Les diktats comportementaux sont légions et ils varient au gré de la tendance du moment où de ce que les gourous de l’efficacité ont dit la semaine dernière. Ainsi, pour correspondre aux canons de la réussite moderne et être un winner ancré dans ce XXIème siècle triomphant, il faudrait être dynamique, motivé, extraverti blablabla. Et aussi aller vers plutôt qu’éviter de. Encore un préjugé pénible à dépasser pour mieux collaborer.
Définitions succintes et préjugés
Héritées de la PNL, les dénominations aller vers et éviter de sont des types de comportements révélateurs de notre motivation dans le choix et la formulation d’un objectif:
- Eviter les conséquences déplaisantes d’une situation (je ne veux plus m’ennuyer au boulot)
- Aller vers une situation ou un état désiré (je veux trouver un job dans lequel je vais me faire plaisir)
Jusque-là, tout va bien, cette définition correspond d’ailleurs à la façon dont nos réactions émotionnelles nous poussent à l’action : éviter les négatives (l’agacement, la peur, le découragement) ou aller vers les positives (le plaisir sous toutes ses formes). Les aller vers sont ceux qui savent ce qu’ils veulent et les éviter de ceux qui savent ce dont ils ne veulent plus. Cependant, cette description succincte donne parfois lieu à des raccourcis assez contre-productifs, comme je l’ai lu récemment :
- Les merveilleux aller vers auraient une vision globale qui les mènerait de façon quasi magique à aller vers (justement) leurs objectifs. Ce seraient les rois de la réussite facile, qui emmènent avec eux des troupeaux d’adeptes conquis, des leaders, quoi.
- Les sinistres éviter de, à ne vouloir que s’éloigner de ce qui les dérange, n’iraient nulle part, tourneraient en rond dans leur appréhension systématique des obstacles et des difficultés.
L’affaire est souvent résumée en personnes qui verbalisent leurs objectifs de manière affirmative ou négative, avec les winners d’un côté et les losers, les empêcheurs d’avancer de l’autre, particulièrement dans la vision simpliste à la sauce yankee. Of course.
Du coup, les éviter de deviennent aux aller vers ce que les introvertis sont aux extravertis : les indésirables d’une société au fond sacrément pétocharde, normative et pleine de préjugés.
Combinaison individuelle d’aller vers et d’éviter de
La réalité est un poil plus complexe : nous sommes tous notre propre combinaison d’aller vers et d’éviter de, qui est probablement le reflet de notre expérience, de nos convictions, de nos valeurs et qui s’exprime par ce qui génère pour nous des émotions négatives et des émotions positives. Nous avons tous des domaines dans lesquels en mesure d’aller vers, et d’autres dans lesquels nous naviguons davantage à vue entre ce que nous considérons comme des récifs.
En d’autres termes, notre part d’aller vers est notre moteur et notre part d’éviter de est notre gouvernail. Dans les eaux troubles de nos vies professionnelles, mieux vaut avoir les deux.
D’autre part, si le comportement le plus fréquent créée une tendance dans nos facteurs de motivation, aller vers et éviter de ont une capacité équivalente, à défaut d’être semblable, à atteindre leurs objectifs, ils ne s’y prennent tout simplement pas de la même manière.
Réconcilier les aller vers et les éviter de
Les uns et les autres peuvent vite avoir une vision réductrice du comportement qui n’est pas le leur:
- Les aller vers ont tendance à considérer les éviter de comme lents et peu productifs.
- Les éviter de peuvent trouver les aller vers inconséquents et irréalistes.
Du coup, les uns et les autres se perçoivent comme peu collaboratifs, alors qu’en réalité, ils sont formidablement complémentaires, au même titre qu’introvertis et extravertis, pour peu qu’ils prennent le temps de se comprendre et d’accepter les avantages du comportement de l’autre et les limites du leur.
Alors plutôt que de concentrer une énergie précieuse sur les défauts de l’autre, plutôt que de vouloir à tout prix rééduquer les éviter de pour en faire des champions de la caractéristique tout en haut du hit parade comportemental de la semaine, autant réconcilier les deux et favoriser une collaboration riche et complète.
Il est vain, dictatorial et même crétin de vouloir lutter contre la nature des éviter de pour les mettre dans les cases faussement moelleuses des aller vers. Chaque fonctionnement a les qualités de ses défauts et inversement, aussi les deux fonctionnements sont ultra complémentaires. Alors plutôt que de rentrer en guerre contre soi-même ou contre tout comportement qui diffère du nôtre, apprenons à reconnaître les bénéfices spécifiques des deux et à les articuler pour les mettre au service de nos objectifs communs.
Réhabilitons les éviter de pour une meilleure collaboration
Les éviter de, qui ne font pas partie des Steve Jobs glamour qui offrent du rêve à des ouailles conquises, seraient des losers lourdingues, des empêcheurs de rêver en rond, qui pointent du doigt les obstacles sur la route au lieu de s’émerveiller de l’île paradisiaque au bout du chemin. Pour dépasser ce préjugé, voyons les bénéfices de leur comportement et les limites du comportement aller vers, tout simplement parce que les uns ne peuvent pas se passer des autres, et inversement.
