Quatrième partie de notre Petit traité de survie au confinement
Maintenant que vous avez identifié vos besoins et compris vos émotions, autant travailler l’élégance relationnelle pour parvenir à en parler avec votre entourage confiné sans le passer à la moulinette de votre exaspération, les aplatir sous votre angoisse ou les étouffer de votre lassitude et en retour, pouvoir accueillir les leurs avec bienveillance et humanité. Voyons voir comment se parler aimablement en confinement!
Avan-propos : ce billet s’adresse à ceux et celles qui ont des relations avec des hauts et des bas du domaine de la normalité. Pour ceux qui subissent des violences familiales ou conjugales, il y a le 3919 ou La plateforme Arretons les violences
Baissons les armes !
En vertu de la loi de Murphy, en période d’emmerdements maximum, tout ce qui peut aller mal ira mal. Y compris nos relations! Pourtant le confinement n’est pas exactement le moment pour les accrochages intempestifs, les joutes verbales, les conflits de valeurs, les explications houleuses, les redressements de torts ou les bons conseils sur ce qu’on doit penser et ressentir. Il est déjà assez agaçant, angoissant ou fatigant d’être coincés chez soi, éloignés d’une part des gens qu’on aime et des choses qu’on aime faire, sans avoir en plus à se farcir des tensions au sein d’un foyer qu’on rêve fait de calme et volupté.
Baissons donc les armes et acceptons qu’il vaut mieux quelques semaines de trêve plutôt que de se voler dans les plumes quand on se retrouve cloîtré avec d’autres bipèdes. Et ça ne vaut pas que pour les questions des escarmouches de la guerre de 100 ans des familles dysfonctionnelles. Ça vaut aussi pour les jeux de pouvoir, les petites manipulations, l’agressivité larvée qu’on peut retrouver dans plein d’interactions parfaitement ordinaires, à la maison autant qu’à distance avec les collègues.
Tout ça ne veut pas dire qu’on n’a pas le droit d’être à bout ou même juste un poil en émoi face aux difficultés de la cohabitation étendue. Bien au contraire. Seulement, nous ne sommes pas obligés de l’exprimer en mode tractopelle ou en disciple de Jérémie. Même si l’on sait que les engueulades familiales permettent parfois de résoudre des problèmes qui se sont murés dans le non-dit, peut-être que nous pouvons profiter du confinement pour apprendre à faire autrement, éviter les cocottes-minute, les vases qui débordent, les pailles qui cassent le dos du chameau et ce qui nous fait sortir de nos gonds et expérimenter des alternatives qui permettent de mieux se connaître, de mieux se comprendre et pourquoi pas, de mieux interagir, au bénéfice d’un traité de paix plus durable.
Eviter les crêpages de chignon, le ressentiment qui fait ourdir des plans vachards pour manger certains plats forcément surgelés, ou simplement en vouloir à ceux qui nous entourent de n’être que ce qu’ils sont (humaine et imparfaits) en apprenant à se parler, voilà qui débouchera peut-être sur des espaces familiaux ou relationnels plus nourrissants et plus réjouissants.
Et puis la plupart du temps, nos emportements ou nos petites manipulations ne nous rendent ni fiers de nous-mêmes, ni heureux, ni vraiment satisfaits lorsqu’on obtient gain de cause. Y parvenir en restant aimable et affirmé renforce les liens autant que l’estime de soi.
Il s’agit donc de commencer par accepter l’idée qu’il y a des façons de partager nos émotions et nos besoins qui ne nécessitent pas d’attendre les débordements. Et pour cela, il est important d’avoir les idées claires sur eux. Pour vous aider à clarifier les autres:
- Vivre au temps du coronavirus (2): connaître ses besoins
- Vivre au temps du coronavirus (3): quoi faire de nos émotions
Une oreille attentive
Avouons-le: nous avons beau avoir parfois du mal à supporter nos conjoint(e)s, nos proches, nos enfants, au fond, nous leur voulons surtout du bien. Nous ne les comprenons pas toujours, parfois leurs comportements nous paraissent aberrants, mais nous leur voulons du bien.
