On entend de plus en plus dire qu’il n’est plus possible ni souhaitable d’éteindre son téléphone et qu’il est complètement has been de s’imaginer autre chose. Personnellement, je suis assez old school sur le sujet, aussi permettez-moi d’être parfaitement réac 2.0 : je m’inscris en faux. Il ne s’agit pas de retrouver un paradis déconnecté perdu, de redécouvrir les béatitudes enchanteresses d’un monde sans écrans. Il s’agit d’alterner les temps de connexion et les temps de déconnexion pour tirer profit des deux… au mieux.
Ecrans: entre plaisir, utilité et esclavage
Nos écrans, tablettes, smartphones, ordinateurs sont sources de bénéfices auxquels j’adhère en mode néoprène, tant j’y trouve de plaisir et d’avantages. On pourrait même ajouter cette télé sooooo 20ème siècle – même si, pour ma part, je me suis débarrassée de la mienne avec joie il y a trois ans. Car nos écrans nos relient, facilitent une partie de notre travail, nous offrent des multitudes d’opportunités: rencontres professionnelles, espaces d’information, d’apprentissage, de collaboration, de culture, de divertissement, d’expression, de créativité etc. Espaces dont nous disposions beaucoup plus pauvrement il y a fort peu de temps.
Ce n’est pas leur existence ni même leur utilisation qui est en cause. C’est la façon que nous avons de nous soumettre à eux. Nous sommes passés sans nous en rendre compte de l’engouement vis à vis de leur utilité et du plaisir qu’ils procurent à l’esclavage pur et simple. Nos écrans régissent nos vies, nous répondons à leurs sollicitations un doigt sur la couture du pantalon, l’autre sur le clavier, comme si notre vie en dépendait. Nous nous sommes enchaînés à eux, pour le meilleur sans doute, mais aussi pour le pire.
Et en vertu du principe selon lequel “où il y a de la chaîne, y’a pas de plaisir”, les joies de nos écrans s’essoufflent, l’air de rien, dès lors que l’habitude et l’excès prennent le pas. La conscience des conséquences possibles de l’excès d’écran ne date pas d’hier.
- Dès 2009, aux Etats-Unis un centre de désintoxication proposant aux accros du Web une retraite dans la nature, sans technologie (voir ici).
- En 2010, nous avions parlé du besoin de déconnecter.
- En 2011, l’expression « digital detox » fait son entrée dans le English Oxford Dictionnary et d’innombrables articles de journaux et magazines rappelaient l’importance de déconnecter.
- En 2012, Thierry Crouzet publiait J’ai débranché, l’histoire de son overdose d’internet.
Mais tout cela n’a pas mené bien loin, même si aujourd’hui, selon une étude du CREDOC 62% des internautes expriment l’envie de déconnecter davantage. Car l’envie n’est pas l’acte, et au final, peu le font. L’incapacité à déconnecter serait devenue telle qu’elle est en passe de devenir un marché – un nouveau besoin de consommation pour compenser les méfaits d’un autre – comme en témoigne cet article qui propose une série d’hôtels pour détox digitale.
Les risques de l’hyper connexion
Il y a peu, j’ai été conviée par ICF France à une conférence du psychiatre Christophe André sur la méditation. Christophe André fait partie de ceux qui sont convaincus qu’à force de bruit et de fureur, notre société est devenue psychotoxique et que nous devons nous en protéger pour conserver un équilibre psychologique suffisant pour évoluer en son sein peu maternel. Le bruit visuel de nos écrans participe de cette menace rampante contre notre bien-être et notre santé mentale.
Comme tous les excès d’ailleurs: si je me nourris de fraises Tagada avec une application de douanier en grève du zèle, mon système digestif ne va pas tarder à trouver l’addition peu comestible. De la même manière, l’excès d’écrans donne à notre boîte à penser une nourriture un peu trop abondante pour qu’elle continue à fonctionner sans hoquets et sans ratés.
Christophe André n’est pas le seul à s’inquiéter de l’abus des écrans: en janvier 2013, 50 experts de la santé psychique lançaient un appel à la vigilance, car “l’usage abusif d’écrans induit une hypersollicitation permanente, source de stress et de fatigue. Il nous prive du temps de repos, de réflexion et de présence au monde indispensables au bien-être et au bien-penser” Ils évoquent aussi des dommages collatéraux:
- Les relations : dommages que nous avions évoqué dans Butinage relationnel, maudit smartphone!
- Le brouillage de la frontière entre vie privée et vie professionnelle et l’incapacité grandissante à déconnecter.
- L’augmentation du mal-être au travail
- La dictature de l’urgence, de l’immédiateté
Cependant, pour la plupart d’entre nous, on ne peut pas parler d’addiction. Même si prendre des vessies pour des lanternes, en la matière, aurait l’énorme avantage de nous dédouaner de tout effort pour trouver un équilibre, la majorité a un usage disproportionné des nouvelles technologies, sans en être dépendant au sens pathologique du terme. Tout comme il ne faut pas confondre travailler trop et dépendance au travail, ne prenons pas nos abus d’écrans pour des addictions.
Si nous sommes esclaves de nos smartphones, c’est une soumission consentante parce qu’elle nous renvoie une image positive de nous-mêmes (indispensables, importants). Pour que nos écrans redeviennent ce qu’ils devraient être, c’est à dire un outil à notre service et non pas les empereurs de nous-mêmes, un peu de detox numérique ne fait pas de mal.
