Inventé en 1940 par Alex Osborn, publicitaire américain, le brainstorming est censé favoriser la créativité en groupe, en particulier concernant la résolution de problème. Mais en réalité, dès les années cinquante, des études* ont montré que la méthode collective ne favorisait pas l’émergence d’idées originales ou plus nombreuses. La raison: son principe trèèèèès américain d’absence de critique, qui se révèle peu efficace.
Vilaine critique, tais-toi!
Le remue-méninge tel qu’il est encore pratiqué, a pour objectif de favoriser la créativité dans le cadre de la résolution d’un problème, la conception, l’innovation etc. Il repose sur quatre principes:
– Aucune critique n’est autorisée
– Penser et s’exprimer librement et son corollaire: autoriser et accueillir la totalité des idées, toutes étant considérées comme bonnes.
– Multiplier les idées en rebondissant sur celles exprimées.
– Chercher à obtenir le plus grand nombre d’idées possibles, au prétexte qu’une bonne idée à plus de chances d’émerger d’une grande quantité que d’une petite.
La critique serait donc l’ennemie de la créativité, qui bride l’imagination et l’expression, et elle est donc priée de se taire. A juste titre? Apparemment pas.
Absence de critiques et idées superficielles
Cette jolie vidéo RSAnimate nous explique pourquoi le brainstorming ne marche pas: la faute à l’absence de débat et de discussion, bref, de critique des idées, justement.
La principale règle du remue-méninge est l’interdiction de critiquer les idées des autres, toutes doivent être considérées comme de bonnes idées. Cette règle étant censée éviter l’auto-censure de ceux qui pourraient craindre les jugements et de débrider ainsi l’imagination.
Pourtant, la recherche* a montré que le groupe qui fonctionne selon les principes de remue-méninge génère moins d’idées et des idées moins originales que si chacun avait réfléchi dans son coin. D’autre part un groupe dans lequel le débat et la discussion sont autorisés génèrent entre 25 et 40% d’idées en plus.
Tout ça parce qu’en l’absence de critique possible, nous avons tendance à traiter chaque idée de façon superficielle, sans la creuser suffisamment (faire preuve d’esprit critique) et l’association d’idées y perd. D’autant plus que c’elle-ci est limitée par notre langage qui s’en tient en général toujours aux mêmes métaphores et clichés. Ainsi, si l’on suggère le mot “bleu”, on peut prévoir que les associations tourneront autour de “vert”, “océan” et “ciel” et au final n’aboutiront pas à grand-chose de plus original que “jeans” ou “schtroumphs”.
Inversement, la critique des idées permet d’aller plus loin parce qu’elle éveille la réflexion et nous pousse à réfléchir plus avant, plus dans les détails et c’est à ce moment-là que l’imagination est la plus sollicitée.
D’autre part, l’exigence d’absence de critique peut aussi générer des freins à exprimer ses opinons, la peur de passer pour un affreux “éviter de” qui amènent à prendre des décisions absurdes:
Réhabilitons la critique des idées
Ajoutons à cela les recherches** qui ont montré que la règle d’absence de critique ne limite pas l’auto-censure par crainte du ridicule ou de l’exclusion et nous voilà en plein angélisme typiquement américain: la croyance qu’interdire la verbalisation d’un jugement donne au groupe une bienveillance magique et des relations saines, version “tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil”. Nous interdire d’exprimer une critique ne la supprime pas de notre cerveau, et du coup nous nous attendons aux critiques non verbalisées des autres.
D’autre part, il ne suffit pas de donner l’injonction de penser et de s’exprimer librement pour que ça se produise, sinon aucun d’entre nous n’aurait jamais la moindre hésitation à prendre la parole pour raconter les idées les plus farfelues. Ca fait irrésistiblement penser au sempiternel conseil pour les entretiens d’embauche: “détendez-vous”. Ah ben sans blague;)
Inversement, dans un contexte très années 2010 de constant French Bashing, d’herbes plus vertes et de croyances souvent erronées autour d’un état d’esprit américain teeeeellement plus tourné vers l’accueil de l’autre que chez nous, il est assez ironique de constater qu’au fond, ce sont les américains eux-mêmes qui ont démontré que notre bon vieil esprit critique a ses avantages…
L’esprit critique version compétence relationnelle réside simplement dans l’art de formuler, pour se concentrer sur l’évaluation de l’idée et non de la personne, tout en y mettant le lard et la manière, comme on dit chez les amateurs de rugby, histoire de ne pas passer ses interlocuteurs à la moulinette de jugements féroces et sans nuance.