Et peut-être que confinés, à jongler comme nous le pouvons avec des yoyos d’émotions, nous pouvons comprendre qu’eux aussi passent par des hauts et des bas et donc commencer par prêter une oreille attentive et ouverte à ce qu’ils ont à dire, de façon à créer des bulles de confiance qui encouragent le partage (pas toujours facile) des émotions et des besoins, sans pour autant les forcer à parler d’eux, juste en en démontrant la possibilité. Peut-être que, le temps du confinement, on peut accepter que certains, parce qu’ils sont seuls, parce qu’ils sont exposés, parce qu’ils le vivent mal ont simplement besoin d’un espace de parole.
Une épaule bienveillante
Vos camarades de confinement ont du mal avec leurs propres émotions et leur prêter une oreille attentive ne prévient pas tous les débordements?
La capacité à accueillir les émotions, toutes les émotions, parce qu’elles ont toutes une raison de se manifester : un besoin à combler, est une réelle compétence relationnelle, non seulement élégante mais aussi qui a un sacré panache, car elle demande beaucoup de compréhension et d’abnégation pour ne pas tenter de céder au bon conseil, au jugement ou à l’agressivité et conserver son calme. Mais comme je vous vois prêt(e)s à prendre sur vous afin de sortir des écueils classiques et ne pas rester des padawans des relations Sans peur et sans reproche, allons-y:
Accueillir l’agressivité avec du moelleux : elle est le reflet de l’a frustration, de l’exaspération et parle de celui qui la manifeste sans savoir comment l’affirmer sans s’énerver. Vous pouvez par exemple lui dire gentiment quelque chose comme “je vois que tu as quelque chose à dire qui est important pour toi. Veux-tu qu’on prenne un moment pour en parler calmement?”
Accueillir l’angoisse avec chaleur et tranquillité: elle est le signe de quelqu’un qui a besoin de retrouver calmement ses points de repères, y compris s’il s’agit d’accepter l’enfermement qui entrave les déplacements, ce qui est angoissant pour ceux épris de liberté. “Je te sens perdu/confus/agité. Je te propose de prendre quelques minutes pour voir les solutions possibles”.
Accueillir la morosité, la lassitude avec douceur et réconfort : elle est le miroir de celui/celle qui se dépatouille comme il peut dans son sentiment d’absurdité et qui a besoin de comprendre ce qui lui arrive et trouver comment se rendre utile. “Je vois que tout ça te fatigue. Veux-tu que nous prenions quelques minutes pour analyser ce qui se passe?”
Un œil reconnaissant
L’élégance relationnelle va se loger aussi dans des initiatives fraternelles qui se multiplient autour de nous, parce que si l’être humain est capable de bien des choses questionnantes et désagréables, il est aussi capable du meilleur. Comme en témoignent les milliers de personnes qui coopèrent et manifestent une formidable créativité pour participer à une extraordinaire chaîne de solidarité et de soutien à tous ceux qui en ont besoin: au personnel soignant, aux personnes exposées, aux démunis. Il y a aussi des gestes plus anodins qui n’en sont pas mois élégants et nous pouvons nous entraîner à les repérer, ne serait-ce que pour nous nourrir de confiance en l’humanité.
Un exemple qui s’est produit ce week-end. Comme nous avons reçu une commande de FFP2 passée début février, avant qu’on sache combien les soignants allaient en manquer, j’ai préparé un colis pour mon neveu qui travaille en réa à Ambroise Paré. J’ai mis un mot dans l’entrée de l’immeuble pour dire que je collectais au passage tout ce que les voisins avaient à donner : friandises, biscuits etc… tout ce qui peut améliorer une pause bien méritée. Et bien la première personne qui est venue m’apporter quelque chose, c’est ma voisine du dessus. Vous vous souvenez de ma voisine du dessus, lecteurs fidèles ? Celle-là même qui m’a agressée l’année dernière ? Ça ne l’a pas empêchée de massacrer le prunier qui ombrage mon balcon, comme chaque année, hein, pour certains, la sortie de bocal à con n’est pas pour demain. Mais c’est moins pire que si ça l’était plus.
