Vous, je ne sais pas, mais moi, il m’arrive de procrastiner. Il m’arrive même de procrastiner grave et c’est la raison pour laquelle je me suis beaucoup intéressée au sujet à une époque où on en parlait très peu. Et maintenant, on en parle beaucoup, à peu près toujours de la même manière, à coup de recettes, trucs et astuces qui, s’ils avaient la moindre efficacité, auraient eu raison de la procrastination en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Pour remettre les pendules de ce comportement à l’heure, voilà tout ce que vous avez toujours eu besoin de savoir sur la procrastination.
Devant la mare aux clichés, je procrastine sur la procrastination
IL n’y a rien à faire: sur la procrastination, on nous ment, on nous spolie, on nous abreuve d’idioties. Même ceux qui se sont emparés des recherches passionnantes menées par des scientifiques spécialisés finissent toujours par ressortir les mêmes rengaines: to-do-list, récompense et puis quoi, disciplinez-vous les gars! Organisez-vous, c’est quand même pas compliqué! Et la presse aussi est friande de recettes faciles, ce qui est la raison pour laquelle depuis plusieurs années, je refuse les interviews sur le sujet. La seule qui ait jamais porté un regard plus subtil, plus sensible et plus intelligent sur la procrastination est Sophie Peters, dans un billet pour la Tribune, mais on n’en attendait pas moins d’elle: la subtilité est sa marque de fabrique;)
Pour tout vous dire, j’ai finie tellement fatiguée de lire toujours la même chose que je me suis mise à procrastiner sur la procrastination: je m’en suis désintéressée, ayant intégré la mienne comme une caractéristique à prendre en compte d’une part, et étant convaincue que les procrastinations chroniques, les procrastinations de haut vol nécessitent un travail sur/avec soi qui est plus de l’ordre de la psy et de la thérapie que du coaching.
Mais des publications récentes qui n’ont pas évolué d’un iota sur les conseils inutiles me sortent, le temps d’un billet, de ce dégoût engourdi qui m’avait poussée au silence, je reprends mon bâton de pèlerin, parce que dans la mare aux clichés et idées reçues, le canard procrastinateur risque de s’embourber… L’auto-bienveillance est de mise, la procrastination n’est pas un ennemi! Cet article très complet de Psychological Science explique que dire à un procrastinateur de simplement s’y mettre revient à dire à un dépressif d’avoir le moral. Libérons-nous de la poursuite vaine de trucs, astuces et solutions faciles qui n’existent pas et explorons ce comportement complexe lié à la régulation des émotions et à l’estime de soi.
Tout ce que vous avez toujours eu besoin de savoir sur la procrastination
Du coup, je vous propose une petite rétrospective que j’aurais pu intituler tout ce que vous avez toujours eu besoin de savoir sur la procrastination, ou même un truc un poil plus malin, si je n’avais pas remis aux calendes grecques la recherche d’un titre digne de ce nom.
1- La procrastination chronique est source de souffrance de stress et de mauvaise santé
Du moins pour les procrastinateurs de haut vol. Elle est souvent associée à des émotions pénibles qui paralysent et empêchent le passage à l’action. Il ne suffit donc pas de répéter à quelqu’un qui remet tout à plus tard de décider de s’y mettre une bonne fois pour toute. C’est potentiellement très culpabilisant pour lui qui n’y arrive pas, alors qu’il sait parfaitement ce qu’il “devrait” faire. Elle génère aussi davantage de stress à long terme et de problèmes de santé. A tel point que les procrastinations très ancrées nécessitent une intervention psy. Voir
2- La procrastination est un comportement de protection
La procrastination n’est pas une habitude, c’est un moyen inconscient de nous protéger face à une situation/des tâches perçues comme dérangeantes, pénibles ou menaçantes. Elle est donc liée à la régulation des émotions. Depuis quelques années, elle augmente car elle nous protège aussi de la tyrannie de l’urgence et de l’immédiateté*. Selon Psychomédia, la procrastination chronique concernerait aujourd’hui 20% de la population. Elle est donc un allié de notre bien-être et non pas un ennemi, voire même pas réellement un problème. On associe trop la procrastination avec le choix court-termiste d’un plaisir paresseux, mais elle ne signifie pas nécessairement jouer à un jeu vidéo ou regarder une série télé au lieu de travailler. On peut parfaitement procrastiner une tâche en passant à une autre tout aussi importante ou complexe, mais perçue comme moins désagréable ou anxiogène. Pour ma part, je procrastine la compta et l’admin en écrivant des billets de blog^^ Chercher à la combattre au lieu de la comprendre est contre-productif et inefficace sur le long terme. Voir:
3- Chercher à s’en débarrasser va surtout apporter un surcroît d’anxiété
Vouloir à tout prix “vaincre” la procrastination génère anxiété, attentes, auto-jugement et stress qui auront tendance à l’augmenter. Mieux vaut l’accueillir et explorer les messages qu’elle transmet pour les intégrer dans un travail de renforcement de l’estime de soi et du plaisir au travail. Car il n’y a pas besoin de se protéger du plaisir, et du coup on peut alors regagner en efficacité. Voir:
4- Les techniques universelles n’existent pas!
