Personne ne peut vraiment dire comment les idées naissent, mais nous avons nous avons une petite idée des ingrédients nécessaires à leur genèse. C’est l’épatant mathématicien Cédric Villani qui s’y colle pour nous l’expliquer dans cette jolie vidéo RSAnimate. Et j’en rajoute une louche sur comment inclure ces ingrédients pour faire germer les idées dans votre projet de reconversion professionnelle.
L’art de faire germer les idées
Cédric Villani, mathématicien, professeur à Lyon 1, Directeur de l’Institut Poincaré, a reçu la médaille Fields en 2010 et est membre de l’Académie des sciences. Surnommé la Lady Gaga des maths à cause de son look décalé, il semble être un électron libre qui va volontiers et sans censure vers tout ce qui l’intéresse. Ainsi, en plus d’arborer une broche en forme d’araignée géante sur le revers de sa veste, il préside l’association Musaiques, il est aussi co-fondateur du ciné-club Univers convergents, co-auteur d’un roman graphique et co-auteur avec le compositeur Karol Beffa d’un ouvrage intitulé les coulisses de la création.
Bref, un multipotentialiste comme on les aime, qui réussit à faire cohabiter et à exprimer ses sources d’intérêts et de motivation et qui visiblement ne manque pas d’idées. Ce qui tombe bien, puisque c’est le sujet du jour et on imagine qu’il doit en avoir, des idées sur comment faire émerger les idées. Ce qu’il explique en anglais avec un accent délicieusement francophone – que je le soupçonne de cultiver soigneusement;) – dans ce joli RSAnimate : les 7 ingrédients de la créativité.
Cédric Villani s’appuie sur la créativité scientifique et nous donne au passage des clés qui peuvent être très utiles pour trouver et faire grandir des idées de reconversion ou de business, ou des idées à l’intérieur d’un projet, pour l’affiner, l’adapter à soi ou le réussir. Voici donc une transcription assortie aux idées que ça m’a inspirée pour favoriser vos bifurcations professionnelles.
1- la documentation
Les bibliothèques, qu’elles soient réelles ou virtuelles, qui permettent de savoir ce qui a déjà été fait par le passé, car les scientifiques ne partent jamais de rien, on construit toujours quelque chose de nouveau à partir de contributions antérieures, en s’appuyant sur des résultats, des idées ou un état d’esprit du passé.
On pourrait arguer que “Ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’électricité !”, comme disait Niels Bohr. En revanche, c’est bien parce que la bougie avait des tas de défauts qu’est née l’envie de créer autre chose qui y pallierait.
Donc c’est peut-être dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs projets professionnels, ce qui n’empêche pas d’y mettre des ingrédients nouveaux. Toutes les innovations sont possibles et leur genèse s’appuie sur ce qui existe (technologies, produits, métiers). La connaissance des secteurs/métiers qui vous intéressent, tels qu’ils existent et tels qu’ils évoluent constituent un point de départ essentiel. Il vous amènera à construire votre vie professionnelle future à partir d’un métier ancien, nouveau ou émergent, que vous allez pouvoir ensuite modeler à votre guise, en suivant votre nez forcément creux ou vous appuyer dessus pour imaginer de nouveaux métiers:
Rappelons que l’hybridation des métiers est particulièrement féconde pour les multipotentialistes qui ont besoin de trouver un estuaire à leurs fleuves de désirs (d’intérêts, d’appétences, d’aptitudes etc.) pour se garantir un rempart à l’ennui et un plaisir durable dans leur métier de demain.
Nous avons en général une connaissance très superficielle ou parcellaire des secteurs et des métiers, même ceux qui nous intéressent. Les investiguer de toutes les façons possibles, au travers de documentation, de recherches, de démarches, de rencontres, d’événements etc. permet d’en construire une vision suffisamment large pour s’éviter les images lisses et tronquées directement responsable du syndrome de la chambre d’hôte. A hypothèses fausses conclusions erronées: ces images peuvent déboucher sur des décisions (de renoncement comme de se jeter tête baissée) hâtives et malheureuses.