Attention, ce que je décris ici correspond à des tendances et leurs conséquences possibles, à chacun d’y discerner toutes les nuances nées de la singularité. Ce n’est en aucun cas un schéma définitif et systématique. Certains d’entre nous sont des mélanges très complexes d’aller vers et d’éviter d’eux, d’autres sont plus ancrés dans l’un ou l’autre des comportements.
Aller vers :
Les aller vers sont davantage motivés par leurs envies que par leurs craintes. Ils ont des visions formidables, des pojets, créatifs, un sens des directions à prendre pour créer… du sens. Leur dynamisme et leur enthousiasme sont contagieux et, plus motivés par leur vision que par le chemin à parcourir, les aller vers peuvent paraître plus charismatiques, plus inspirants. La limite de ce comportement est de ne pas mesurer l’ampleur des obstacles et de s’y casser la figure. Potentiellement, les attentes plus fortes des aller vers peuvent aussi générer chez certains des déceptions plus fortes alors que d’autres auront une grande faculté à rebondir vers une autre vision.
Potentiellement un brin abstraite, la vision peut aller jusqu’à s’affranchir fortement des détails de sa réalisation, considérés comme pénibles ou peu intéressants. Ce qui peut être une force vive qui fait déplacer des montagnes l’air de rien, peut aussi être facteur… de non réalisation des objectifs. A priori, un fonctionnement aller vers peut paraître merveilleusement dynamique et plein d’assurance. Pas forcément. Il peut masquer un manque de confiance qui, en générant des zones d’ombres sur les difficultés potentielles ou les étapes à mener, va tout simplement… éviter ses propres peurs. Mais comme celles-ci sont bien présentes au fond du tiroir à émotions, l’aller vers va générer sa propre procrastination.
Eviter de :
Les éviter de, parce qu’ils s’intéressent aux pièges potentiels, sont par nature plus analytiques de la situation, de l’itinéraire vers l’objectif, en particulier dans ses détails de réalisation. Ils vont être utiles au repérage des obstacles, des difficultés, des risques potentiels. Bien entendu, dans le vaste champ de la pensée à l’américaine, ils vont être estampillés « dans le jugement » et « plombeurs d’idées ». Pourtant, ils sont aussi ceux qui vont aider à sa réalisation plus fluide en permettant l’anticipation et le traitement en amont des problématiques en question. Évitant ainsi à la merveilleuse vision de se réveiller avec des bleus partout lorsqu’elle aura échoué sur les rochers, toute préoccupée d’atteindre sa destination sans regarder le chemin.
Parce qu’ils se dirigent en fonction des obstacles, les éviter de sont souvent présentés de manière négative comme gouvernés par leurs peurs, donc forcément craintifs, passifs, peu entreprenants. C’est assez faux : ils trouvent leur motivation et mettre beaucoup d’énergie dans la résolution de problème, l’établissement des plans de route, la recherche de solution, là où les aller vers ne vont pas voir le problème, ou trouver sa résolution fastidieuse et peu motivante, quitte, parfois, à la négliger. En bref, si l’on considère que les éviter de se dirigent en fonction de leurs craintes plus qu’en fonction de leurs envies, c’est une caractéristique, pas une tare et elle se révèle bien utile à des aller vers qui filent parfois un peu trop vite.
Apprendre à collaborer
D’ailleurs, le questionnement de l’objectif issu de la PNL prend en compte ces deux dimensions, au lieu d’en favoriser une et de lutter contre l’autre, en questionnant à la fois la vision et les difficultés potentielles :
- La vision – ce vers quoi je vais: Je définis ce que je veux. J’identifie ce que ça m’apportera pour encourager ma motivation
- Les problèmes – ce que je veux éviter: Je définis ce dont je ne veux plus. J’identifie les inconvénients possibles, les obstacles potentiels, pour pouvoir les traiter en amont et éviter des blocages intempestifs en cours de route.
Ce qui nous donne une trame à explorer pour permettre aux aller vers et aux éviter de collaborer sur un même projet, autant ces deux parts de nous-mêmes, pour des objectifs individuels, que sur des caractéristiques comportementales, pour mieux travailler ensemble :
- Les éviter de peuvent s’appuyer sur les aller vers pour définir les orientations, le sens, les bénéfices d’un projet.
- Les aller vers peuvent s’appuyer sur les éviter de pour définir les solutions, les étapes à mener, le traitement des difficultés. Voir à ce sujet cette interview de Philippe Gabilliet.
- Et rebelotte : à l’intérieur d’une étape à franchir, les aller vers fournissent la boussole et le moteur, les éviter de dirigent le navire entre les récifs.
De quoi mener le bateau à bon port 😉
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