Seconde partie de notre exploration du slashing hybride débribé, ou comment, quand on a une tête qui fourmille d’idées et les idées claires sur l’avenir de nos métiers, il est utile de développer le pied sûr, pour bondir et rebondir et se reconvertir si nécessaire. Voici donc la voie de l’isard, ou l’art de mener sa vie professionnelle au XXIe siècle.
Slashers hybrides: réveillez l’isard qui sommeille en vous!
Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises combien l’époque se prête à l’invention de nouveaux métiers et au fait que l’avenir de nos vies professionnelles passe par des hybridations qui sont une source formidable de sens et de motivation pour les multipotentiels et tous les pétillants de la carafe:
- Chronique d’une reconversion annoncée: les métiers de demain
- Chronique d’une reconversion annoncée : l’hybridation des métiers
Or, cette tendance se renforce et se fait de plus en plus visible dans les publications sur l’évolution du travail et des métiers, et se dirige vers une dilution desdits métiers en portefeuille de compétences variées, sous la forme d’un slashing hybride qui peut être parfaitement réjouissant, comme en témoigne cet article de l’Atelier:
Toute la question est : comment développer l’aisance suffisante pour devenir slasheur hybride et changer de métier en toute décontraction? Entendre des témoignages de pluriactifs ultra assumés, qui jonglent avec les identités professionnelles et personnelles avec une dextérité épatante peut parfois être un peu difficile pour ceux que Marielle Barbe appelle les slasheurs au bois dormant, c’est-à-dire ceux dont le désir d’explorer leurs facettes multiples reste tapi au fond d’eux-mêmes et endormi par les contraintes et les injonctions.
Ceux qui caressent l’envie de changer de métier ou de se mettre à leur compte et d’hybrider leur vie professionnelle peuvent avoir des craintes compréhensibles, qu’elles soient financières, ou autres. Comment développer l’assurance et la détermination quand on voit surtout ses propres contraintes, ses propres limites et qu’elles paraissent bien lourdes à porter?
Je vous en avais parlé dans le premier billet : cette aisance nécessaire, à moi, Pyrénéenne, m’évoque celle de l’isard, roi des pics et des arrêtes acérés, qui gambade en légèreté près des sommets ou dans des pentes vertigineuses, qui va exactement où il veut. Et ça s’explique : c’est bien plus facile d’être aérien quand on a le pied sûr.
Elégance du geste, équilibre, action, mouvement, l’isard acrobate funambule des cimes pyrénéennes est hyper adapté à son mode de vie : un cœur énorme pour l’énergie, des sabots tranchants comme chaînes à neige et des soles caoutchouteuses en guise de chaussons d’escalade, il est parfaitement adapté à son environnement. Pas besoin de se poser des questions existentielles à chaque pas dans ces conditions-là 😉 Et nous pouvons nous en inspirer : développer l’adaptabilité à un monde professionnel débridé pour pouvoir y hybrider des vies professionnelles inédites et taillées sur mesure. Isards professionnels, sortez de vos cachettes !
Pas besoin de « trouver sa voie », il suffit de savoir marcher
C’est sans doute là le secret de l’assurance des réinventeurs de vie professionnelle : ils ont le pied sûr parce qu’ils savent comment ils vont là où ils vont… à défaut de savoir précisément là où ils vont. Ce sont des explorateurs, des arpenteurs de territoires, des découvreurs de pépites professionnelles et non les enfants normés des « outils » et des tests de personnalité, qui suivent la « voie » unique, étriquée et autoroutière dégotée au débotté dans un test de personnalité. Voir:
Alors bien sûr, leur façon de dérouler leur propre itinéraire est l’inverse du coaching traditionnel qui a besoin d’avoir identifié l’objectif avant de se mettre en route, ou bien qui va faire son objectif de trouver l’objectif. C’est la raison pour laquelle autant de publications se réfugient dans le « trouver sa voie » : c’est rassurant. Ce qui explique pourquoi, histoire de rassurer d’encore un cran, on va aussi s’appuyer sur des outils vieillots et/ou normatifs (du bilan de compétences déguisé au désormais très à la mode Ikigaï, en passant par (pire) le RIASEC, l’ADVP et les tests de personnalité comme le MBTI).
Mais les outils qui rassurent donnent-ils de l’assurance? Aucune chance! On n’apprend pas à arpenter des montagnes dans des livres, on ne développe pas la confiance en soi dans un test de personnalité ! L’hybridation d’une vie professionnelle, ce n’est pas « trouver sa voie » c’est en ouvrir une inédite dans une face inexplorée. C’est apprendre à la modeler, à chaque étape de la combinaison indissociable vie pro/vie perso, en fonction de ses besoins, désirs et aspirations. Parce que pour beaucoup d’entre nous, plus adeptes de Thoreau que des autoroutes de la reconversion, le chemin ne s’emprunte pas, il se trace pas à pas.