*Taylor, Berry & Block – Yale University, Does group participation when using brainstorming facilitate or inhibit creative thinking ?
** Marshall Scott Poole & Andrea Hollingstead, Theories of Small Group
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Sylvaine,
Très intéressant cet article. Il me semble que vous touchez un point sensible à travers ce sujet.
La parole est tellement détournée et par ailleurs est d’or, qu”il devient essentiel de se prémunir des attaques des autres. Du moins, c’est ce qui est là en apparence.
Je crois qu’au fond c’est nous mêmes qui sommes peu enclin à nous ouvrir à ce qui pourrait nous permettre de grandir à travers les “critiques” des autres.
Enfin, quand je parle de “nous” je parle parle de “moi”.
Pour terminer et préciser le propos, cela ouvre toutefois un pan nouveau de notre difficulté aujourd’hui à pouvoir discerner ce qui vient de nous et ce qui vient de l’extérieur…ou finalement, c’est peut-être que nous avons tellement la possibilité de réfléchir sur nos possibilités de nous épanouir que cela finit par nous donner le tournis.
Voila, ce que cela m’évoque.
Merci pour ce post riche et épanouissant.
Bonne journée qui est la seule sans pluie depuis 4 jours !!!
Intéressant, mais je ne peux quand même pas laisser ce pauvre brainstorming finir aux oubliettes des méthodes démodées. Certes je suis d’accord que la non critique des idées à un coté niaisou et très américain mais n’oublions pas que normalement dans un processus de créativité ça n’est que la première phase (de divergence). Puis vient la phase de convergence où l’on se recentre sur les idées qui sont les meilleures.
Et puis il existe une façon simple de palier à ces défaut : utiliser des post-it ! http://www.lifeisaseriousgame.com/les-supers-pouvoirs-des-post-it/
On laisse les participants réfléchir de façon individuelle avant la réflexion de groupe, puis on foisonne et on challenge les meilleures idées.
Tout ça pour dire que je crois dur comme fer à la puissance créative d’un groupe, encore faut-il bien l’exploiter, et ça c’est pas si simple finalement…
Dans tous les cas merci pour ton article qui bouscule un peu, ça oblige à se reposer quelques questions, c’est toujours bon.
Le plus amusant, dans la règle du “pas de critique”, c’est de constater qu’aux beaux arts, école formant des créatifs s’il en est, on apprend justement à donner et recevoir des critiques. Et on y apprend entre autre à critiquer l’oeuvre, la création, mais pas la personne. Règle d’or de la critique.
Voilà, tout est dit: distinguer la valeur personnelle de la valeur de ce qu’on a produit, autant dans la formulation de la critique que dans sa réception. C’est le moyen de rester dans la valorisation et de conserver l’estime de soi et donc d’être en mesure d’accepter les différences d’opinion. Compétence d’autant plus indispensable dans le milieu artistique où l’unanimité n’existe pas. Un principe que le travail collaboratif gagnerait à transposer et à intégrer.
Effectivement cet article est intéressant car il incite à se poser des questions. Cependant je ne suis pas d’accord avec le fait que lors d’un brainstorming « toutes doivent être considérées comme de bonnes idées ». Elles doivent tout simplement être toutes considérées sans jugement immédiat, mais lors de la phase de l’illumination seules les meilleures idées sont gardées (http://www.studiovitamine.com/guide/agence-web/services/conseil-web/) La critique a donc bien sa place dans un brainstorming, mais seulement à la fin de la réunion.
Et c’est bien pour cela qu’il n’est pas si efficace qu’on l’a dit:)
La critique respectueuse d’une idée est justement un moyen de l’améliorer, de faire germer des idées. Peut-^^etre le terme “critique” qui gêne, mais la pensée critique, si elle est exprimée avec élégance n’est pas un problème, elle est génératrice d’amélioration.
Je suis bien d’accord, la critique a une part importante dans la création d’idée mais à travers mes expériences et à mon sens cette pensée critique a sa place également dans un brainstorming mais une fois que tout le monde a pu s’exprimer et énoncer ses idées sans complexe. Après ce n’est qu’un avis 🙂
Sans complexe, c’est une façon pertinente de le dire. Ce qui nécessite que la critique soit élégante et qu’elle distingue bien la personne de l’idée. Mais pas nécessairement qu’elle soit absente:)
Bonjour,
Sujet très intéressant. Merci.
