Ce qui nous gêne, ce ne sont pas tant les émotions en soi que les collections de réactions physiques et mentales pénibles qu’elles trimbalent, qui compliquent considérablement notre capacité à faire face aux situations qui les ont déclenchées, et finissent parfois en stress. Pourtant, ces réactions sont un système de protection digne de Vauban et plein d’enseignements sur les besoins mal satisfaits qui les génèrent.
Pigeon voyageur et besoins à combler
Pour utiliser une image un tantinet rustique, l’émotion est le pigeon voyageur qui prévient le château de l’arrivée d’un danger, afin qu’il puisse actionner son système de défense. Ainsi, vouloir “maîtriser”, “contrôler” ses émotions est une idée saugrenue: ce serait comme bousiller le pigeon avant qu’il ait délivré son message. Nous serions alors complètement désarmés face à la situation problématique.
Apprendre à décrypter ces états de défense est un excellent moyen d’en savoir davantage sur nous-mêmes, nos mécanismes, nos modes de fonctionnement, et surtout, sur quoi mettre en place afin de combler les manques signalés par les émotions et vivre de façon plus sereine, et diminuant la fréquence et l’intensité des réactions aux émotions.
Un triple système de défense
Les états de défense, établis par Henri Laborit dans les années 60, sont au nombre de trois et on les retrouve chez les animaux: la lutte (ceux qui attaquent), la fuite (ceux qui fuient)et le repli (ceux qui font les morts).
Ces trois manières de réagir au danger sont autant de façons de nous en protéger et par extension, de survivre. Bien entendu, nous ne croisons plus de bêtes sauvages à chaque coin de rue, nous sommes rarement assaillis par des hordes barbares qui veulent nous piquer veaux vaches cochons. Ce que nous percevons comme un danger a considérablement évolué. Par contre, nos réactions sont restées exactement les mêmes, d’où un écart entre les deux qui augmente l’incompréhension et la difficulté à les gérer.
En d’autres termes, nous vivons dans un château médiéval en plein XXIème siècle, destiné à nous protéger de ce que nous considérons comme des agressions. Mais nous manquons d’idée précise sur l’utilité des remparts, échauguettes et coursives qui le composent. Ou sur les agresseurs. Éclaircissements.
- Échauguettes: la réaction de lutte La lutte, c’est l’échauguette bien pratique pour assaillir l’assaillant. Une personne en lutte se sent énervée, agacée, le ton de sa voix peut d’élever, être cassant, elle va chercher à imposer ses points de vue, quitte à passer en force si nécessaire.
- Coursives: la réaction de fuite Avant toute chose, pour éviter les confusions malencontreuses, la réaction de fuite est très éloignée de concepts négatifs comme “fuir ses responsabilités”: la réaction de fuite est synonyme de mouvement. La personne en fuite s’agite et parfois s’éparpille. L’agitation et la confusion peuvent être aussi bien mentales que physiques. La fuite est caractérisée par l’envie de partir, la recherche de solutions tous azimuts, accompagnées de sentiment d’angoisse ou d’inquiétude
- Remparts: la réaction de repli Le repli se caractérise par des phénomènes de blocage physique et/ou psychologique, de difficulté à s’exprimer, de dévalorisation, accompagnés d’un sentiment de fatigue et de tristesse.
Un château fort unique en son genre… et qui parle
Chacun d’entre nous est une combinaison unique de ces trois états de défense, avec des remparts, échauguettes et coursives en nombre et tailles différents. Si nous avons un comportement principal parmi les trois états de défense, nous pouvons avoir l’une ou l’autre des 3 réactions, selon les circonstances et les besoins qui sont mal comblés à ce moment-là.
D’autre part, à force de plaquer “stress” sur toutes les émotions négatives, nous finissons peu à peu par être relativement déconnectés de ce que nous ressentons (voir De l’importance de la distinction entre stress et émotions) . Du coup, identifier nos états de défense et les indications sur les zones fragiles de nos fortifications – les besoins mal comblés- revient parfois à avancer à tâtons dans un tunnel.
Pour schématiser les messages généraux transmis par les états de défense aux émotions, disons que :
- la lutte correspond au besoin de reconnaissance, d’affirmation de soi.
- la fuite à un besoin d’équilibre entre sécurité et liberté.
- le repli à un besoin de sens, de cohérence, d’utilité
Il sera ensuite important d’aller explorer en détail l’expression spécifique du besoin dans la situation donnée, car elle seule renferme les clés de la satisfaction de ce besoin.
Auto coaching: observer ses réactions de défense aux émotions
Déterminer si vous êtes plutôt remparts, échauguettes ou coursives vous aidera à comprendre les besoins qu’il est important de satisfaire pour diminuer la fréquence et l’intensité d’une émotion négative. Observer ce qui se passe dans plusieurs émotions négatives (peur, colère, tristesse) est une première étape pour déterminer votre propre combinaison.
Attention cependant, je vous livre ces question à titre purement informatif, l’auto coaching a ses limites et l’identification des états de défense peut être délicate. Pour peu qu’on associe un comportement à une image qui nous plaît ou nous déplaît, on peut s’aveugler sur son fonctionnement.
