On parle beaucoup d’accueil et d’acceptation des émotions, ce qui est déjà un grand pas, mais encore trop peu de l’intérêt des messages qu’elles nous transmettent et qui nous poussent à agir dans le concret pour modifier ou nous débarrasser de ce qui les a déclenchées. Nos émotions sont la boussole de notre bien-être, apprenons à les écouter.
Les émotions, des messages très concrets
Les émotions, voilà un sujet qui me met la carafe en ébullition, qui m’enthousiasme et dont je pourrais parler pendant des heures, tant il y a là une mine d’or à exploiter, autant pour gagner en plaisir de travailler que pour nous orienter professionnellement ou améliorer nos relations. Car l’émotion, pour peu qu’on lui accorde un peu d’attention au lieu de simplement « l’accueillir » a beaucoup de choses à souffler à nos esgourdes parfois un poil trop ensablées, et des choses très concrètes : elles nous parlent des actions à mener.
Nous avons parfois tendance à faire de l’émotion une expérience un brin abstraite, comme s’il s’agissait là de quelque chose à subir tant bien que mal, le temps que ça passe, sous prétexte que l’émotion est temporaire. Pourtant l’émotion, littéralement « mise en mouvement » a un rôle très concret : nous pousser à agir dans un sens donné, selon la nature de l’émotion en question.
Car l’émotion n’est que le messager d’une formidable mécanique interne qui veille sur nous, judicieusement placée entre les oreilles dont je parlais plus haut. Et cette mécanique aux rôles multiples en a un qui est crucial pour notre bien-être : l’évaluation des risques. Notre cerveau a tout une équipe qui bosse là-dessus et qui nous envoie ses conclusions via l’émotion. C’est la raison pour laquelle accueillir l’émotion, c’est bien, déchiffrer son message et agir en fonction, c’est encore mieux.
Les 4 rôles des émotions
Les messages des émotions sont très concrets : ainsi cet article montre que si les chercheurs ne sont pas encore d’accord sur une définition commune de l’émotion, ils s’accordent sur son utilité, au travers de 4 rôles majeurs, étroitement liés et qui peuvent potentiellement fonctionner comme des vases communicants:
- Attirer notre attention vers un changement important pour notre bien-être
- Nous motiver à choisir l’action appropriée
- Connecter notre perception et notre interprétation des événements à nos comportements
- Définir des priorités dans le cas où nous avons plusieurs actions possibles
De l’importance d’accueillir ET déchiffrer l’émotion
Pourtant, la plupart du temps, il nous est conseillé d’accueillir l’émotion (au sens d’accepter son existence), éventuellement de s’aider de dérivatifs (sport, méditation etc) et c’est à peu près tout.
Mais il ne suffit pas d’accueillir l’émotion et il n’est ni utile ni intéressant, dans de nombreux cas, de chercher simplement à en accepter le caractère temporaire pour la traverser sans réellement s’en préoccuper. C’est sans doute vrai d’un agacement à cause d’un embouteillage ou du retard d’un train. Ça ne l’est pas du tout face à ce qui nous agace ou nous contrarie, ce qui nous inquiète ou nous angoisse, ce qui nous attriste et nous démotive au travail, qui demande à être traité pour éviter de tomber dans le stress.
Et inversement, il est impossible de nous débarrasser du stress si nous n’agissons pas sur ce qui le déclenche.
Puisque nos émotions nous indiquent les actions à mener pour revenir dans le bien-être, aller taper dans un ballon ou faire un peu de méditation sans chercher à résoudre la situation, c’est tout simplement ignorer le signal d’alarme envoyé par notre cerveau, qui reviendra sonner plus fort à la prochaine situation similaire.
Le sport, les techniques de respiration, de relaxation ou de méditation peuvent être très utiles lorsqu’ils accompagnent le déchiffrage du message de l’émotion et le passage à l’action. Ils peuvent apporter un peu plus de sérénité et de confiance face aux actions à mener. Mais les substituer au traitement du déclencheur de l’émotion, en particulier dans le cadre du travail, c’est se refuser à soi-même des pans entiers d’information essentielles à notre bien-être, à notre plaisir de travailler, ignorer notre propre pouvoir d’agir sur nos vies professionnelles et se contraindre à subie et à se sur-adapter en permanence à des conditions qui peuvent ne pas nous convenir. En d’autres termes : une porte ouverte aux 3 B du bosseur (dés)abusé : burn out, bore out, brown out.
