre part. Ils croyaient avoir décroché la lune et se retrouvent entre le marteau et l’enclume.
Le plus souvent, ils étaient pleins de bonnes intentions, décidés à manager avec humanité. Mais les difficultés quotidiennes et les exigences de performances ont rapidement raison de ces bonnes résolutions: ils finissent par avoir recours à tout un tas de solutions anti-relationnelles (issues du triangle de Karpman) parce que, n’ayant pas à leur disposition d’autres outils, ils font ce qu’ils peuvent. Ainsi, l’augmentation ahurissante des comportements persécuteurs, manipulateurs, voire pervers est directement liée au durcissement des exigences de type faire-mieux-avec-moins, en particulier lorsque celles-ci atteignent les degrés irréalistes que nous connaissons tous aujourd’hui.
C’est ainsi que les managers peuvent devenir les vecteurs involontaires d’un stress relationnel, voire de harcèlement, sans pour autant être de parfaits sales types (ou nanas) à la base. C’est leur propre stress qui les pousse à des comportements inacceptables. Notons au passage que le stress lié à l’ampleur des responsabilités pousse de plus en plus de cadres à refuser des postes de management.
Indispensable formation
La promotion du middle management, pour qu’elle soit productive et relationnellement efficace, passe par un accompagnement spécifique, sans quoi il y a de fortes chances qu’elle aille gripper les dynamiques de travail. Car in fine, la personne et la façon dont elle s’inscrit dans son environnement professionnel auront été oubliées, au bénéfice de son propre stress. Et au delà d’Emma Najer, c’est toute son équipe qui est mise en danger. La promotion n’étant qu’un acte de management parmi d’autre, elle se doit d’être réfléchie pour éviter que le manager devienne l’un des rouages du stress au lieu d’être l’un de ceux du bien-être au travail.
Comment aider ces personnes à passer d’une expertise métier, de contenu, à une expertise de processus, d’animation et de leadership, puisque c’est le terme en vogue ? Comment les amener à être une courroie de transmission entre le terrain et les autres échelons ? Comment rendre cet accompagnement/investissement individuel de départ directement mesurable au niveau de la dynamique de travail et de la performance globale de l’entreprise? En développant la posture managériale, plutôt qu’en transmettant une simple collection d’outils prêts à l’emploi.
Management clé-en-main et “managers-coachs”
Outiller Emma Najer, c’est bien autre chose que de lui inculquer des théories managériales figées et des outils anté-ferroviaires version sandwich (deux commentaires positifs encadrant un commentaire négatif, technique dont la subtilité frise le prix Nobel de la bêtise, le degré zéro de la communication), encore répandus aujourd’hui. On n’est pas sortis de l’auberge du management placage de recettes toutes faites et contre-productif, qui génère davantage de méfiance et de stress que d’esprit d’équipe.
De même, s’il s’agit de le transformer en “manager-coach” en 5 jours de séminaire (là où il faut 1 an pour former un coach), alors on a pas fini de former des cohortes de petits persécuteurs en chef qui pourraient céder à la tentation des jeux de pouvoir et à utiliser les techniques propres au coaching dans le but d’obtenir ce qu’ils veulent, par opposition à ce que veut le coaché, ce qui est une hérésie.
S’imaginer former des “coachs” outillés pour un management bienveillant et respectueux du salarié, tout cela en quelques jours, sans travail sur soi et sans supervision, est une illusion dangereuse. La nature humaine est ainsi faite que nos besoins nous poussent à des jeux de domination/soumission qui se perpétuent et se renforcent tant qu’il n’y a pas de volonté d’en sortir et de s’essayer à des schémas relationnels poins primitifs. Ensuite, la volonté est une chose, porter un regard objectif sur ses propres comportements pour les modifier en est une autre. Maîtriser l’écoute active et la notion d’objectif SMART ne garantit pas des abus de pouvoir!
Posture managériale: développer les compétences relationnelles
Ce dont Emma Najer a besoin, c’est de développer le leadership de lui-même avant de développer du leadership tout court. Cela passe par deux étapes qui lui fourniront le cocktail indispensable: une bonne relation à soi et une bonne relation aux autres. Ces compétences relationnelles sont la condition sine qua non d’un management sain et la sortie des rôles relationnels, grande oubliée des formations.
- Cela passe d’abord par la relation à elle-même d’abord. Lui permettre de gagner en confiance et en assurance de façon à lui éviter de croire que prendre l’ascendant est le seul moyen de gérer une équipe (la peur qui génère le besoin de faire peur, en quelque sorte) ou de s’inscrire de n’importe quelle manière dans le triangle de Karpman, car après tout, un manager peut être autant persécuteur que sauveur ou victime. Autrement dit: de façon à ce qu’elle puisse exercer une autorité hiérarchique sereine. C’est d’abord dans la relation à soi que se trouve la clé d’un positionnement à autrui qui parvient à concilier une relation d’égal à égal avec la relation hiérarchique.