Vous relevez notamment les différences culturelles de l’esprit critique.
Je ne parlerai pas au nom de l’Amérique, mais ;), je suis Québécoise, ayant bossé 23 ans avec des états-uniens et résidant en France depuis 8 ans. Personnellement j’ai pu observer tant en milieu de travail que socialement sur ce sol, un type de critique qui diffère sensiblement du mien. D’ailleurs, le mot « critique » en lui-même est peu employé au Québec, l’on parle plutôt d’appréciation. La critique ou l’appréciation vise rarement la personne mais est dirigé vers l’action, les faits. Ces avis/critiques sont selon moi en eux-mêmes créateurs puisque qu’ils débutent fréquemment par « ce qui marche » plutôt que sur « ce qui ne marche pas ». Ergo, les québécois seraient-ils plus créatifs que d’autres cultures ? Certainement pas, ni plus ni moins constructifs qu’une autre société. L’esprit critique et la formulation lors des débats est seulement différente et bien entendu assortie à notre société. Cet esprit critique, parce qu’existant bel et bien dans mon coin d’Amérique, fonctionne pour ma part parfois, ou pas, ici en France. Je tente modestement de m’adapter parce que chaque cas et acteur est unique. Tout ce que je sais de mon coin de planète à ce sujet est que ce modèle de critique apaise souvent les tensions, décontracte les débats et soulève plus d’idées que de bras 😉
Bref, hormis mon désaccord sur le label angélique de l’Amérique, je pense vous rejoindre à ce sujet, la formulation et le « comment » on communique nos divergences d’idées fait toute la différence lors des remue-méninges 😉
Je ne suis pas surprise: ayant été formée par des Québécois et en lisant certains collègues de votre coin d’Amérique, il me semble teinté d’un humanisme intelligent sur le plan relationnel, bien loin de la fausse guimauve yankee (je dis ça parce que j’aime pas beaucoup la façon de faire semblant d’être aimable et poli aux US et toute la violence des codes et usages, des jugements, presque des castes et qui rappellent parfois l’Angleterre) Mais je m’égare: pour la critique, en France, nous sommes brutaux mais rigolards, ce n’est pas toujours efficace, mais c’est plus franc du collier que les Etats-Uniens! IL me semble aussi qu’au Quebec on parle plus de “discussion” que du sempiternel “débat” chez nous? Ce qui est intéressant autant sur le plan sémantique que relationnel
La critique virulente des États-Unis, voire l’antiaméricanisme est je crois la chose la mieux partagée du monde 😉 Vous me permettrez malgré tout de citer G. Washington : « La nation qui se livre à des sentiments habituels d’amour ou de haine envers une autre devient en quelque sorte esclave. Elle est esclave de sa haine ou de son amour » Et j’ajouterais, cela nous déroutent de nos propres responsabilités et intérêts. C’est pourquoi j’essaie le plus souvent – non telle Mère Teresa, je ne voudrais pas que l’on me taxe de la pire insulte du moment, soit de « bisounours » à l’égard de Marine Le Pen étiquetant ainsi les québécois récemment – d’user d’assertivité (et non de passivité), pour communiquer et affirmer mes idées. Mais je m’égare peut-être aussi 😉 Je ne dirai donc pas que « les québécois » discutent plus qu’ils ne débattent, puisque je constate que le débat « chez-nous» est parfois défaillant et que les esprits consensuelles sans affirmation de soi, ne sont pas toujours avantageux. Question sémantique, j’aime bien la locution « esprit critique » dans le sens ; qui examine attentivement les choses avant de porter un jugement ou faire un choix, plutôt que ; qui est porté à la critique, au blâme, qui selon moi est trop fréquent et par conséquent fait de l’ombre aux critiques constructives et aux échanges d’idées. Touka, merci pour vos billets teintés d’humours et de lucidités (juré, ça, c’était pas de la fausse guimauve ;))
Alors je garde “esprit critique” qui est ce qui m’anime dans mes critiques des Etats-Unis, certainement une quelconque haine qui serait très éloignée de ma nature. Cet “esprit critique” serait alors un point commun entre nous, un pont sur l’Atlantique 😉
D’autre part, j’aime bien les bisounours et la personne en question peut bien dire ce qu’elle veut, je préfère ignorer ses idées nauséabondes.