Un autre exemple: mon client Jérôme, au chômage partiel qui s’ennuie beaucoup dans la journée et dont le conjoint télétravaillait au début sur le petit bureau de leur chambre, de façon à lui laisser plus d’espace dans l’appartement pour s’occuper. Jérôme a vite trouvé injuste cette répartition du territoire commun qui obligeait son conjoint à bosser dans un recoin exigu et tous deux se sont finalement mis d’accord pour alterner par tranches de deux jours.
Voilà, l’élégance relationnelle, ce sont aussi des gestes prévenants qui incluent dans nos pensées le bien commun, les besoins et le bien des autres. Ça peut être de toutes petites marques de considération pour montrer qu’on pense à l’autre, qu’on a entendu ou compris que ce qui est important, au final, c’est bien la qualité de nos relations.
Cohabiter aimablement grâce au roommate agreement
Pour éviter le big bang familial ou conjugal, et même quand on est largement plus coopératif et moins rigide que les Sheldon de la cohabitation, se mettre d’accord sur les modalités du confinement à plusieurs, sans se soumettre et sacrifier ses besoins, sans imposer ses 4 volontés, a de multiples bénéfices:
– Prendre en compte de chacun, donc renforcer le sentiment de reconnaissance
– Renforcer la résilience collective
– Renforcer le plaisir de vivre ensemble, qui peut être sacrément mis à mal par la promiscuité, le manque d’espace et de temps à soi
– Renforcer la connaissance et la compréhension mutuelle, donc l’acceptation de soi et des autres
– Renforcer le sentiment d’appartenance
Pour parvenir aux accords d’Oslo de la cohabitation, il peut être judicieux d’amener toutes les parties concernées à la table des négociations, y compris les enfants afin qu’il participent activement, car on sait bien que ceux à qui on impose des décisions prises unilatéralement sont rarement pleinement en accord avec.
Réussir la réunion de votre comité de confinement va nécessiter (ou être l’occasion) de travailler:
La capacité à entendre, comprendre et accueillir les besoins des autres, sans juger, jusque dans leurs bizarreries les plus singulières, tellement ils sont éloignés des nôtres. Ce qui implique aussi le fait de poser des questions pour les aider à clarifier leurs propres besoins et sentiments.
La capacité à exprimer les siens, avec calme, confiance et clarté, pour que les autres puissent vous comprendre jusque dans vos bizarreries les plus singulières. Par exemple sur le mode « j’aimerais… », « je préférerais… », propre à la CNV, ou « j’a besoin de… » qui vous éviteront les rouleaux-compresseurs sémantiques comme « Y’en a ras-le-bol » ou « mais enfin, c’est quand même pas compliqué à comrendre ».
La capacité à inventer des moyens de concilier les besoins des uns avec ceux des autres, les besoins des autres avec les vôtres, sans chercher qui a tort ou raison, quels besoins sont acceptables, valides, légitimes, puisque tous le sont, ou bien aucun ne le sont.
