Au fil du temps, il y a des tas de gens géniaux qui ont dit des tas de choses géniales, dont nous pouvons nous inspirer pour élaborer notre propre philosophie de vie… de génie. A condition de chercher des idées à partir desquelles réfléchir à un art de vivre, pas des maîtres à penser. Alors même si nous avons déjà démarrer cette série avec la délicieuse rétivité Eastwoodienne, qui de mieux qu’Einstein pour lancer officiellement une série sur le sujet?
Citations, pièges à cornichons?
De façon générale, je ne suis pas une grande fan des citations, qui se propagent sur internet plus vite qu’une invasion de zombies et qui ressemblent à des injonctions censées vous permettre d’atteindre le Bonheur, celui, avec un B majuscule, accessible seulement à ceux qui ont tout compris à la vie. Je suis souvent mal à l’aise face à la façon dont elles sont érigées en principes de vie pour trois raisons:
- Pour quasi chacune d’entre elles, pour chaque affirmation, pour chaque merveilleuse formulation, on trouve potentiellement son contraire.
- Lorsqu’elles sont utilisées, c’est souvent pour étayer un propos et montrer combien il est justifié: un gage de crédibilité, comme si l’affirmation d’une opinion ne suffisait pas et qu’il fallait faire appel à une sommité pour la confirmer.
- Elles semblent pousser à des admirations obligatoires: aaaah, le Dalaï lama si plein de sagesse humaniste, aaah Soeur Emmanuelle et son dévouement, aaaah Steve Jobs ce modèle de réussite^^
Alors comme je n’aime pas qu’on me dise qui je dois admirer, quelles valeurs je dois adopter, quelle vérité je dois croire, je ne vais tout de même pas vous prendre pour des cornichons et vous servir en salade les évangiles des gens illustres (et merveilleux) de ce monde. Je vous propose plutôt de regarder des discours, de les décortiquer, de les analyser et de déterminer par vous-mêmes comment vous vous situez par rapport à eux, juste histoire de réfléchir sur votre philosophie de vie à vous et peut-être d’expérimenter un truc ou deux, juste pour voir si ça vous convient, Comme nous l’avons déjà fait avec Clint Eastwood et son goût pour le déraisonnable. Car si rien ne ne nous oblige à adopter les convictions d’autrui, rien ne nous oblige non plus à les ignorer, à s’en méfier, à éviter de nous y confronter: nous forgeons nos croyances en fonction de notre expérience et observer celles des autres est une façon de réfléchir. Voir:
Chercher une philosophie de vie, pas un maître à penser!
Einstein ne s’est pas contenté d’être l’un des plus grands génies de la physique de tous les temps. Il a aussi un libre penseur, engagé dans des causes peu conformistes ou peu populaires et même si le mythe l’emporte souvent sur la réalité lorsque l’on dresse son portrait, il est un personnage suffisamment peu lisse pour être sacrément intéressant.
Ses citations sont parfois – et étonnamment – listées comme autant de “leçons de vie”, mais n’est-ce pas justement faire insulte à son indépendance d’esprit et à ses convictions que de vouloir apprendre la vie de lui plutôt que de soi-même? Mon propos n’est donc pas tant de vous pousser à adopter sa philosophie de vie (ou celle de tout autre discours réjouissant d’un bipède ingénieux, dans un autre billet), que de synthétiser ce que certains de ses discours m’inspirent, parce que se frotter à l’art de vivre d’autrui, c’est aussi une source d’inspiration à s’approprier ou à rejeter, à bricoler, à triturer pour l’adapter à soi-même, plutôt que de faire un maître à penser de celui qui encourageait chacun à penser par lui-même.
D’ailleurs, il n’y a probablement pas que du bon à s’inspirer d’Einstein qui n’était, au final, qu’un être humain imparfait et perclus de contradictions: malgré quelques amitiés fortes, malgré les discours et l’intuition “« Nous sentons tous qu’il est en effet très raisonnable et important que nous nous demandions comment nous devons conduire nos vies. La réponse est, selon mon opinion : la satisfaction des désirs, et le besoin de tous, pour autant que cela puisse être accompli et la réalisation de l’harmonie et de la beauté dans les relations humaines.”(1), les relations aux autres, et en particulier familiales, n’étaient visiblement ni sa plus grande compétence si son principal objectif.
