De nombreux conflits naissent d’incompréhensions sémantiques de toutes sortes. Par exemple, nous nous exprimons beaucoup par métaphores, croyant à tort qu’elles sont parfaitement compréhensibles par tous ceux qui ont un cerveau normalement constitué. Et pourtant, la métaphore est potentiellement un raté de la communication comme un autre. Et c’est Oana Juncu, agiliste de renom, qui se charge de nous expliquer cela, avec l’aimable participation du Père Noël.
Oana Juncu, agiliste qui met la relation au service de la performance
J’ai rencontré Oana lors du Scrumday2012 et j’ai tout de suite apprécié son intelligence, sa vivacité, son regard positif sur le monde et la curiosité qui l’anime vis-à-vis de tout ce qui peut favoriser l’amélioration des relations et de la performance. Elle est le fondateur de cOemerge, une société qui accompagne les organisations dans leur transformation vers Agile en s’appuyant sur une démarche centrée sur le client et la capacité de réaliser des produits en renforçant la motivation et le leadership des équipes.
Lors d’un déjeuner, nous en sommes venues à échanger sur les bévues et boulettes verbales qui, de malentendus en incompréhensions mutuelles, peuvent déboucher sur toutes sortes d’accrochages, voire de conflits. Et lorsqu’Oana a évoqué la façon dont nos choix sémantiques génèrent des métaphores parfois obscures aux oreilles de nos contemporains, je n’ai pas résisté au plaisir de lui proposer de venir nous exposer ce joli raté de la communication et nous proposer une alternative.
Je lui transmets le bâton de parole!
Métaphores et échec de communication
Les conflits les plus sévères sont issus des quiproquos, des non dits et des fausses hypothèses que nous faisons en toute bonne foi, et que nous prenons comme des vérités universelles. L’échec des projets d’équipe a souvent comme cause l’échec de communication entre les parties prenantes.
Dans notre communications , nous utilisons des métaphores comme nous respirons. Sans nous rendre compte que la signification de nos métaphores nous est propre. Les mots sont des représentation génériques: leur sémantique est chargée pour chacun d’entre nous de notre expérience le concernant. Nous emportons avec nous le bagage sémantique des mots que nous utilisons sans en avoir conscience.
Agile*, une initiative issue du constat fréquent d’incapacité des projets informatiques à fournir des produits pertinents pour les utilisateurs, avec des coûts raisonnables, définit comme principe clé de réussite “l’interaction entre personnes” et “la collaboration ( en continu) avec le client”. L’état d’esprit Agile est friand de toute pratique qui peut créer des ponts de communication pour prendre conscience que nos vérités sont des métaphores-hypothèses, à vérifier via le reflet des autres
Le Père Noël existe!… Si vous le voulez
Faisons une expérience: Si je vous demande “Croyez-vous au Père Noël ?”, vous réagissez comment? Mépris, puéril, futile, fleur bleue, péjoratif, espoir, émerveillement, optimisme?
Voilà déjà un spectre entier d’impressions possibles en réfléchissant à cette question.
Notre expérience d’adultes nous précipite dans la réponse : “mais non, toute personne rationnelle et responsable ne va pas y croire après l’âge de 7 ans! “; l’âge de la raison d’ailleurs! “Croire au père Noël” est souvent une métaphore pour “naïveté”. Parfois pour ” présomption de passivité”: “N’attends pas que le Père Noël t’amène le succès sur un plateau”.
Je regarde le Père Noël d’un angle sémantique différent: nous croyons tous au Père Noël, car il est une bonne illustration de ce qui nous fait avancer tous les jours: l’espoir.
J’aime dire que seulement ceux qui n’ont plus aucun espoir qu’une chose merveilleuse fera partie de leur réalité un jour, ou que leur passage dans se monde compte, ne croient plus au Père Noël. J’espère qu’il y a bien peu de ceux-là:). Si l’on finit par côtoyer tous les jours de tas de gens qui n’espèrent plus rien de tout et se baladent le cœur creux le long de la journée, alors l’humanité aura vraiment un très gros problème.
Du coup, imaginez: si vous êtes dans l’état d’esprit “Père Noël” = “naïveté infantile + faiblesse” et que vous m’entendez seulement dire “je pense que vous croyez au Père Noël” , nous voilà ensemble prisonniers d’un triste malentendu qui pourrait générer des tensions entre nous.
Les métaphores , un bagage culturel
Nous appliquons nos filtres de compréhension à chaque mot que nous employons. Les mots sont des concepts et notre cerveau a besoin de se projeter dans le concret. Prenons l’exemple du mot “chat”. Concret , non? Eh bien, à quoi pensez-vous réellement en entendant le mot “chat”?
Pour ma part, je vois tout de suite un chat gris foncé sur une branche, très concentré, aux yeux jaunes figés sur les agissements d’un oiseaux. Il serait vraiment étonnant que vous ayez exactement à la même représentation que moi. Et voilà “appeler un chat, un chat” ce n’est pas si simple…
Nous sommes habitués à utiliser des métaphores pour exprimer d’une façon conceptuelle quelque chose qui a une représentation très spécifique pour chacun d’entre nous, sans que nous soyons conscients. Cette représentation spécifique est dépendante de notre éducation, notre expérience et notre personnalité etc.