Lorsque vous êtes submergé(e) par l’émotion:
Que se passe-t-il dans votre corps?
Que se passe-t-il dans votre tête?
Comment vous comportez-vous?
Qu’est-ce que vous vous dites à vous-même?
Face à cette situation, avez-vous tendance à dire “ça m’agace”, “ça me fatigue” ou “ça m’angoisse”?
Reportez-vous aux descriptions des états de défense.
Dans quelle mesure/types de situations êtes-vous en lutte? En fuite? En repli?
Quel est votre fonctionnement principal?
Qu’est ce que ça vous dit sur vous-mêmes et sur vos besoins à combler?
Voir aussi
Les émotions: amies fidèles ou ennemies incapacitantes?
Envies vs besoins
Besoins physiologiques vs besoins fondamentaux
La lecture émotionnelle au service du bien-être
La lecture émotionnelle au service des relations
10 étapes pour nous réconcilier avec nos émotions (partie 1): observer
Coup de stress: une solution A.T.O.M.I.Q.U.E !
Stress: et si on arrêtait de lutter contre?
Stress: la coexistence pacifique
Quelques sources:
Exploring Human Freeze Responses to a Threat Stressor – Norman B. Schmidt, J. Anthony Richey, Michael J. Zvolensky, and Jon K. Maner
Understanding motivation and emotion – J. Reeve
Les émotions – Robert Dantzer, PUF
Comprendre les émotions, Perspectives cognitives et psycho-sociales – Silvia Krauth-Gruber, Paula Niedenthalet François Ric, Mardaga
Eloge de la fuite – Heni Laborit, Folio
Le pouvoir des émotions – Didier Hauvette, Editions d’organisation
Comment apprivoiser son crocodile – Catherine Aimelet-Périssol, Poche
Aller plus loin
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Encore un super article, à lire et à relire car il est particulièrement dense. Pour rire un peu je vous propose aussi le haha, c’est le nom que l’on donnait aux fossés placés au pied des fortifications ainsi qu’aux ouvertures qui permettaient de surveiller au-delà des fossés protecteurs.
Pas vraiment, les maniaques de l’étymologie (j’ai failli écrire éthylomogie alors que je n’ai bu que de l’eau)semblent s’accorder à dire que tout moyen de défense suscitant la surprise s’est appelé haha pendant un certain temps, et cela un peu partout. Donc, comme je me plais souvent à le dire, ton erreur est juste !
Oui, j’ai moi aussi un peu de ces trois choses là 🙂 Et chacune selon la situation. Si c’est de l’ordre sentimental, je suis plutôt coursive. Si c’est je me sens agressée, je suis alors échauguette, et si c’est de la honte, ou quelque chose qui soit de ma faute, alors là, je fais la morte 😀
Eh bien le “haha”, je le vois bien aussi moi, comme réaction de défense… Le piège… C’est à dire retourner la situation pour la mettre en notre faveur. Je fais aussi ça… 😀
Madame,
j’apprécie beaucoup vos articles qui sont courts, denses et très instructifs.
Je partage depuis longtemps votre image de l’émotion (négative), tel un pigeon voyageur, comme une amie, qui annonce une menace, un danger potentiel. J’ai eu l’occasion, il y a longtemps, de lire l’éloge de la fuite de Henri Laborit (repris dans le film “mon oncle d’Amérique” de A. Resnais). Depuis cette époque, j’ai toujours utilisé cet outil des trois réponses face à un événement (agression, inhibition, fuite). J’ai pu constater sa pertinence y compris dans des cultures différentes.
Vous avez attiré ma curiosité dans la façon dont vous faites le lien entre chaque comportement-réponse et un besoin non comblé : agressif -reconnaissance ; fuite – sécurité / liberté; inhibition – sens / cohérence.
Auriez vous la gentillesse d’expliquer de quelle manière vous avez pu établir la pertinence, l’adéquation, l’efficacité de ces correspondances ?
A moins que cela ne soit un secret de fabrication ?
Dans l’attente du plaisir de vous lire.
Cordialement.
Bonjour Fabien,
Ces correspondances, que j’utilise beaucoup dans ma pratique, on été développées sur la base des travaux de Laborit, par, entre autres, Catherine Aimelet-Périssol et Didier Hauvette. Les besoins indiqués sont bien entendu génériques, et le besoin spécifique dans une situation donnée nécessite d’être creusé pour être identifié;)
Un super article que je viens de lire ! Toutefois, j’ai une émotion qui naît en moi quand je vois une tourterelle en image alors que l’on parle de pigeon de l’article. Et visiblement, je vous écris pour cela. Je suis en lutte donc? Ahah.
Bonne journée.
Merci Corinne pour ce retour qui m’a fait sourire, effectivement, les tourterelles ne sont pas des pigeons! Et à l’époque de la publication de ce billet, il y avait peu de banques d’images, je n’avais pas trouvé d’image correspondant à ce que je voulais, ce qui, vous l’imaginez, a généré chez moi une certaine frustration, donc une raéction de lutte!
Quant à votre réaction, vous êtes en lutte si l’image vous agace ou vous énerve, en fuite si elle vous inquiète et en repli sir elle vous fatigue et génère un sentiment d’à quoi bon:))