Peut-être que se créer une philosophie de vie de génie, s’est justement ça: s’ingénier à concevoir la sienne en grappillant de ci delà ce qui nous parle, ce qui a du sens pour nous, d’adopter ceci, d’ignorer cela, d’ajuster à soi-même, mais aussi d’inventer ses propres modèles, ses propres convictions. Et l’imaginer, l’élaborer, la construire, indépendamment des tendances du moment et surtout sans chercher à copier ce qui deviendrait rapidement un gourou auto-imposé, une dictature de soi.
Je vous partage ici 4 affirmations d’Einstein et les observations qu’elles m’ont inspirées. Partagez avec nous ce qu’elles vous inspirent!
1. “Chacun doit être respecté en tant qu’individu et nul ne doit être idolâtré.”(2)
Dans nos entreprises, l’existence même de la hiérarchie nous fait croire que certains valent plus que d’autres (même si nous pensons que notre boss est un con incompétent) et nous poussent à des non postures relationnelles surprenantes: nous pensons devoir être déférents vis à vis de ceux que l’échelle place au dessus de nous et nous nous autorisons à nous comporter comme des gougnafiers vis à vis de ceux qui sont en dessous. Pommade servile pour les uns, mépris et dévalorisation pour les autres. Tout cela est d’autant plus imbécile qu’on est toujours le moins-quelque-chose de quelqu’un et que notre propre attitude justifie alors tout le mépris qu’on reçoit de lui… et que pourtant, nous détestons. Aaaah les cercles vicieux des relations!
Nous sommes tous égaux en tant que personnes, nous méritons donc tous le même respect, sans condescendance ou idolâtrie. Construire une posture relationnelle dans laquelle nous sommes l’égal de nos interlocuteurs, ils sont nos égaux, ce qui est parfaitement compatible avec la hiérarchie et permet d’éviter de se comporter en serpillière ou en tortionnaire; voilà les fondements de l’élégance relationnelle.
L’idolâtrie, c’est aussi, justement, faire nos maîtres des personnes que nous admirons, ce qui est l’inverse de notre propos. “Je suis le capitaine de mon âme” dit le poème Invictus, qui aurait d’ailleurs pu être le titre de ce billet. Heureux les invaincus à la posture relationnelle d’égal à égal, élégante et affirmée;)
2. “Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé.”(3)
Les préjugés sont des généralisations que nous faisons à partir de nos expériences, de notre éducation, de notre entourage etc. Parce que ce sont des généralisations, ils sont par nature abusifs et pourtant nous nous y accrochons comme à des vérités universelles, comme si notre vie en dépendait. Et ce n’est pas tout à fait faux, puisque nous sommes câblés pour que notre propre monde ressemble à nos croyances. C’est donc l’équilibre de notre monde qui en dépend, et même si celui-ci est inconfortable, il est, pour beaucoup d’entre nous, souvent préférable à l’incertitude. Alors nous les entretenons en les balançant à tous les vents, de préférences à ceux qui leur sont favorables et vont nous les confirmer.
Pourtant, ne pas chercher à être certain de quelque chose, c’est aussi être ouvert aux possibles, à l’inattendu, à la sérendipité. C’est une façon de laisser libre cours à sa curiosité, de se laisser surprendre et d’être en mesure de s’émerveiller de ce que le monde peut mettre devant nous. Et donc d’apprendre en permanence et d’apprivoiser les incertitudes inquiétantes du monde et d’en faire un monde d’opportunités. Lâchons-nous donc la grappe à Vérité, et désintégrons nos préjugés.