De l’émotion au job crafting : vers moins de stress et plus de plaisir
Alors qu’à l’inverse, déchiffrer les messages que les émotions nous transmettent, c’est nous autoriser à réfléchir à des traitements possibles de ce qui les ont déclenchées, des solutions à inventer, à expérimenter, des actions concrètes à mener pour améliorer ce qui peut l’être, bref, de se mettre avec entrain à un job crafting réjouissant. Ce qui favorise à la fois l’acceptation de soi, l’estime de soi et par ricochet, la confiance en soi. Et bien entendu, le plaisir de travailler.
Ces changements, dans le cadre du travail, peuvent être aussi bien méthodologiques, organisationnels que relationnels. A l’évidence, certains de ces changements nécessaires sont hors de notre contrôle et dépendent plus largement de la gouvernance de l’entreprise, de sa culture, de la dynamique de l’équipe dans laquelle nous travaillons, du management, et notre marge de manœuvre est alors réduite, voire inexistante. Cependant nous pouvons agir sur beaucoup d’autres : notre propre organisation, notre façon de travailler, nos relations avec nos collaborateurs, collègues et la hiérarchie, le contenu même de notre travail et ces changements-là auront un impact non négligeable sur notre sentiment de satisfaction et de plaisir de travailler.
Réconcilier raison et émotions
L’émotion, si désagréable soit-elle, n’est pas l’ennemi, bien au contraire. Car c’est elle qui va non seulement nous indiquer la nature des expérimentations à mener, mais aussi à en évaluer les résultats et à décider ensuite de l’étape suivante : continuer, adapter modifier, ou tester tout autre chose en cas de bénéfices largement insuffisants.
La part d’émotion qui intervient par exemple dans la prise de décision est connue depuis longtemps, or consciente ou peu consciente, celle-ci précède l’action. Il n’y a donc pas lieu d’opposer émotion et raison ou rationalité, mais bien de les réconcilier. Comme l’explique cet article sur Cairn info « Les émotions ne sont donc pas considérées ici comme un facteur marginal intervenant de temps en temps, mais bien comme constitutif de toute activité qui se déploie dans un flot constant et mouvant d’états émotionnels qui orientent et impactent l’action, la relation et la réflexion, et qui sont eux-mêmes modifiés par l’activité qui se déploie et la situation qui se construit. »
D’autre part, émotions et raison ne s’opposent pas, bien au contraire: « Les recherches de ces dernières années montrent au contraire que, dans la plupart des situations, les émotions facilitent les processus cognitifs » insiste Cortex mag.
Cette réconciliation passe avant tout par la compréhension du message spécifique de chaque émotion et des actions qu’elles nous suggèrent. Nous pouvons alors réfléchir et raisonner, non pas dans le sens étouffer l’émotion, mais sur l’action qu’elle nous propose, le plus souvent sous la forme d’une direction à suivre, que nous pouvons alors questionner, définir, clarifier, peaufiner.
Le message des émotions
Les émotions nous indiquent la voie des actions que nous avons besoin de mener au travers de nos besoins. De manière schématique, lorsque ceux-ci sont comblés, nous ressentons des émotions positives*, et inversement, lorsqu’un ou plusieurs d’entre eux ne sont pas comblés, nous ressentons des émotions négatives*. Et ces émotions varient selon la nature du manque. Voici 4 messages génériques transmis par nor émotions
- Le plaisir (certains choisissent le terme joie, à vous de voir où va votre préférence:) qui comprend toutes les nuances d’émotions positives, nous indiquent que la situation nous va bien, nous fait du bien et que nous pouvons continuer dans ce sens.
- La colère nous indique que nous ne nous sentons pas entendus, pris en compte, respectés, que quelque chose dépasse nos bornes, heurte nos valeurs ou potentiellement que les choses n’avancent pas assez vite. Pour nous détendre, nous avons besoin de trouver les moyens de nous faire entendre et de faire avancer concrètement les projets.
- La peur, trop souvent limitée à un besoin de sécurité, nous indique que nous nous sentons enfermés, coincés dans une situation, et/ou que nous manquons de quelque chose qui est essentiel à notre bien-être, à notre efficacité et/ou à notre capacité à résoudre la situation (cela peut être aussi bien un manque de temps, d’espace, de choix, de marge de manoeuvre, d’information, de matériel, de compétence, de personnel etc.). Pour nous rassurer et retrouver notre créativité, nous avons besoin de combler ce manque. Le sentiment d’insécurité nait donc du manque et n’indique pas forcément un besoin de davantage de sécurité.