2- La motivation
La motivation est à la fois l’élément le plus important et celui qui nous échappe le plus, le plus insaisissable. L’origine de la motivation n’est pas très clair, mais elle peut venir de tout et n’importe où : “Je me souviens, enfant, dit Cédric Villani, d’avoir regardé un dessin animé Donald au pays des mathématiques et de l’avoir trouvé fascinant. On ne peut pas surestimer le pouvoir de l’éducation et de l’inspiration sur les jeunes enfants. En d’autres termes: ne pas avoir de barrières quant à ces sources potentielles d’inspiration, être ouvert à tout.”
Les raisons pour lesquelles vous entreprenez le changement de métier que vous voulez n’ont pas d’importance en tant que telles. Vous avez le droit à vos raisons! L’essentiel étant qu’elles soient suffisamment proches de vos valeurs motrices et porteuses de sens pour qu’elles génèrent une motivation sans faille. Et pour cela, rien de tel qu’une affaire de tripes plutôt qu’un pâté de tête, car si vos raisons sont de l’ordre de la raison, vous risquez de comprendre rapidement que vous avez eu tort de vous y fier:
Autorisez-vous donc à élargir le champ de la réflexion et à accueillir les possibilités d’un métier qui parlera suffisamment à vous tripes pour vous donner une motivation sans limites, favorable autant à la résolution de problème – fréquente quand on change de carrière – qu’au maintien de l’énergie ou le dynamisme. L’évaluation du projet vous permettra de faire ensuite le tri entre les fausses pistes et les bonnes:
Ce métier n’est pas nécessairement le fruit d’une passion pré-existante. Celle-ci ‘est pas indispensable pour qu’un métier fasse vibrer d’une part, et d’autre part, elle peut venir sans crier gare, y compris d’une source d’inspiration inattendue, aussi soyez prêts à penser en grand, à être ouverts à vos propres émotions et à vous enthousiasmer ou vous émerveiller.
Puisqu’on peut devenir un mathématicien de génie grâce à Donald, on peut devenir quasiment n’importe quoi grâce à n’importe quoi. Dans toute la phase d’identification d’un projet de reconversion, laissez toutes les sources d’inspiration vous emmener où elles le veulent, il sera toujours temps de faire le tri lorsqu’elles vous auront apporté tous leurs enseignements. Explorez sans censure et sans jugement toutes les idées qui vous viennent.
3- L’environnement
A toutes les époques (de la vie, du monde) il y a eu des environnements favorables à l’innovation et à l’émergence d’idées nouvelles. Les villes par exemple: un temps ce fut Persépolis, un temps Paris, un autre Londres. La créativité a besoin d’un écosystème. On pense évidemment à Collioure et Les Fauvistes ou au Paris des écrivains, donc aux écosystèmes dans lesquels se retrouvent les créatifs et les spécialistes d’un sujet donné et où l’émulation fait germer des idées.
Et pour la créativité artistiques et l’innovation technologique, c’est certainement des environnements à rechercher. Dans le cadre d’un projet professionnel, on pense par exemple aux incubateurs u aux pépinières pour des projets d’entreprises. Pour l’élaboration d’un projet professionnel la question de l’environnement est plus complexe et peut être à la fois:
1- Lieu de réflexion
Il s’agit donc de trouver l’environnement idéal pour élaborer et peaufiner le projet de reconversion en toute liberté. Ce peut être à la fois un lieu propice à votre réflexion, un lieu à vous où votre esprit se libère et fonctionne de façon optimale ou un lieu collectif et collaboratif, un lieu d’échange et de partage.
Difficile de trouver le Collioure des candidats à la reconversion? Il existe des sites, des pages facebook dédiées à la reconversion, où vous pourrez trouver des lectures pour vous aider à réfléchir ou échanger avec d’autres personnes qui s’apprêtent à changer de métier. A commencer bien entendu ici même;))
Vous pouvez aussi créer votre Montparnasse de la bifurcation professionnelle en fondant un groupe virtuel ou IRL de personnes en reconversion!