Il ne s’agit donc pas de trouver sa voie, mais bien sa façon de marcher. Avec élégance et décontraction:)
Courage fuyons !
L’isard est un animal de fuite et l’on peut être tenté d’y voir une mauvaise image, mais la fuite est parfois une excellente solution ! Ainsi, pour beaucoup de multiactifs, il va s’agir de fuir l’ennui, la routine, le manque de stimulation, mais aussi les injonctions sociales et le conformisme qui représenteraient de vraies menaces au bien-être de leur cafetière constamment en ébullition.
L’idée est donc de s’affranchir des croyances qui nous dominent, certainement pas de nous changer, de partir en croisade contre nous-mêmes pour nous façonner à l’image des « profils ».
Ne fuyez que ce que vous avez envie de fuir, n’allez que vers ce qui vous attire, vous intéresse, titille votre curiosité. Par opposition à céder aux trompettes de le renommée qui ne sont que les produits marketings d’une époque.
Et pour développer le pied sûr qui va faciliter vos bifurcations et … professionnels dans un monde joyeusement agité, la voie de l’isard de construit autour de deux axes: la connaissance de soi d’une part, et le tandem exploration,/expérimentation d’autre part.
La voie de l’isard (1): La connaissance de soi
Construire l’aptitude à la réflexivité
Cette connaissance de soi n’est pas celle tronquée et normative des tests de personnalité. C’est la connaissance globale et détaillée que donne l’apprentissage de la réflexivité et la capacité d’introspection, d’auto-évaluation. Chacun est une mosaïque singulière et c’est dans sa logique propre que se logent son pouvoir de décision et d’orientation, pas dans la suggestion ou la mise en case, qui finit toujours en mise en cage. Et on ne met pas les isard en cage : ils ne pourraient qu’y dépérir.
Or cette connaissance de soi a besoin de venir de l’intérieur et explorée pas à pas, parce qu’il y a une multitude de spécificités personnelles à intégrer dans une bifurcation suffisamment hybride et job crafté et job craftable pour y trouver un plaisir durable et surtout renouvelable. Or, la force normative des « outils » d’exploration de la personnalité restent une démarche passive d’acceptation d’un profilage externe et non une capacité à la réflexivité.
Virginie Faivet, lors de la soirée ConnectLab, a évoqué le fait qu’elle travaille beaucoup et qu’elle dort peu et qu’elle a bien de la chance d’avoir trouvé un conjoint qui s’accommode de ses fonctionnements. La conscience d’une telle spécificité ne sort pas d’un test de personnalité et permet de déterminer de quelle façon et dans quelle mesure elle va pouvoir être articulée dans la vie à la fois professionnelle et personnelle dans dommage pour les relations. Il en va de même pour toutes vos caractéristiques et tous vos besoins.
Trois domaines à clarifier
Il y a ainsi trois grandes catégories de besoins qui nécessitent d’être explorés à la main pour pouvoir être intégrés dans le projet
– Les besoins et désirs professionnels : la connaissance précise de ses besoins, de ses appétences (organisationnelles, relationnelles, professionnelles etc.), de ses fonctionnements émotionnels, de ses mécanismes de réussite, de ses propres sources de plaisir, de sens, de sentiment de contribution et de motivation, ses circuits de récompense, de sa capacité d’hybridation et de job crafting, mais aussi de ses limites, ses inappétences, ses incompatibilités. Cette connaissance de soi est source directe d’acceptation de soi, d’estime de soi et de faculté à faire des choix éclairés.
– Le risque de dispersion et d’éparpillement : qui est bien réel dans tous les projets multifacettes, qu’ils soient hybrides en termes de compétences ou d’activités. Chacun aura besoin de déterminer les cadres dans lesquels ils œuvrent comme des poissons dans l’eau et les limites au-delà desquelles la variété devient dispersion et l’éparpillement inconfortable et source de stress. Voir: Reconversion professionnelle: bénéfices et limites du slashing
– La prise de risque : le risque est un concept très individuel et subjectif, et même chez les isards de la vie professionnelle, l’arête fastoche de l’un sera un passage aérien dangereux pour l’autre. La perception que chacun a du risque ne correspond à aucune échelle universelle et se juge pas. Elle ne souffre d’ailleurs pas les injonctions et les idées du prêt-à-penser dans lesquelles si tu ne sors pas de ta zone de confort, t’es un loser. L’essentiel étant que chacun fasse le point pour lui-même de ce qu’il se sent en mesure de faire ou de ne pas faire, et de là où il ne veut pas aller, dans les hybridations et bifurcations qu’il/elle a envie de mener. Jusqu’au renoncement si nécessaire. Cela permet de poser des garde-fous rassurants qui évitent le sentiment de faire n’importe quoi et permet d’avancer en toute sécurité.
