De plus en plus de cadres rechignent à manager des équipes. J’ai été interviewée par Le Monde sur les raisons de ce manque de motivation à diriger des équipes. L’occasion de revenir sur un phénomène qui risque de prendre de l’ampleur.
Etre chef / manager? Non merci!
L’article du Monde reprend les points de vue de personnes d’horizons multiples:
– Alain Pichon, sociologue et auteur de l’ouvrage Les Cadres à l’épreuve (PUF, 2008)
– Eric Peres, secrétaire général de FO-Cadres
– Nathalie Bosse, auteur de l’enquête Devenir cadre, une perspective pas toujours attrayante (Céreq)
– Et moi-même;)
avec une conclusion commune aux 4 intervenants: les difficultés inhérentes au statut de cadre et de manager font de plus en plus peur, en particulier à mesure que les crises se succèdent et que la situation dans les entreprises se dégrade. Chef, je ne veux pas être chef! – Le Monde
Manager: tout sauf une promenade de santé
Depuis trois ans, une véritable tendance est en train de prendre de l’ampleur: le refus de devenir manager. Déjà en 2009, l’association RH Entreprise et Personnel notait une véritable tendance à refuser de devenir manager. L’information avait été reprise dans cet article de France 5 Emploi: Devenir manager ne fait plus rêver. Le refus du statut cadre concernait en particulier des secteurs traditionnels, “comme l’assurance ou l’automobile, où tout reposait sur un principe de progression vers le management”
Disons-le tout net, la position de manager est potentiellement aussi inconfortable que des godasses trop petites et a les mêmes conséquences. A force de se faire des ampoules, il devient de plus en plus difficile d’avancer et on a plus qu’une envie: troquer lesdites godasses pour des tatanes qui vont laisser les doigts de pieds s’épanouir en bouquet de violettes. En d’autres termes: plus de plaisir au travail et moins de responsabilités.
Quitte à refuser une promotion, à stagner dans sa carrière, voire même à préférer la rétrogradation ou la perte de statut à un poste ultra stressant. Au risque de se heurter à l’incompréhension des DRH comme de son entourage. Car manager des êtres humains, tout en respectant des délais et objectifs imposés par une hiérarchie déconnectée, c’est tout sauf une promenade de santé.
Management: les raisons de la désaffection
Le manager a des responsabilités pas toujours simples à assumer: il passe du temps à gérer égos et bobos, exigences et gémissements, noyades dans des verres d’eau et véritables difficultés. Il suffit d’avoir une fois dans sa vie établi un planning de vacances dans un service de 15 personnes pour s’en persuader, et avoir envie d’ouvrir un forum à jérémiades pour boss stressés sur Doctissimo. Voir aussi:
Car le chef est un collaborateur comme les autres: il a lui aussi son égo potentiellement fragile, ses petits nerfs, ses grandes fatigues, ses échéances à respecter, ses comptes à rendre, ses limites et ses incompétences, mais aussi ses aspirations, ses valeurs (motrices comme morales) et ses besoins. Et dans ce tableau se trouvent les raisons de la désaffection pour les postes de cadres:
- L’absence chronique de formation à la compréhension des mécanismes humains, qui rend la gestion d’une équipe potentiellement aussi fun que d’arbitrer l’incontournable discussion politique au dîner de Noël entre le beauf et l’Oncle Alfred.
- Le stress généré par l’écart absurde entre les attentes de la hiérarchie et les moyens donnés pour atteindre les objectifs.
- Les concepts ultra creux et flous et portant omniprésents de “manager” et de “leader”, ce winner aux dents longues, à l’obligation de charisme, qui donne la direction, le sens avec aisance, tout en administrant ses collaborateurs avec une intelligence émotionnelle* fluide, zen et naturelle (ou acquise en colis express en 4 séances de coaching) qui en fait des hommes et femmes heureux et épanouis. Ces concepts développés à longueur de littérature sur le management et qui en donnent l’image d’un savoir faire bien trop complexe pour être atteignable sans y laisser un petit burnout en cours de route.
- Les nouvelles technologies qui ont rendu les cadres souvent consentants, par ignorance des conséquences, joignables à toute heure, corvéables à merci et incapables de déconnecter.
- Les horaires à rallonge, les difficultés à concilier vie professionnelle et vie privée.
- Le manque de sens, c’est à dire le sentiment de contribuer réellement à quelque chose de plus grand que soi, d’agir et de travailler en accord avec ses valeurs et ses aspirations.
- Le manque de reconnaissance, l’isolement voire la solitude, la rémunération qui ne suit pas, etc.
Des solutions: reconversion et stagnation
– ses propres besoins, motivations et aspirations professionnels
– la réalité du quotidien du chef d’entreprise, au delà de l’idéalisation d’un emploi du temps axé autour d’une passion
– comment mettre les spécificités de sa personnalité au service de la réussite de son entreprise
– les compétences relationnelles à développer, qui sont simples et du domaine du bon sens.
– etc.
Voir aussi:
Des pistes pour ceux qui, malgré tout, veulent devenir manager
- Sortir de l’égo, pour éviter de régler ses propres petits besoins de reconnaissance et ses petites et grandes peurs sur le dos de ses collaborateurs.