- La tristesse est le plus souvent associée au chagrin de la perte de quelque chose ou de quelqu’un d’important à nos yeux, mais parmi les nuances de la tristesse, on trouve aussi la lassitude, la démotivation, le découragement, le sentiment qu’à quoi bon qui soufflent à nos oreilles que la situation nous paraît absurde, incohérente, incompréhensible. Pour retrouver de l’allant, nous avons alors besoin de comprendre ce qui se passe et de nous sentir utiles au travers d’actions utiles et pleines de sens.
Intéressons-nous à nos émotions
Ce billet est donc une invitation à vous intéresser à vos propres émotions, les décrypter pour œuvrer avec elles plutôt que contre elles, dans un sens qui vous permet de revenir à plus de plaisir et de sérénité quand c’est nécessaire. Et à vous intéresser aux émotions de ceux qui vous entourent au travail, pour mieux interagir avec eux, nous exprimer collectivement davantage sur ce qui nous chiffonne ou ce qui nous satisfait, sur nos besoins et nos préférences et aller ensemble vers davantage de calme, de collaboration, et de plaisir de travailler, y compris en traversant mieux les désaccords et les conflits, en intégrant les divergences d’opinion, les besoins contradictoires et en les articulant au mieux.
Commençons d’abord par cesser de vouloir les réprimer, les minimiser ou d’en juger la légitimité. Toute émotion nous parle de nous et de la façon dont nous percevons la situation à laquelle nous sommes confrontés. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de réagir émotionnellement à quelque chose, il y a simplement la nôtre, qui nous parle de nous et de nos besoins.
Voici diverses pistes pour vous intéresser aux émotions, qui ne représentent qu’une petite partie du travail que je fais avec mes clients, mais qui pourra déjà vous éclairer sur le désordre brouillardeux que nous ressentons parfois au milieu de l’océan de nos émotions. Vous pourrez aussi trouver d’autres pistes, autant sur ce site que dans mon livre. Toutes ces pistes ont un objectif à la fois personnel et relationnel, les deux étant indissociables d’un sentiment général de satisfaction professionnelle.
Explorer la diversité des émotions
Il nous est souvent difficile de simplement mettre des mots sur nos émotions parce que nous leur accordons peu d’attention. Nous finissons par les catégoriser bien/pas bien, cool/stress, ce qui ne participe pas à leur déchiffrage ou à leur compréhension. Explorer leur diversité, c’est aussi mieux se connaître et mieux s’accepter.
- De l’importance de la distinction entre stress et émotions
- La météo intérieure: des mots et des émotions
- Biodiversité émotionnelle: la philosophie du pissenlit
Comprendre les émotions au travail
- Redevenir responsables de nos émotions !
- Les émotions, alliées du bien-être au travail
- Efficacité professionnelle et émotions
Agir avec nos émotions
- 10 étapes pour nous réconcilier avec nos émotions (partie 1): observer
- 10 étapes pour se réconcilier aux émotions (partie 2): comprendre et agir
Les émotions au service de l’élégance relationnelle
- La lecture émotionnelle au service des relations
- Collaboration: la lecture émotionnelle pour régler/prévenir un conflit
- Elégance relationnelle: parler de nos émotions en toute simplicité
* les termes “émotion positive” et “émotion négative” font parfois débat chez ceux qui pensent qu’il s’agit là d’un jugement bien vs pas bien. Ce n’est pas du tout le cas, il s’agit d’une qualification qui précise:
- Emotion positive : qui ajoute quelque chose, qui indique un bénéfice
- Emotion négative : qui enlève quelque chose, indique un manque
Voir aussi
L’émotion et la prise de décision – Delphine Van Hoorebeke – Revue française de gestion
Les émotions, une conception relationnelle – Anna Tcherkassof, Nico H. Frijda, L’année psychologique
Aller plus loin
Vous voulez mettre vos émotions au service de vos relations professionnelles autant que de votre plaisir de travailler? Ithaque vous propose deux accompagnements originaux, tant dans leur approche que dans leur contenu:
- Job crafting et plaisir de travailler
- Sans peur et sans reproche: l’élégance relationnelle au service du plaisir de travailler (ensemble)
Pour tous renseignements, contactez Sylvaine Pascual