“Peu d’êtres sont capables d’exprimer posément une opinion différente des préjugés de leur milieu. La plupart des êtres sont mêmes incapables d’arriver à formuler de telles opinions.” A-t-il dit aussi (2). Penser par soi-même, y compris différemment de son propre environnement socio-professionnel ou familial demande du courage, de l’autonomie, du goût pour la liberté. C’est une audace merveilleuse, pour peu qu’on apprenne à exprimer cet indépendance d’esprit avec légèreté et assertivité et surtout en laissant l’affirmation péremptoire aux atrophiés de l’estime de soi: “Quiconque prétend s’ériger en juge de la vérité et du savoir s’expose à périr sous les éclats de rire des dieux puisque nous ignorons comment sont réellement les choses et que nous n’en connaissons que la représentation que nous en faisons.”(2)
3- “N’essayez pas de devenir un homme qui a du succès. Essayez de devenir un homme qui a de la valeur.”(2)
A la course au succès, tant se sont lancés, tous persuadés que c’était la seule chose à faire dans un monde pré programmé, et la plupart se sont essoufflés. La seule réussite qui compte, c’est probablement celle qui nous amène à nous éteindre en paix, heureux de ce que nous sommes, de ce que nous avons été, de ce que nous avons fait, de ce à quoi nous avons contribué, de ce que nous avons donné au monde et aux personnes qui nous ont entourées.
La valeur n’est pas liée au succès, elle est associée à l’image de soi, au sens que nous donnons – ou pas – aux choses, au sentiment de contribuer au bien commun et d’agir en cohérence avec la personne que nous sommes heureux d’être, plutôt que celle qu’on attend de nous, celle que notre milieu socio-professionnel nous indique d’être, celle que la société, les croyances, les médias nous dictent d’être.
A qui apportons-nous quoi?
A quoi contribuons-nous?
Comment participons-nous au bien commun?
Comment nous inscrivons-nous dans les communautés auxquelles nous appartenons?
Voir aussi:
5- “Soit A un succès dans la vie. Alors A = x + y + z, où x = travailler, y = s’amuser, z = se taire.”(4)
Une réussite, un accomplissement personnel ou professionnel est le résultat d’une équation simple: de l’effort, du plaisir et de l’humilité. Ce qui revient probablement à l’équation du plaisir au travail.
- Le travail: même si la réussite paraît fluide, elle demande d’agir, d’œuvrer dans son sens, d’y mettre de l’huile de coude. On accomplit pas grand chose sans action;)
- Le plaisir: il peut y avoir beaucoup de plaisir dans l’effort, pour peu qu’on l’ait choisi et que la motivation de l’itinéraire, de la nature des efforts à fournir, du résultat et de ses conséquences soit un moteur et une dynamique en soi. Ce qui présuppose de travailler sur quelque chose qui nous tient à cœur, d’avoir un objectif qui a du sens. D’autre part, cette équation de la réussite signifie aussi que nous avons aussi besoin de détente, de divertissement et de déconnexion pour pouvoir travailler. Bref, il y a une vie après le boulot, profitons-en!
- L’humilité: deux dimensions dans l’humilité:
- Savoir se taire pour écouter autre chose que la voix de ses propres croyances. Taire ses propres certitudes et ses jugements pour s’ouvrir à d’autres possibilités, d’autres perceptions, d’autres considérations et élargir ainsi le champ de sa propre réalité. Augmentant au passage la faculté à élaborer des stratégies.
- Eviter de la ramener une fois la réussite engrangée. Cette modestie capable de faire valoir sa réussite sans arrogance, chercher un quelconque devant de scène, une reconnaissance externe, un sentiment de supériorité. Un accomplissement se suffit à lui-même
Transpiration, satisfaction, discrétion, voilà une triplette qui peut donner de l’inspiration. Voir aussi
Un petit dernier, et celui-là je vous laisse me dire ce qu’il vous inspire^^:
“Pour être un membre irréprochable parmi une communauté de moutons, il faut avant toute chose être soi-même un mouton.” (2)
(1) A. Einstein, lettre du 3 décembre 1950 – The Albert Einstein, the Human Side: New Glimpses from His Archives
(2) Comment je vois le monde – Champs Flammarion
(3) Conceptions scientifiques, morales et sociales – Flammarion
(4) Dit dans une conversation avec Samuel J Woolf, été 1929. Cité dans The Ultimate Quotable Einstein, Alice Calaprice & Freeman Dyson, Princeton UP (2010)
Aller plus loin
Vous voulez construire l’état d’esprit serein et dynamique à la fois qui sera favorable à la concrétisation de vos aspirations professionnelles? Ithaque vous accompagne.
