Sylvaine Pascual – Publié dans: Compétences relationnelles / Objectifs, décision et solutions
Rappel rapide: le paradoxe d’Abilene, c’est quand plusieurs personnes prennent une décision d’un commun accord alors qu’aucune ne la trouve appropriée. Avant qu’au regard des conséquences de la mauvaise décision nos relations virent au règlement de compte, intéressons-nous à cette dynamique dysfonctionnelle, comment elle se met en place et comment l’éviter.
Prise de décision: c’est par où, Abilene?
Commençons par le mécanisme qui se joue dans la prise de décision collective, entre conformisme et peur du rejet:
- Chacun a une idée précise de la décision adéquate ainsi qu’une idée claire de l’invalidité de la solution proposée.
- Par peur d’être jugé, ostracisé, rejeté, par désir de plaire, aucun ne parvient à dire ce qu’il pense réellement et s’exprime en fonction de ce qu’il croit que les autres pensent et/ou veulent.
- Chacun reçoit une version fausse de la pensée collective et réagit à cette version erronée.
- La décision prise en fonction de ce type de désinformation est contraire à ce que chacun veut.
Pas besoin d’un bac + 18 en psychologie pour entrevoir le côté résolument contre-productif de ce type de situation et les conséquences sur les relations!
L’inaptitude à se mettre d’accord
En d’autres termes, c’est l’inaptitude à se mettre d’accord qui est en cause: par peur du conflit, du jugement, de perdre la face, de se faire remarquer, chacun préfère remettre ses doutes ou ses alternatives dans sa poche avec son mouchoir par-dessus et adopter une mauvaise décision qui ne résout pas la situation et génère des tensions. De là à rejeter ensuite la responsabilité de la mauvaise décision sur les autres, il n’y a qu’un pas qu’on franchit sans mollir, dans une sorte de version absurde de la relation victime / persécuteur
A l’intérieur de ce paradoxe, c’est l’expression de l’égo fragile au travers de nos propres mécanismes relationnels qui se dévoile, avec leurs conséquences négatives potentielles pour tout le groupe ainsi que leurs contradictions.
Ainsi, il est plus facile d’accepter une mauvaise décision et ses conséquences que d’agir en fonction de ses valeurs et de ses convictions. Car alors, on risque (croit-on, puisque les autres ne sont pas d’accord non plus, vous suivez?) de passer pour l’empêcheur de décider en rond, le trouble-fête, le pisse-vinaigre, celui qui doit être viré etc…
Et ce sont bien ces peurs, liées au besoin d’appartenance, qui sont au coeur de nos difficultés à être nous-mêmes, à agir selon nos principes, à dire ce que nous pensons. Elles régissent nos relations et notre façon de communiquer. Le conformisme naît de ce principe: la perte d’individualité au profit de l’appartenance à un groupe, mais potentiellement au détriment du bien commun. Comme stratégie d’échec, on ne peut guère rêver mieux.
Eviter le piège d’Abilene: créer les conditions de la prise de décision
Si absurde que paraisse ce type de situation, il se produit fréquemment dans les organisations humaines, du couple à la multinationale, en passant par les associations ou les groupes d’amis, ou encore à l’intérieur d’un service ou d’une équipe, parce que les enjeux paraissent élevés: personne n’a envie de perdre son job pour avoir contredit le parton ou de passer pour l’emmerdeur au sein de son groupe de potes, le mouton noir de son troupeau.
Car s’exprimer, ce serait prendre le risque d’être exclu du groupe. Pourtant, le remède est pire que le mal dans la mesure ou chacun se retrouve isolé avec son opinion personnelle qu’il/elle ne parvient pas à exprimer. Le paradoxe à l’intérieur du paradoxe, en somme.
1- Responsabilité partagée
La première condition pour sortir du paradoxe est que chacun accepte sa part de responsabilité dans une prise de décision foireuse: il n’y a pas de persécuteur sans victime qui se laisse victimiser et chacun, l’air de rien, accepte le roadtrip maudit sur les routes texanes en faisant semblant de croire qu’il va y trouver du pétrole. Quand on se retrouve coincé dans ce paradoxe. Chercher un bouc-émissaire est donc à peu près aussi utile que de déterminer qui de la poule ou de l’oeuf…
Cela signifie aussi prendre conscience que taire ses véritables opinions, même pour être sympa, par désir de plaire, c’est favoriser volontairement les ratés de la prise de décision et la dégradation des relations.