Les freins à déconnecter
Les nouveaux acronymes fleurissent pour décrire nos freins à déconnecter:
- FOMO ( fear of missing out – peur de rater quelque chose)
- FONK (fear of not knowing – peur de ne pas savoir)
La peur de passer à côté d’une information est devenue une obsession. Paradoxalement, être au contact de toujours plus d’information engendre la crainte d’en rater une. Au cas où on passe à côté du buzz de la semaine et que ça fasse de nous les sous-informés ringards et trop 1.0 du dîner en ville de jeudi. Pourtant il existe d’autres informations tout aussi nourrissantes, en temps réel autour de nous, nécessaires à notre équilibre. Et comme le souligne Bertand Duperrin, renouer avec cet IRL est un enjeu autant collectif qu’individuel.
La surconnexion présentant de véritables risques en termes de stress, le repos, digital ou professionnel, étant de plus en plus perçu – à juste titre – comme une nécessité pour l’équilibre des individus, les entreprises envisagent, voire implémentent les déconnexions obligatoires. En France comme en Allemagne, la déconnexion imposée et/ou blocage des mails commencent à faire parler d’eux.
Connexion et déconnexion volontaire
Mais au final, sur le plan individuel, l’idée n’est pas de se transformer en jeûnard numérique intransigeant ou de faire de la digital detox une nouvelle religion dont les papes et ayatollahs nous imposeraient d’autres principes aussi dictatoriaux. Ainsi, une autre injonction consiste à présent à nous pousser à passer du FOMO au JOMO, (joy of missing out – la joie de rater quelque chose). Les solutions bien-être à la mode yankee sentent parfois un peu trop le simplisme de bas étage. Il est sans doute plutôt question de revenir à une forme d’indifférence et d’acceptation: j’ai raté quelque chose? Ha bon.
Plutôt que de s’imposer une déconnexion massive pendant les vacances alors qu’on est un écranphile patenté, ce qui risquerait de ressembler à une sevrage brutal, qui sera suivi d’une utilisation accrue au retour de vacances, il vaut peut-être mieux y aller à petits pas, et intégrer des mini-plages de déconnexion dans son quotidien.
L’idée est essentiellement de cesser d’être victime de nos écrans et bourreaux de nous-mêmes, de redevenir maître de nos propres temps de connexion et de déconnexion, en fonction de critères que nous posons par nous-mêmes et pour nous-mêmes. D’instaurer des plages horaires pendant lesquels nos activités ne sont pas régies par nos écrans, mais par les choix que nous faisons. Et d’articuler ces temps de manière à nous accorder des moments pendant lesquels notre attention n’est pas sur-sollicitée. De façon à se remémorer que l’IRL a aussi ses vertus, et à trouver davantage de plaisir aux deux. Car des temps de connexion moindres et plus conscients sont aussi plus satisfaisants.
Le bonheur est – aussi – dans le déconnecté
Etre déconnectés de nos écrans, ce n’est pas être déconnecté tout court, c’est aussi être connectés à autre chose en IRL, ne serait-ce qu’à notre environnement, à l’instant présent. C’est aussi être davantage à ce qu’on fait, accorder à nos tâches professionnelles l’attention non seulement qu’elles méritent, mais aussi dont elles ont besoin pour être menées à bien.
C’est aussi être connectés à notre entourage ainsi qu’à toutes sortes de plaisirs simples qui sont, par natures, des vitamines mentales. C’est à dire de l’énergie positive, du plaisir qui nourrit, des particules de bonheur qui favorisent le sentiment d’être heureux.
En d’autres termes, ces temps de déconnexions ont des bénéfices pour l’équilibre psychologique, qui va à son tour avoir des répercussions dus la satisfaction et la performance professionnelles. Bref, le bonheur est aussi dans le déconnecté:
- Pour travailler avec plus d’efficacité, et ce pour deux raisons: plus nous nous reposons, plus nous sommes efficaces dans notre travail et d’autre part, l’attention sans sollicitation améliore la qualité de notre travail.
- Pour travailler avec plus de plaisir: être à ce que nous faisons améliore la relation à la tâche en cours. D’autre part, la qualité de notre travail y gagnant, c’est aussi un moyen de redécouvrir le goût du travail bien fait.
- Pour améliorer la qualité de nos relations: l’attention et l’écoute que nous accordons aux autres est malmenée par les interruptions. Nos phones ne sont pas si smart que ça lorsqu’ils transmettent aux autres que ce qu’ils ont à nous dire est moins important qu’un appel d’une tierce personne.
- Pour s’accorder des temps de réflexion sans interruption : temps qui permet de l’approfondir et de l’enrichir.
- Pour se ressourcer: céder à la flemme, redécouvrir les plaisirs de la glandouille et les vertus de la rêverie, qui stimulent la créativité et le sentiment de bien-être.
- Pour engranger de l’énergie: renouer avec des plaisir simples, comme ces 20 choses à faire sans votre smartphone ou ces vitamines mentales qui sont source de dynamisme et d’enthousiasme.
Personnellement, mes temps de déconnexion me sont aussi indispensables que mes temps de connexion. Ils sont complémentaires. L’IRL, les moments où je suis connectée à ce qui m’entoure (et en particulier à la nature) sont pour moi à la fois une source d’inspiration et un espace de réflexion que je ne trouve pas en mode connecté. Celui-ci est plutôt le temps de l’information : celui qui me permet de valider, invalider ou compléter mes idées, ou inversement de trouver des idées qui vont nourrir la réflexion.. déconnectée.
Et vous, comment gérez-vous vos temps de connexion et déconnexion?
Quel plaisir trouvez-vous dans vos temps de connexion?
Quel plaisir trouvez-vous dans vos temps de déconnexion?
En quoi chacun vous nourrit, personnellement et professionnellement?
Aller plus loin
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