Et du coup, paf! , chaque fois que nous “appelons un chat un chat” devant un interlocuteur, nous sommes déjà plongés dans le malentendu. Nous appuyons notre vérité sur la fausse hypothèse que le chat dont nous parlons est le même que celui auquel votre interlocuteur pense (par exemple le minou gris sur une branche…) . D’autres exemples de métaphores? : “naviguer à vue”, “la toile internet”, “reprendre ses esprits” et les très populaires indicateurs d’avancement projets: “indicateurs au vert/rouge” ou image météo pour dire si le projet va bien ou pas. Allez savoir dans une assemblée de personnes ce que veut dire “le projet va/ne va pas bien” pour chacun d’entre eux!
Le langage propre, bâtir des ponts de communication
Beaucoup de savoir à été investi pour résoudre les problèmes de communication à l’origine de conflits les plus graves. Mon faible pour l’attention à la communication et aux “métaphores implicites”, a ses racines dans mon expérience personnelle d’utilisation quotidienne d’une langue différente de ma langue maternelle.
Il n’est pas facile de s’exprimer avec précision dans une langue qui n’est pas la vôtre, car ” connaître” une langue n’est pas suffisant. Si on met sur les mots un filtre culturel différent de celui de nos interlocuteurs, on peut tomber dans des pièges énormes que nous nous voyons pas même quand on est dedans.
Une mes approches favorites pour réduire le décalage de communication est le Clean Language (language propre). Conçu au début des années 1980 par David Grove, psychothérapeute néo-zélandais, c’est une technique de questionnement ouvert, qui s’intéresse essentiellement à la dimension métaphorique du discours du client. D’après cleanlanguage.fr, « le Clean Language accompagne le processus du client, tout en garantissant que ses propres signifiés et ses résonances demeurent intacts et non contaminés par les mots du thérapeute. ». Adapté à notre quotidien, il permet de comprendre les métaphores de nos interlocuteurs sans les déformer par nos propres représentations. Le Clean Language donne un canevas simple pour prendre
conscience de métaphores implicites que nous utilisons, en les explicitant via des itérations successives. C’est un pont de communication.
– Pour une notion exprimée X, le Clean Language invite à répondre à la question : X est comme quoi d’autre ?” Ensuite itérer:
– “Et encore comme quoi d’autre?”
– Jusqu’à obtenir une vision claire pour nous comme pour l’interlocuteur de la représentation que nous nous faisons d’une idée, d’un concept.
Un exemple? Prenons encore le chat en ligne mire (décidément il en a vu de toutes les couleurs!).
– Si vous me demandez “Un chat est pour toi comme quoi d’autre?”, je répondrais “comme un félin gris aux yeux jaunes”.
– Ensuite vous me demandez “Et comme quoi d’autre?”, et je réponds “comme un animal agile capable de rester en équilibre sans bouger sur une branche un après-midi d’été”.
– Continuons! “…Et comme quoi d’autre”, “comme un prédateur habile guettant patiemment sa proie”
Voyez, il devient assez étonnant le “chat” si on le regarde de près avec l’approche Clean Language. Et encore je n’ai pas fini, si j’y pense bien. Mon chat gris et encore bien d’autres choses…
Si ce petit exercice de “prise de conscience de “sémantique implicite” vous a plu, exercez-vous sur une autre métaphore: “Le Père Noel serait comme quoi d’autre?”
Agile, métaphores et collaboration
Le Père Noël nous livre donc une clé de communication au service de la collaboration.
Le Père Noël nous livre donc une clé de communication au service de la collaboration. Agile* est née il y a (déjà ! ) 12 ans par la publication du manifeste Agile, une collection de principes pour le développement informatique, signé par un groupe d’ingénieurs qui n’en pouvaient plus de vivre l’échec de projets informatiques dans lesquels ils avaient investi leur temps, leur aspirations et leur professionnalisme. Ils sont partis d’une prémisse, rarement fausse:
- “Toutes les personnes impliquées ont des bonnes intentions”
pour arriver à un constat paradoxal: “nous n’arrivons pas à un résultat satisfaisant. De plus, le moral des toutes les parties prenantes est au plus bas.”
L’Agilité fait partie de mon quotidien, car le manifeste Agile** a raisonné dans mon esprit, surtout l’élément de solution que l’Agilité propose à ce paradoxe via un des éléments clé du Manifeste Agile: la capacité de rendre la communication fiable entre tous les acteurs d’un projet. C’est à dire, quand on “appelle un chat, un chat”, s’assurer au maximum qu’on parle du même même chat.
En se focalisant sur la communication fiable, L’Agilité est arrivée sans surprise à s’intéresser à toute pratique qui soutient ses conditions: la collaboration et l’écoute. En pratiquant la communication fiable, l’Agilité renforce ses bénéfices: la solidarité autour de la quête d’amélioration commune pour oser des résultats surprenants.