C’est le fait de savoir que vous vous prenez intégralement en compte, avec chacune de vos spécificités qui va vous donner la première part du pied sûr: une mélange d’estime de vous, d’acceptation de vous, de confiance en vous. Le fait de reconnaître dans votre mosaïque de caractéristiques une identité multifacette qui répond à sa propre logique et qui donne toute sa saveur et sa valeur à votre singularité. La seconde part, c’est la façon dont vous allez articuler cette mosaïque dans votre vie professionnelle.
La voie de l’isard (2): exploration et expérimentation
La direction plutôt que la destination
La logique de l’articulation de ces identités multiples se trouve au cœur de chacun est très liée à nos systèmes de valeurs (morales et motrices), au sens que nous voulons donner à notre vie professionnelle, c’est-à-dire à nos désirs de contributions. Les différentes facettes et modes d’expression vont s’articuler autour de ce système (qu’on peut, pour simplifier, appeler « direction »), comme des satellites plus ou moins éloignés, des enchaînements de micro-bifurcations et qui vont chacun prendre une place et avoir une importance différentes dans nos vies.
Elles peuvent aussi être fluctuantes, très présentes à certains moments de la vie, beaucoup moins à d’autres. D’autre part, elles peuvent aussi concerner aussi bien la vie personnelle que la vie professionnelle.
Comment s’orienter dans tout cela, comment faire de choix, comment les articuler entre elles avec aisance? Par l’exploration et l’expérimentation.
Exploration et expérimentation des hybridations possibles
C’est en explorant et en expérimentant que vous allez pouvoir déterminer les pollinisations croisées d’appétences, de désirs et d’aspirations qui vont hybrider votre vie professionnelle.
Pour explorer, laissez-vous emmener par votre curiosité, par votre sens de l’émerveillement, laissez ce qui vous intéresse, ce qui vous titille dans tous les domaines de votre vie vous emmener découvrir des territoires professionnels nouveaux pour vous. Rencontrez des gens qui font autre chose que vous, sur des sujets connexes comme sur des sujets éloignés. Laissez aussi les hasards et la sérendipité vous mener d’un territoire à un autre. Les hybridations possibles ne sont pas toujours des évidences et émergent souvent au détour d’un chemin inattendu 😉
D’autre part, il n’y a pas toujours besoin de se jeter dans le grand bain en envoyant tout balader, il peut aussi être plus simple et plus rassurant ou tout simplement plus pertinent, de commencer par un simple pas de côté, une petite chose à expérimenter. Au travers d’un MOOC, d’un stage, d’une mission inhabituelle, d’une expérimentation au sein de votre vie professionnelle, qui va vous donner des informations importantes sur la place que cette petite expérience va prendre : une simple déviation temporaire ou une véritable bifurcation. Bougez, testez un truc par ici, un truc par là, passez d’une chose à une autre, ne laissez pas la maîtrise vous encroûter dans une sujet : allez plus loin, allez vers du connexe, du différent, allez vers autre chose, vers tout ce qui vous attire, mais restez en mouvement. Car celui-ci (nous y reviendrons prochainement) donne le pied sûr parce qu’il favorise l’équilibre et nourrit le besoin de liberté.
C’est un moyen de naviguer au fur et à mesure et de décider ce que vous voulez faire de quoi. Comme par exemple distinguer ce qui va rester du domaine du loisir, de la vie personnelle, et ce que vous allez pleinement intégrer dans votre vie professionnelle. Lorsque cette décision-là est prise, le comment de l’intégration en question vient assez rapidement.
Quelques exemples concrets que je prends dans mon propre parcours:
début 2008, à l’aube des réseaux sociaux, j’avais choisi d’explorer comment je pouvais utiliser Internet pour interagir avec ma clientèle potentielle. J’ai aimé l’expérience que j’en ai faite et je l’ai intégré dans ma vie professionnelle.
J’a fait quelques traductions de livres plutôt informatifs et deux ou trois romans qui n’étaient pas exactement du Herman Melville. j’ai trouvé l’expérience intéressante et ça m’a permis d’avoir une activité professionnelle alors que j’étais très peu mobile. Mais j’ai aussi trouvé l’affaire peu stimulante et je n’aurais pas grande envie de m’y remettre aujourd’hui.