Namasté Sylvaine,
Je bois vos paroles et je crois en leurs vertus.
Respecter l’individu sans l’idôlatrer ?
Désintégrer un préjugé ?
Devenir un homme qui a de la valeur ?
Travail, plaisir et humilité au travail ? Quel chantier !
Comment alors pouvoir s’extraire de toutes les idées reçues qui jonchent nos inconscients à longueur de journée grâce aux mass médias qui n’ont que d’intérêt que de remplir notre partie de cerveau disponible ?
Vraiment, j’admire encore une fois votre capacité à aller éveiller l’humanité qui est en nous tous.
Et oui j’aime vous écrits et votre humilité qui sont source de joie et de fraîcheur au quotidien.
Bonne journée.
Christian
Ooooh, mille mercis Christian pour ce retour si joliment tourné et qui me fait si immensément plaisir: il me cueille dans une période un peu compliquée qui rend l’inspiration difficile et m’offre un bain d’énergie, le sentiment d’être utile et me recentre sur ma vraie nature: la joie de vivre. Bref: quel beau cadeau:))
Bonjour Sylvaine
Je viens de m’offrir en douce une demi heure de philo toute joyeuse avec mon café du matin…
Et c’est justement ce que m’inspire votre écrit: lorsque j’étais au gymnase (c’est le lycée en Suisse), j’adorais la philosophie, mais j’avais de la peine avec les philosophes – souvent, je dois l’avouer parce que je comprenais difficilement comme on arrive à construire une phrase en chinois avec des mots en français.
Ma philosophie je la trouvais plutôt dans la littérature très diverse que je lisais (ce que je faisais tout le temps et partout ou presque), et ça m’aidait beaucoup, parce que ces auteurs là, je les aimais vraiment et que j’avais envie de réfléchir avec eux… tout comme j’ai aimé ce que vous avez écrit, ce qui m’a donné envie, ce matin, de réfléchir avec vous aussi.
Quant à la parabole des moutons, on peut la voir de 2 façons je pense: 1) un mouton irréprochable reste un mouton 2) il faut avoir été mouton pour savoir se détacher du troupeau 😉
Bonne journée à vous et tous vos heureux lecteurs
Bonjour Florence,
La littérature est une source infinie de possibilités de réflexion d’ordre philosophique, comme le cinéma ou certaines séries télé d’ailleurs (bon, plutôt Britanniques qu’Américaines), ou encore comme beaucoup de situations que nous pouvons observer chaque jour autour de nous, jusqu’ la caisse du supermarché!
“Il faut avoir été mouton pour savoir se détacher du troupeau”, voilà une réflexion intéressante : est-il possible de n’avoir jamais été mouton d’un troupeau, quel qu’il soit? Du coup, la question devient peut-être: de quel troupeau voulons-nous nous détacher?
Très juste ! A cela on voit que vous êtes coach et pas moi, car vous m’offrez ainsi la possibilité de “passer plus loin” la réflexion,merci. Car il existe plusieurs troupeaux – et animaux associés – et on peut choisir de devenir un autre animal, si je puis dire, ou prendre une place différente dans la hiérarchie tribale.
J’ai la chance de m’occuper d’un cheval islandais qui vit en groupe d’une vingtaine d’individus, et j’aime beaucoup les observer lorsqu’un nouveau arrive, comment cela perturbe l’ordre établi, qui essaie de prendre l’ascendant sur qui et comment… toutes ces interactions qu’on vit aussi, nous autres humains. Mais je m’éloigne du sujet de votre article…
Bonjour Florence, quelle jolie chose que de s’occuper d’un cheval ! L’observation du groupe est au fond assez proche du sujet: les dynamiques qui s’y jouent sont effectivement le reflet de nos troupeaux de bipèdes et sont un biais comme un autre pour réfléchir aux interactions que nous voulons et comment nous pouvons les construire;)
“Chercher à faire naître la pensée, pas un maître à penser !”
Merci Sylvaine, pour le fond comme pour la forme de vos paroles qui ont la vertu de susciter en nous précisément ce qu’elles visent et revendiquent.
Merci Carine, voilà qui me fait immensément plaisir:))