Votre comité pourra plancher sur deux aspects essentiels de la cohabitation confinée:
La redistribution des tâches
C’est en particulier l’occasion de lâcher prise et de redessiner avec toute la famille une nouvelle répartition des tâches ménagères, adaptées aux conditions, aux possibilités, mais aussi aux appétences de chacun. Répartition qui pourra évoluer lors du déconfinement, sans retomber dans les pièges classiques (genre les femmes qui prennent tout en charge, parfois en râlant, mais qui le font quand même). Pour vous aider:
- Lâcher-prise : le principe du lave-vaisselle
- Le rugby au service de la conciliation vie professionnelle/vie privée des femmes
La conciliation des besoins
Trop souvent, les rapports de force qui existent jusque dans notre bonne famille Ricoré font que un ou plusieurs des membres du foyer prennent l’ascendant et imposent leurs besoins aux autres, qui se dépatouillent tant bien que mal avec. Concilier les besoins, c’est prendre en compte ceux de chacun sans que les uns ou les autres ne doivent sacrifier une part de ce qui est important pour eux.
Outre l’affirmation de soi et la capacité d’écoute, il va aussi y avoir besoin de faire preuve de créativité, d’inventivité, de débrouillardise pour réussir à combiner au maximum ce qui est important pour chacun. Ne gravez pas votre Roomate agreement dans le marbre, vous avez surtout besoin de tester et d’organiser des temps de discussion réguliers pour voir comment ça fonctionne et ne pas attendre l’exaspération qui déclenche l’agressivité.
En télétravail: la prise en compte individuelle
Chaque collègue qui télétravaille confiné(e) ou va bosser et se retrouve ainsi exposé(e) est dans une situation unique qu’il/elle vit à sa manière. Il est important de prendre en considération non pas la situation de chacun, comme q’il y avait une échelle définie de ce qui est facile et ce qui ne l’est pas, mais sa propre façon d’y réagir. Oui, il y aura toujours des capricieux et des chochottes qui ne se rendent pas compte de “la chance qu’ils ont”. Mais dans la majorité des cas, il y a surtout des quidams qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont. Là aussi, l’écoute, la compréhension, la considération (qui n’ont rien à voir avec la complaisance ou le “trop bon trop con”) sont des marques d’élégance relationnelle. C’est par le soutien mutuel, l’entraide et un esprit camarade que nous traverseront au mieux la collaboration professionnelle en télétravail.
Le désaccord avec classe
L’élégance relationnelle, ce n’est pas accepter avec soumission, le doigt sur la couture du pantalon, ce qui nous déplaît, nous gêne ou nous questionne. C’est le formuler avec simplicité et sans brutalité contre-productive. Ainsi par exemple, nous ne sommes pas obligés de croire que nous devons nous ranger comme un seul homme derrière les discours officiels et que tout désaccord ferait de vous un polémiquard non citoyen, traitre à la Formidable Unité Nationale ! C’est peut-être justement le moment de chercher des moyens d’exprimer ces désaccords avec intelligence et réflexion, comme dans cette très intéressante tribune de la Quadrature du net:
qui, en dépit de son titre, est une critique calme et argumentée de certaines mesures gouvernementales. Avec laquelle on pourra être en accord ou en désaccord, mais qui a le mérite de s’exprimer posément, ce qui donne à réfléchir plutôt qu’à sur-réagir. Peut-être que l’élégance relationnelle c’est aussi ça : chercher la nuance dans le propos, embrasser la complexité, creuser l’analyse sans hésiter à affirmer ses opinions, mais sans balancer des noms d’oiseaux aux quatre coins de la maison ou des réseaux sociaux, qui ne font qu’ajouter colère, frustration et agressivité dans les vents et marées des émotions confinées.
Dire ce qui va bien
Parce que nous traversons des difficultés collectives, c’est aussi le moment de partager ce que nous faisons peu – ou du moins insuffisamment – en « temps normal » : dire ce qui va bien. Partager tout le bien que nous pensons des gens que nous aimons, envoyer des signes de reconnaissance, de gratitude, parce que ceux qui comptent pour nous et pour qui nous comptons sont une présence physique ou virtuelle essentielle pour traverser le confinement, mais aussi qui embellissent nos vies. Il est temps de le leur dire !
- Vitamines mentales : dire ce qui va bien
- Elégance relationnelle: mots gentils et reconnaissance durable
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