- Renforcer la confiance et l’assurance, pour développer une affirmation de soi saine et sereine, la capacité à prendre des décisions, y compris difficiles, la capacité à s’affirmer face à sa hiérarchie comme à ses collaborateurs, en particulier au travers d’une communication apaisée et efficace.
- Développer ses compétences émotionnelles, pour comprendre ses propres mécanismes internes et les besoins à combler que les émotions indiquent, et comprendre les mécanismes d’autrui.
- Développer les compétences relationnelles, pour des interactions saines et efficaces avec ses collaborateurs.
- Renforcer la connaissance de soi, pour un organisation ou une efficacité en fonction de soi, de ses propres talents et mécanismes, plutôt qu’en fonction d’idées reçues énoncées par de très bons marketeurs.
- Renforcer la capacité à entretenir son niveau d’énergie et de bonne humeur pour parvenir à faire face aux difficultés inhérentes aux responsabilités, ainsi qu’aux aléas d’une fonction complexe.
- S’outiller en alternatives innovantes et pleines de bon sens au management traditionnel: principes agiles, sociocratie, pyramide inversée, leadership tribal etc.
Vers la fin des chefs?
Il est intéressant de constater que la question de la suppression pure et simple des managers, en repensant intégralement le système hiérarchique des entreprises ne date pas d’hier, comme en témoigne cet article qui date de 2012, autant que d’autres publications comme cette revue du web publiée par Manpower: La semaine de l’emploi: Chef ou pas chef?.
- A lire aussi dans Les Echos Moi manager? En ai-je les capacités
- A écouter: la chronique de Philippe Duport sur France Info: Pourquoi le statut cadre n’attire plus les salariés
- La chronique de David Abiker reprenant l’article du Monde On-ne-se-bat-plus-pour-devenir-chef-123997141
- L’article de Jobat reprenant cet article : Les chefs, une race en voie de disparition ? 7 raisons
Aller plus loin
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Je retire de cet article qu’il ne faut accepter un poste de management, que quand on est prêt à exprimer un NON clair et argumenté à son N+2 (le chef de celui qui me propose le poste).
C’est bien ça ?
La plupart des managers ne savent pas manager…ils se voient comme des gardes-chiourmes incapables de faire confiance à leurs subordonnés et sont soumis d’autre part à une pression infernale de leurs supérieurs avec des objectifs bien trop souvent inatteignables sous prétexte qu’à une meilleure époque les résultats étaient plus aisément accessibles. Cette pression explose crescendo sur les rangs inférieurs…comment dès lors être en mesure d’accepter des responsabilités par lesquelles on finit par nuire à son prochain sinon à soi-même psychologiquement et éthiquement parlant alors qu’on devrait travailler avec un esprit d’équipe. Le top management ne travaille pas avec un esprit d’équipe quoiqu’ils en disent. Il ne voit que son propre intérêt (quitte à se tirer avec la caisse) puisqu’en tant que décideur il a le choix d’accepter ou de virer des personnes pour des motifs plus ou moins fallacieux. J’en ai connu qui virait les gens parce qu’ils avaient le tord d’avoir les mains moites…c’est dire la haute intelligence de ces gens là.
J’ai connu également des centraliens qui crachent sur les niveaux inférieurs plutôt que de leur tendre la main pour les aider à s’élever – aucune vision sociétale d’une société humaine…cette éducation élitiste égocentrique provoque des dysfonctionnements humains dans toutes les structures et l’on s’étonne que l’économie aille mal !
Désolé d’être aussi acerbe, mais un peu d’humanisme et d’intelligence (je ne parle pas d’intellect) serait souhaitable pour que chacun se sente en harmonie avec la société que nous construisons et surtout avec les autres sans qui nous ne sommes rien.
Bonjour Stéphane,
Vous décrivez ce qu’est la réalité de beaucoup de managers: pris dans les injonctions paradoxales, sans formation au management ou aux compétences relationnelles, qui se trouvent démunis face à leur propre situation… et peuvent avoir recours à des solutions pas très malines ou simplement humaines.
Je mets un bémol cependant: les centraliens ne sont pas un exemple type, parmi eux, certains sont extraordinaires, d’autres moins outillés, comme c’est le cas à la sortie de n’importe quelle grande école et de n’importe quelle formation dans laquelle on néglige le travail sur soi et les compétences relationnelles;)
Le vrai problème ca n’est pas le managment ou manager mais le glissement de la fonction : autrefois un manager avait “son” équipe avec qui il tissait des liens et avancait, et si a un moment il fallait trancher ou prendre des responsabilités, le manager était là : c’était son job. Maintenant on parle beaucoup de “managment transversal” car on est dans une époque ou tout le monde est cadre, donc un cadre va manager d’autres cadres, de manière temporaire, ça ne sera pas “son” équipe mais des bout de compétences entassés de manière ponctuelle ou le manger n’aura aucune liberté d’action : comment atteindre des objectifs réels avec des “ressources” mouvantes et aucun pouvoir de décision sur son projet/équipe ??
Au final il est la le problème : aujourd’hui nous n’avons plus de “manager” au sens ou cet article le comprend.
C’est probablement bien pour cela que les cadres ne veulent plus manager;)