2- Objet de réflexion
Dans quel environnement professionnel êtes-vous en mesure de vous épanouir et de vous mettre la comprenette en action plutôt que la rate au court-bouillon à chaque fois que vous aurez besoin de faire preuve de créativité? Quels lieux, quels postes de travail, quel matériel, quels horaires, quelles personnes, quelle(s) collaboration(s) – ou absence de – sont favorables à la fois à votre épanouissement, à votre efficacité (pour travailler moins/travailler mieux), à votre créativité? Pour vous aider à l’évaluer:
3- sujet de job crafting
Nous peinons à reconnaître l’impact de l’environnement sur le plaisir au travail, pourtant il y joue un rôle clé et un environnement toxique (inadapté à nos besoins, bruyant, insuffisamment flexible, trop contraignant, un mauvais équipement, des transports trop long, une ambiance délétère etc.) a vite fait de transformer un job a priori passionnant en un boulot pourri.
Une fois évalués les désirs qui, une fois comblés, vont satisfaire vos besoins environnementaux, vous pouvez passer au job crafting pour en transformer le maximum en réalité, histoire de vous assurer que votre job de rêve va le rester;)
4- La communication
L’environnement est la clé pour faire émerger une idée, mais pour la transformer en projet, la communication devient indispensable pour atteindre des personnes issues d’environnements différents et favoriser la collaboration.
Appliquée à un projet professionnel, cette communication peut viser à donner envie de collaborer avec vous, dans l’objectif de réussir votre projet, ce qui peut prendre plusieurs formes: donner envie de vous recruter, de vous acheter vos produits ou vos prestations, de s’associer avec vous ou de co-créer par exemple dans le cadre d’une SCOP, ou encore donner envie à un banquier de vous financer, à des proches de vous écouter, de parler de vos expérimentations, doutes et questionnements etc.
Il s’agit donc d’emmener avec vous des personnes issues d’environnements différents et qui peuvent favoriser la réussite de votre projet et/ou le réaliser avec vous. Cette communication peut être directe ou indirecte, IRL ou virtuelle et peut prendre de nombreuses formes: prises de parole, site internet, construction et animation de communauté sur les réseaux sociaux, collaboration directe, interventions, contributions, événements etc. De l’elevator pitch aux compétences de community manager, il y a tout un panel d’options de communication collaborative ou marketing parmi lesquelles choisir et dans lesquelles s’exercer.
Pour cela, il est essentiel de développer l’aisance et l’assurance, l’authenticité et l’élégance relationnelle, bref, toutes les compétences qui permettent de construire et d’entretenir des relations professionnelles sereines et solides, basées sur la confiance et le plaisir de travailler ensemble:
- Les compétences relationnelles au pilotage de l’entreprise
- Relation à soi/relation aux autres, le cocktail indispensable
- Média sociaux, cooptation et compétences relationnelles
5- Les contraintes
Voilà qui à l’air d’un oxymore, mais beaucoup de créatifs vous diront que sans contrainte, il n’y a pas de créativité parce que c’est justement ce qui vous oblige à trouver une façon de dépasser le problème. Les contraintes, ce ne sont pas forcément celles que nous croyons imposées par l’entreprise ou par le secteur d’activité ou encore le métier. Nous avons beaucoup trop à tendance à confondre habitudes professionnelles et impératifs et ce que nous prenons pour des contraintes sont très souvent de simples façons de faire qui ne demandent qu’à être bousculées ou transformer.
Par contraintes, on peut aussi choisir d’entendre le cadre précis posé par l’expression de vos désirs et appétences professionnels. Une connaissance solide et une acceptation de la déclinaison des besoins professionnels qui vous est propre, permet le job crafting mentionné plus haut, au delà de l’environnement, favorise le recherche de solutions créatives pour leur permettre d’exister et de s’exprimer. C’est un travail parfois ardu : inclure un double besoin de variété et de flexibilité pour pouvoir travailler en fonction de son inspiration, par exemple, peut ne pas être simple à implémenter dans un job salarié. Mais c’est justement un challenge alléchant!