2- Objectiver l’évaluation des risques
La seconde est de discerner les risques réels qu’on prend à exprimer son opinion. Ils sont en général bien moindre que ce que nous imaginons, d’autant que nous ne sommes pas seuls à voir l’ineptie de la solution proposée. Et une différence d’opinion sur un sujet ne signifie pas une incompatibilité chronique et ne sème pas nécessairement la discorde qui finit pas en rejet. D’autre part, apprenons à nous libérer du regard des autres et à réagir avec panache lorsque nos idées sont rejetées.
3- Exprimer son opinion
Le véritable altruisme ici, n’est sûrement pas d’aller dans le sens d’une mauvaise décision. Pour sortir du paradoxe, ou éviter d’y plonger pieds et poings liés, il est indispensable que chacun s’exprime. Et pour cela, il est indispensable que quelqu’un en prenne l’initiative. Nous pouvons toujours espérer qu’un autre le fasse pour nous. Nous pouvons aussi agir.
Pour être capable d’exprimer son opinion, il est sans doute nécessaire d’avoir une estime de soi suffisamment solide pour ne pas craindre d’être mis à l’écart, et de disposer d’outils favorisant une affirmation de soi sereine, qui donne l’aptitude à énoncer ses idées avec assurance, mais sans rouleau-compresser les autres. La très mal nommée communication non violente est utile pour cela. Derrière son patronyme à la Gandhi, elle est un outil de communication ultra efficace dans la vie professionnelle. pour exprimer nos propos en douceur.
4- En position de leader
Et lorsque nous sommes le manager/leader de l’équipe qui a une décision à prendre, il nous revient de créer un cadre de confiance en gérant fermement les jugements brutaux et les égos qui s’égosillent et ceux au bec fermé, faute de quoi on pourra encourager tant qu’on veut l’expression libre, elle se musellera d’elle-même. La sociocratie peut être une solution à explorer. Voir: l’égo, frein majeur à l’intelligence collective
D’autre part, animer la discussion à l’aide de quelques outils peut aider à prévenir l’enlisement:
- Présenter en amont de la discussion les mécanismes de ce paradoxe peut favoriser l’expression des opinions réelles.
- Lister les conséquences positives et négatives de chaque idée émise avec l’ensemble du groupe.
- Faire jouer délibérément le rôle de l’avocat du diable à plusieurs membres.
- S’appuyer sur les aller-vers et les éviter-de présents dans le groupe
- Encourager la contestation (ou bourre-pif collaboratif) et éviter le brainstorming cucul la praline où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil et tout le monde il a des bonnes idées^^
Et en bonus, quelques questions à vous poser pour vous éviter de vous perdre plus souvent qu’à votre tour sur la poussiéreuse route d’Abilène:
Dans quelle mesure vous arrive-t-il de faire des propositions qui ne vous conviennent pas?
Dans quelle mesure vous arrive-t-il d’accepter des décisions qui ne vous conviennent pas?
Qu’est-ce qui vous empêche d’exprimer ce que vous pensez réellement?
De quoi avez-vous besoin pour pouvoir vous exprimez en fonction de vos valeurs et de vos convictions?
Face à une décision commune qui ne vous convient pas:
Qu’est-ce qui vous empêche d’exprimer votre opinion?
Quelles sont vos craintes?
Dans quelle mesure vous exprimer changerait-il le cours des choses?
Que gagnez-vous à ne pas vous exprimer?
Qu’est-ce que ça vous coûte?
De quoi avez-vous besoin pour pouvoir vous exprimer?
Comment l’obtenir?
Voir aussi:
A cache-cache avec soi-même: quand l’action contredit la pensée
Les pièges de la lecture de pensée
Ebook gratuit: le triangle de Karpman: sortir des rôles relationnels
Morale primate et relations humaines: faisons les singes!