Je me suis initiée au massage équin, et j’y prends énormément de plaisir, c’est un moment où mon cerveau déconnecte et toute mon attention est concentrée sur le contact. J’ai commencé par quelques chevaux d’école et j’ai eu des demandes pour des chevaux de sport. C’est là que j’ai réalisé que je n’avais pas vraiment envie de consacrer beaucoup de temps à cette activité, et que le plaisir me vient avec quelques chevaux que je connais bien et avec qui je peux entrer en relation.
Vous l’avez compris, c’est en s’autorisant le pas de côté, l’exploration, l’expérimentation qu’on développe l’agilité, la souplesse, la capacité au mouvement et que les acrobaties professionnelles vont devenir de plus en plus faisables. Il n’y a pas de profil d’isard type, il n’y a que des gens qui s’autorisent à explorer les possibles en fonction de ce qu’ils sont et qui apprennent petit à petit à mettre leurs caractéristiques (y compris celles qu’ils considèrent négatives) au service de leur vie professionnelle. Ceux-là auront le pied sûr, l’esprit léger et beaucoup de plaisir à travailler!
Et dans la suite de ce billet, je vous synthétise la voie de l’isard en 16 conseils concrets… et une infographie;):
Reconversion, slashing: 16 conseils pour développer la capacité à s’orienter professionnellement
Crédit photo: Pixabay et Liondor
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Aller plus loin
Vous voulez développer l’assurance sereine pour changer de métier et hybrider votre vie professionnelle? Vous voulez mener un itinéraire de reconversion qui allie réflexivité, connaissance de soi d’une part et exploration et expérimentation d’autre part? Ithaque met à votre service son expérience et son savoir-faire dans ses accompagnements exclusifs. Pour tous renseignement, contacter Sylvaine Pascual
“Bizarre l’isard… qui saute d’une sujet à l’autre comme s’il avait cette liberté ! Mais c’est qu’on ne peut plus dérouler son CV en colonne comme c’est l’usage”.
“Il déraille complètement” songe le petit chef recruteur que cette excellente nouvelle ne semble pas du tout enthousiasmer. Et lorsque l’isard parle alors de son “parcours” qui l’a beaucoup enrichi et lui donne une vue extraordinaire et d’autant plus envie de sauter sur ce rocher précisément, la consternation non avouée l’emporte sur le soulagement et la curiosité.
Tenter d’aller se faire comprendre ailleurs, au pays des changements de trajectoire.
“Oui mais comprenez… on ne peut pas non plus faire les choses au hasard, Madame Isard. Alors, dites moi sur quelle touffe d’herbe vous souhaitez dormir ce soir (à la fin de vos jours), et il n’y aura plus pour vous qu’à tracer un trait à vol d’oiseau entre nous et ce point pour tracer votre nouvelle vie professionnelle. Que c’est enthousiasmant, ne trouvez-vous pas ?” s’exclame madame reconversion.
Merci à vous, Sylvaine, de prouver et clamer combien c’est apprendre à marcher en confiance et avec audace qui nous fera le plus de bien et tracera les plus belles épopées.
Merci de nous offrir cet emblème magnifique pour frayer une voie majestueuse et unique. Loin du petit chef et du bilan de compétence…
Voilà pourquoi – bien avant ce billet mais ce billet m’est particulièrement doux – vous êtes pour moi l’inspiratrice de haute montagne en or !
Carine, quel plaisir vous me faites à mettre d’aussi jolis mots sur vos propres gambades vers un itinéraire si hybride qu’il pourrait surprendre, mais qui vous convient tellement qu’il vous a donné la confiance nécessaire. C’est un très beau cadeau que vous me faites, mille mercis:))
Au nom de tous les multipotentialistes qui se reconnaitront dans une description de travailleur qui a tous pleins d’ingrédients pétillants mais qui n’arrive pas à mettre au point l’ultime recette – car ils sont tantôt fiers d’être des électrons libres multifacettes, tantôt en souffrance de ne pouvoir s’assurer un avenir et une carrière linéaire reposante- à tous ceux là je dirai que les mots de Sylvaine qui m’ont grandement éclairés: direction plutôt que destination / expérimentation plutôt que projection. Sylvaine depuis le temps que je vous lis: MERCI !
Voilà qui me fait très plaisir, merci Elodie!
Ayant probablement autour de 90% de multipotentiels dans ma clientèle (dont la majorité l’ignore, mais ça n’a aucune importance:), j’ai eu beaucoup beaucoup l’occasion d’observer ce qui fonctionne avec eux!