Il y a tellement de raisons et de façons de procrastiner qu’il est vain de croire qu’il existe des techniques imparables pour s’en débarrasser. S’acharner à appliquer des méthodes miracles, mène souvent tout droit à la déception et à la dévalorisation. En particulier les recettes issues de la gestion du temps ou de la navrante GTD. La gestion de la procrastination, pour être efficace, a besoin d’être personnalisée de façon à répondre aux perceptions et aux systèmes de croyances de chaque procrastinateur. Voir :
5- La procrastination est souvent liée à des peurs du domaine de l’estime de soi
Comme la peur de la réussite, du jugement, de l’inconnu, de ne pas être à la hauteur etc. Il est dons plus utile de renforcer l’estime de soi, à petits pas, que de s’efforcer de “se discipliner” à coups de méthodes d’organisation ou des gestion des priorités. D’ailleurs, le procrastinateur sait parfaitement où sont ses priorités, mais il préfère souvent (pas très consciemment) qu’on le croit paresseux plutôt que pas très bon. Voir:
Cela dit, il peut y avoir bien d’autres raisons. Ainsi la procrastination peut être l’indicateur d’inappétences marquées pour ce que nous avons à faire mais que nous n’écoutons pas. Ce qui peut parfois être considéré comme de la mésestime de soi, d’ailleurs: je ne m’écoute pas car mes émotions, mes besoins et désirs n’ont pas de valeur
6- Le perfectionnisme est LA bonne excuse*
Pour beaucoup de procrastinateurs, “c’est pas de ma faute, c’est mon perfectionnisme”. Il a bon dos ce perfectionnisme qui donne une image plus acceptable de ses difficulté à agir! En réalité, il empêche rarement de passer à l’action, il a surtout tendance à augmenter le temps passé sur la tâche. La recherche a montré que les perfectionnistes procrastinent moins que la moyenne et que cette excuse donnée partout à la procrastination est une erreur d’évaluation, tout simplement parce que les perfectionnistes qui procrastinent sont plus susceptibles de se faire aider que les autres. La plupart du temps, ce comportement masque une fragilité de l’estime de soi qui a du mal à dire son nom. Voir:
7- Personne n’est à l’abri. Nous procrastinons probablement tous à des degrés très divers
Elle peut surgir du jour au lendemain, au moment où nous rencontrons un élément anxiogène. Par exemple lorsqu’on s’est fixé un objectif ambitieux ou qu’un projet professionnel s’avère plus compliqué que ce que nous avions anticipé. Ou encore quand le stress s’accumule et/ou que le burnout pointe le bout de son nez. Beaucoup de mes clients sont des gens qui ont longtemps procrastiné la réflexion sur leur projet professionnel à coups de rationalisations qui leur évitaient de penser à ce qu’ils considèrent une prise de risque. Il semble d’ailleurs que la procrastination soit en constante augmentation face aux exigences de plus en plus excessives de nos vies professionnelles. Ha tiens… Voir aussi:
8- La procrastination dite positive est simplement une forme de gestion du temps
La procrastination positive est le fait de remettre sciemment à plus tard des tâches qui risqueraient de venir perturber notre équilibre et/ou notre efficacité dans l’instant et générer du stress. Elle revient finalement à une sorte d’acceptation d’une véritable gestion des tâches et des priorités sur le mode “chaque chose en son temps”. Et le bien-être sera bien gardé^^. Et le retour au bien-être, étonnamment of course, mène au gain d’efficacité.
9- Quel que soit le travail mis en oeuvre, la procrastination ne disparaît jamais complètement
Elle intervient moins souvent, puisqu’on se fait davantage plaisir, qu’on a moins de craintes et de rejet et que l’estime de soi est plus solide, mais elle revient de temps à autres. Et quand elle se pointe, nous savons alors la prendre pour ce qu’elle est: un indicateur. Un signe que nous avons un coup de mou, que nous rencontrons une difficulté passagère qui est un dossier à traiter et surtout pas un emmerdement à remettre dans notre poche avec notre mouchoir par dessus. Nous savons alors écouter son message et l’intégrer à un plan d’action pour sortir de l’ornière et nous sentir mieux. Merci la procrastination, pigeon voyageur de notre bien-être!
10- Procrastinateurs, réconciliez-vous avec vous-mêmes
Vous l’avez compris au fil de ce billet: la procrastination n’est pas un “vilain défaut” que vous “devez vaincre”. Les procrastinateurs remettent à plus tard les tâches qui les enquiquinent. Et ils devraient s’auto-flageller pour cela? Ne laissez pas les marchands de bonheur et la presse en quête d’astuces miracles vous culpabiliser de faire partie de ces affreux paresseux qui ratent des opportunités, menacent l’efficacité de l’entreprise et qui ne sont même pas foutus de se débarrasser de cette “mauvaise habitude” grâce aux bon conseils forcément issus des “neurosciences”. Pensez surtout à vous réconcilier à vous-mêmes, à accepter qui vous êtes, à apaiser cette relation avec ce vous-même sensible, faillible, merveilleusement imparfait et perclus de qualités. Et puis considérez la procrastination comme une caractéristique à prendre en compte, un mode de fonctionnement à apprivoiser.