La lecture émotionnelle au service de nos relations
Aller plus loinVous voulez construire et entretenir la posture relationnelle, l’estime de vous et l’état d’esprit qui vous permettront de mener à bien vos projets professionnels? Pensez au coaching. Pour tous renseignements, contactez Sylvaine Pascual au 01 39 54 77 32 |
Je confirme qu’exprimer son opinion fait parti des solutions car elle pemet à chacun de dire ce qu’il pense sur tel ou tel sujet et d’éviter les souci du paradoxe d’Abilène notamment!
Belle fin de journée à toi @Sylvaine et merci pour tous ces éclaircissements bien venus! 😉
Du côté de l’entreprise où les débats sont ce qu’ils sont c’est à dire d’une portée affetive quasi nulle,il me semble que 1- Responsabilité partagée est une douce illusion. 2- Objectiver l’évaluation des risques relève d’une autre problématique, à mon (très) humble avis.
La seule issue est effectivement d’exprimer son opinion, ce qui relève, dans le meilleur des cas, de la communication assertive. Et dans le pire, de la manipulation.
ha je suis content que ton sujet aborde le fait d’être soi-même, je le suis(tu le sais) et sans concession(je me suis pris cette liberté depuis l’âge de 14 ans, ça date) , il est certain que beaucoup n’aiment pas qu’on leur dise franchement ce qu’on pense, ça gêne aux entournures, mais ça ne fait rien, être soi-même est la clé d’un bien -être inimaginable, un très bel article en tout cas.
Biz darling
Oui mais le problème, c’est que lorsque tu es authentique, les autres ont plus que souvent l’impression d’être agressés, ce qui donne lieu à de fréquents malentendus, donc il me semble, que pour se sentir bien, avec ça(on ne maîtrise pas) , il faut garder sa ligne et continuer envers et contre tout (surtout quand toi tu n’agresses personne), l’incompréhension fait aussi partie de cette équation, heureusement les personnes intelligentes, elles, acceptent (encore heureux) sans tomber dans un syndrome à la “Calimero”, il faut bien avouer que nous vivons dans un monde rempli de ces personnes moralisatrices qui croient détenir la sainte vérité, c’est donc un défi de vivre comme cela, perso, moi ça m’amuse mais j’ai pu aussi en souffrir(j’ai dépassé ce stade heureusement), surtout que de mon côté, je n’arrête pas de me questionner sur les réactions que j’induis, j’en suis arrivé à me dire que, non, je n’agresse pas , je dis tout simplement mais ça ne plaît pas à la majorité même. Note que je suis plus Voltaire que Rousseau.
Bonjour. je m’invite à votre conversation. Juste une petite remarque… Sur une île déserte, il n’y a pas de route d’Abilène, n’est-ce pas? Chacun est dans son “dialogue intérieur” face à lui-même et quelques fois en situation psychique contradictoire: d’une part, heureux ne n’être affecté (influencé) par personne, ce qui lui donne le sentiment d’être soi-même… et d’autre part, souffrant d’une certain isolement qui le pousse (donc l’influence) à rechercher un interlocuteur quitte à s’inventer un compagnon de route…
Bonjour Sylvaine. Il y a beaucoup de choses évoquées ici… La formule “être seul face à soi-même évoque pour moi, la problématique de Narcisse face à son propre reflet, compagnon imaginaire qui renvoie des choses. Dans la relation avec Autrui, l’Autre débarque avec ses propres idées, jugements, expériences… Il est semblable mais Autre. Certains psychologues et philosophes phénoménologistes estiment d’ailleurs que la conscience de soi émane de cette “confrontation” à l’Autre En société cela se complique, plein de JE rentrent dans le JEU (ou en jeu). L’homme est un être social, là je vous suis. Il a un besoin fondamental, celui d’appartenir à un groupe aussi minoritaire soit-il. La famille est le premier groupe dans lequel un individu évolue et dans celui-ci les rapports affectifs sont très preignants et oui… parce que l’homme n’est pas seulement faits de croyances, de convictions ou de certitudes (raison) mais aussi de doute, de sentiments, d’espoir (sans raison), d’imaginaire et d’amour. Le MOI c’est tout cela et ne fait pas illusion, il ne sait pas être soi-même, il EST dans tous ces états…