La force d’Agile est de ne pas faire l’hypothèse de faiblesse, ni celle de l’optimisme inconditionnel en entendant “Père Noël existe!”. Dans l’esprit Agile nous allons chercher à savoir plus sur la signification de cette métaphore : “Père Noël est comme quoi d’autre pour toi?” . Ensuite tout espoir est permis!
Plus sur Oana Juncu : http://about.me/ojuncu
Voir aussi
Ressources externes:
*Voir: l’agilité expliquée à mon manager
**Le Manifeste Agile (en anglais)
Compétences relationnelles: l’écoute active
Rupture douce: l’agilité pour collaborer autrement
Oser le désaccord: quand le bourre-pif devient collaboratif!
L’égo, frein majeur à l’intelligence collaborative
Morale primate et relations humaines: faisons les singes!
L’humilité et la reconnaissance au service du collectif
Aller plus loin
Vous voulez mettre un peu d’agilité dans vos projets entrepreneuriaux? Contactez Oana Juncu.
Vous voulez mettre davantage de souplesse et d’efficacité dans votre communication professionnelle? Pensez au coaching. Pour tous renseignements, contactez Sylvaine Pascual
Sylvaine, Oana,
Ayant travaillé avec des élèves dyslexiques et intervenant à présent dans des contextes multiculturels, je privilégie – surtout dans les interactions orales – la comparaison explicite par rapport à la métaphore, porteuse de contre-sens et source de confusion. Je n’avais pas encore mené de véritable réflexion par rapport à cette pratique plus ou moins intuitive. Votre article m’en fournit l’occasion et je vous en remercie. Merci également pour les liens sur l’Agilité.
Merci Catherine pour ce retour, car en effet, tout difficulté relative au langage rend la compréhension des métaphores encore plus compliquées, et c’est bon de le rappeler:))
Merci Catherine pour ton retour, je suis très contente que cet article t’a été utile. Ce que je trouve fascinant dans l’utilisation de la comparaison explicite est la prise de conscience sur l’utilisation permanente des métaphores dans notre langage. Si tu as des questions sur l’Agilité, n’hésite pas!
Oana
J’adore les gens qui veulent partager leurs savoirs et ne pas les garder pour eux même.
Merci Suzanne,
Ton commentaire me touche, car je crois beaucoup dans la magie du partage des connaissances. Je n’arrête pas à en être surprise des résultats étonnants chaque fois quand elle agit.
Oana
Et là où le langage peut parfois échouer, faute de la capacité a expliciter verbalement une idée, on peut aussi utiliser le dessin : c’est la technique de base du design. Pour éviter que les métaphores de langage vienne perturber la compréhension, on dessine les concepts, on dessine ce qu’on essaye d’expliquer, ce qui permet de détecter tout de suite la compréhension ou l’incompréhension. Bien sûr, la limite de la méthode, c’est ceux (ou celles….) qui ne savent pas du tout dessiner !
Ahhhhh les métaphores en communication…. Excellent article, merci ! On peut aussi, pour éviter l’usage des métaphores et s’assurer de la compréhension, dessiner. C’est ce qui est utilisé en design. S’il te plait, dessine moi un mouton….
Bonjour Julien,
Le ré-Tweet de Sylvaine sur l’article, m’a ramené sur la page et je viens de voir ton commentaire. Je te remercie avec bien du retard pour tes mots !
Oana
Pour illustrer ce décalage sémantique j’utilise souvent le mot “cochon” et toutes les images qui sont projetées sur lui selon que l’on est charcutier, femme, rabbin ou encore équipier agile (métaphore des poulets et des cochons).
Quand un manager dit à un équipier agile qu’il travaille comme un cochon est-ce la reconnaissance de son implication ou bien la stigmatisation de la mauvaise qualité de son travail ?
Thierry
Ben mon cochon, voilà qui est intéressant! Veux-tu nous expliquer la métaphore des poulets et des cochons?
Merci Thierry pour cet exemple qui fait une référence à une métaphore classique sur-utilisé par le monde Agile ( l”es cochons et poulets”) .
La métaphore fait référence à un grand classique British : “Eggs and Bacon” . Donc , pour faire un “Eggs and Bacon” : les cochons sont “engagés” et les poulets “impliqués”. Transposés dans la dynamique des équipes Agiles , on dit que ceux qui réalisent ( les développeurs) sont engagés car ils font ( les cochons) , et les autres parties prenantes ( managers, chefs produits appelés “Product Owner”) sont les “poulets” .
Personnellement , j’adore la blague, mais je n’apprécie pas ( alors pas du tout!) la comparaison avec les équipes agile. Ca a tendance de créer de “clans” : nous sommes “méritants” , vous moins… De plus, en français , appeler des manager “des poulets” , ça veut dire ce que ça veut dire…
J’adore l’exemple de Thierry, qui montre comment avec un seul mot on peut faire référence à deux postures en contradiction. Merci encore 🙂
Oana
Bonjour,
Article intéressant sur la sémantique, c’est très bien expliqué. J’aimerais savoir si je peux en publier un extrait dans mon livre, (en citant bien sûr son origine).
Merci pour votre réponse.
Bonjour Marguerite et oui, bien sûr!