- La relation à l’autre vient ensuite. L’affirmation de soi, qui est la conséquence d’une relation à soi solide, permet d’exercer une autorité hiérarchique de façon saine, sans avoir recours aux prises de pouvoir qui génèrent toutes sortes de petites manipulations, ouvrent la porte à une ambiance détestable faite de compétition interne plutôt que de collaboration, de méfiance, de relations pourries. La relation à l’autre inclue bien entendu les compétences communicationnelles essentielles à des échanges clairs et dénués de ces abus verbaux et linguistiques qui peuvent être une forme de violence.
Ce double renforcement est bien entendu un travail entièrement personnalisé, qui va s’appuyer sur les mécanismes internes du manager, ses fonctionnements émotionnels, ses spécificités comportementales, ses goûts, ses valeurs d’un part, et s’adapter à son environnement d’autre part. Cette personnalisation est indispensable à une appropriation pertinente des outils et évite un formatage aussi indésirable qu’inefficace. C’est aussi un travail étalé dans le temps, de façon à ce que l’appropriation et la personnalisation puissent se faire au travers d’expérimentations diverses. Les groupes de pairs qui permettent le partage d’expérience, l’émergence de solutions et la sortie de l’isolement sont un excellent complément.Quelques exemples de compétences à renforcer :
- Renforcer le bien-être et l’estime de soi : pour entretenir un état d’esprit serein et dynamique à la fois, plus résistant moralement aux aléas du quotidien professionnel.
- Développer l’affirmation de soi et les compétences relationnelles: pour pouvoir exercer son autorité sans autoritarisme et favoriser des relations agréables et efficaces.
- Comprendre et éviter les ratés de la communication : car la clarification de nos interactions favorise un climat bienveillant et confiant.
- Comprendre les émotions (les siennes comme celles de ses collaborateurs): pour être en mesure de gérer son propre stress et d’interagir avec chaque collaborateur en fonction de ses mécanismes propres, plutôt qu’en fonction d’un système formaté, et ainsi éviter de participer à son stress potentiel.
- Savoir répondre aux besoins d’appartenance et de reconnaissance de ses collaborateurs, comme aux siens: parce que les besoins socio-affectifs sont fondamentaux pour le bien-être au travail.
Cela pourra se traduire ensuite par une délégation sereine et confiante, l’art de mener des réunions, de désamorcer des conflits, mais aussi par l’intégrité, l’exemplarité, la bienveillance, l’authenticité etc… autant de comportements révélateurs d’un état d’esprit qui facilite l’esprit d’équipe, le respect, l’engagement.
De plus en plus de sociétés de formation, de consultants et de coachs proposent des formations pertinentes à la posture managériale, cependant reste encore à convaincre les entreprises de généraliser ces accompagnements à tous les nouveaux promus, histoire qu’ils ne se retrouvent pas seuls face à à des situations insurmontables. Le retour sur investissement sera au bénéfice de tous.
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Bien-être et plaisir au travail: les compétences psychosociales
Aller plus loin
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Cet article est un mise à jour d’un billet publié initialement le 17 juin 2011.
Très bon article ! Il semble en effet que la plupart des formations (express) en management se cantonnent à donner quelques astuces techniques, et à tracer rapidement le portrait personnel du manager apprenant : vous êtes type 7, couleur rouge, plutôt triangle.
Passer d’expert à manager, c’est changer de posture, et comme tu le dis cela passe avant tout par une évolution personnelle, intérieure.
Intelligence émotionnelle et sociale, conscience de soi et des autres, gestion de soi et des autres : ça se travaille, ça s’apprend.
Les compétences dites “molles”, relationnelles et sociales commencent seulement à être considérées comme centrales.
A nous d’aider à changer la croyance collective que les études et la formation technique font tout !
Bravo, je trouve votre article très pertinent.
Effectivement, la bonne prise en charge de personnels est souvent laissé de côté et c’est bien dommage car l’entreprise se prive d’un vivier de compétences et d’un plus concurrentiel.
Très belle journée
Corinne
Les employés propulsés chefs sans aucune formation ni expérience en management découvrent le “métier” sur le tas et font stresser leur équipe – bien souvent.
Il faut absolument former ces gens qui prennent des responsabilités sans connaître les rouages du management. Il ne doivent pas être simplement un maillon de la transmission des “ordres” de la direction.
Ils doivent être force de proposition avec leur équipe.