Bonus – Laissez tomber les “trucs et astuces” et observez-vous gentiment
Contrairement à ce que prétend l’abondante littérature sur le sujet, on ne se débarrasse pas de la procrastination à coups de to-do lists, d’objectifs décortiqués en mini objectifs (sérieusement? Régler une facture, on fait comment pour décortiquer ça en mini objectifs?). Prioriser les objectifs, prendre un engagement auprès d’un tiers, ou de techniques type coaching classique (objectif smart), de récompenses fixées à l’avance (qui tuent la motivation intrinsèque) et autres techniques du même acabit sont certainement pleines de bonnes intentions, mais éminemment inefficaces. Il s’agit avant tout de comprendre le mécanismes psychologiques qui poussent à la procrastination, en d’autres termes d’explorer la relation que nous entretenons à la tâche en question, de combler ses bénéfices secondaires, de retrouver de l’estime de soi, de l’acceptation de soi et du plaisir. Bref, de travailler sur soi et non sur la procrastination, qui n’est qu’un symptôme. Et c’est ça qui est difficile, car les procrastinateurs ont tendance à se concentrer sur ce qui pourrait améliorer leur humeur plutôt qu’à tirer des conclusions sur ce qui leur pose problème.
Apprivoiser la procrastination est davantage un travail thérapeutique et psy que coaching!
Si vous êtes un procrastinateur chronique, les thérapies comportementales et cognitives peuvent vous aider
* Au cas où certains aient des doutes, on ne sait jamais: c’est bien entendu ironique. Une bonne excuse reste une bonne excuse et rien d’autre. C’est à dire simplement un moyen de détourner l’attention de la vraie raison^^
La méthode GTD possède de bons aspects. Si elle fait clairement peur quand elle est poussée jusqu’au bout, elle permet tout de même de créer un cadre qui peut aider à structurer nos tâches au quotidien. Personnellement, pour vaincre ma procrastination, j’applique la méthode des PPPP: plus petit pas possible. En somme, je réduis les tâches en micro tâches pour détruire la montagne de choses à faire un cailloux à la fois.
Peut-être que la GTD fait peur à certains, je n’en sais rien, moi elle ne me convient tout simplement pas, ni pour moi ni dans ma pratique de coach justement parce qu’elle n’est pas universelle;) Appliquer à la lettre les méthodes formatées d’autrui est en général bien moins efficace que de construire ses propres façons de faire, en fonction de soi, de ses penchants, appétences, mécanismes etc. S’il y a des personnes pour qui elle fonctionne, tant mieux mais les autres n’ont pas de raison de devoir se forcer à se couler dans ce moule-là.
Donc je ne cherche pas à vaincre, mais plutôt à observer, à écouter, à exploiter (sa raison d’être et de quoi elle nous protège) pour en tirer les enseignements nécessaires à un fonctionnement adéquat:)
Tu n’es plus seule Sylvaine !! Moi aussi je procrastine l’admin et la compta avec mes billets et mes formations 🙂
Bah, le temps passe … On change ! Maintenant je n’ai même plus honte quand je ne tiens pas cet engagement là : c’est presque devenu un petit jeu entre moi et moi 🙂
J’ai pris une assistante freelance: ça m’a changé la vie! Elle est une perle de rigueur, de travail bien fait, d’amour du classement intelligent et j’en passe, c’est un émerveillement de la regarder travailler 😀
Bonjour,
Merci pour cet article très complet sur la procrastination. Il faut savoir vivre avec la procrastination et l’utiliser à bon escient.
Et savoir tout ranger, ça aide;)
Merci pour cette article !
J’ai beaucoup aimé ton approche du perfectionnisme qui est l’excuse toute trouvée. Je veux faire les choses parfaitement, mais comme c’est compliqué, et bien je mets au lendemain !
Bien vu !
Stef
Merci:))
Le perfectionnisme a bon dos effectivement!
Article super-intéressant, merci Sylvaine pour avoir rédigé cela, le pire dans la procrastination c’est qu’on ne sent rend même pas compte par moments, il est important d’en avoir conscience.
j’en ai moi-même fais les frais!
J’ai trouvé un programme anti-procrastination, mais vu ce que je lis dans cet article, je me dis que je ferais sans doute mieux de garder mon argent de de réfléchir autrement:)
Prendre conscience de la façon dont nous procrastinons, ce sur quoi nous procrastinons et ce dont la procrastination nous protège, c’est le premier pas indispensable pour comprendre que la seule solution c’est l’écoute et l’acceptation plutôt que les “programmes” bourrés de trucs et astuces contre productifs:)