- Le job idéal, une réalité à inventer
- Job crafting: devenir l’artisan de son propre plaisir au travail
6- Le mélange d’inspiration et de travail rigoureux
La vision dans passage à l’action ne mène pas loin et le travail méticuleux sans inspiration débouche peu sur des innovations. Le mélange des deux en revanche peut faire émerger des idées qui seront explorées avec soin. Un projet de reconversion sort rarement d’un chapeau ou d’un outil magique. Il est le fruit d’une réflexion complexe et multi-facettes, assortie d’investigations méticuleuses pour vérifier s’il s’agit d’une bonne idée.
Vous pouvez ainsi alterner, à votre manière et à votre rythme, les phases de bulle, de rêverie, et d’inspiration avec des plages de documentation rigoureuse, de démarches concrètes, d’expérimentation des idées qui ont germé.
7- Le mélange de chance et de ténacité
La chance est favorisée par la ténacité. Par chance, entendons les hasards heureux, comme ceux de la sérendipité: cet art de trouver ce qu’on ne cherche pas, de tomber sur des perles quand on cherche des diamants et qui est favorisé par une sorte de disponibilité au monde, la connexion à l’autre et ce que Philippe Gabilliet nomme “le recyclage de malchance”
La détermination et le dynamisme que donnent un métier qui parle aux tripes, hybridé et façonné pour être mis à votre main et lui assurer d’être une source de satisfaction pérenne sont en général garantes d’une ténacité qui vous aidera à faire germer des idées pour gérer les périodes de doute, à surmonter les obstacles, à traiter les aléas et à mener toutes les démarches liées à un changement de métier. Et tout cela peut être un challenge enthousiasmant!
Chance et ténacité peuvent se renforcer en développant la résilience, la capacité à régir face aux difficultés et l’ouverture au monde:
- 8 étapes pour gérer les périodes de doute
- Reconversion professionnelle : l’art et le goût de la résolution de problème
- L’émerveillement
D’autre part, ténacité et ouverture d’esprit vous permettront d’accepter que la réflexion sur un projet professionnel n’est pas un lapin sorti d’un chapeau ou un métier issu d’un test de personnalité: elle demande de prendre son temps, de donner le temps au temps:
Identifier une voie de reconversion: l’approche créative matheuse!
On peut aussi, à partir des ingrédients donnés dans la vidéo, imaginer une méthodologie de réflexion destinée à faire émerger des idées de reconversion possibles qui seront ensuite explorées. Cette méthodologie est une sorte de version synthétique des éléments donnés ci-dessus aussi, en hommage à Cédric Villani, nous l’appellerons dont l’approche créative matheuse;)
1- La documentation : informez-vous tous azimuts sur les domaines/activités/secteurs/métiers qui vous intéressent.
2- La motivation: laissez-vous guider dans vos explorations par ce qui vous inspire. Laissez votre inspiration vous emmener découvrir des contrées professionnelles qui vous sont inconnues.
3- L’environnement: trouvez un lieu que vous aimez, qui vous inspire et où votre esprit aime à vagabonder en liberté, à réfléchir en mode décontracté, où vous pourrez mouliner du chapeau et élaborer votre projet comme vous en avez envie.
4- La communication: parlez autour de vous de votre désir de reconversion et de ce qui vous intéresse: des discussions peuvent émerger des idées qu’on attendait pas.
5- Les contraintes: vos appétences méritent d’être incluses dans votre vie professionnelle, ce sont elles qui en garantiront la satisfaction durable. De la façon de les associer peuvent naître des idées de métier. Associez-les donc en liberté, conjuguez-les, observez leurs confluents.
6- Le mélange inspiration/travail rigoureux: alternez les phases d’exploration et d’expérimentation concrète avec des plages de réflexion et d’inspiration.
7- Le mélange chance/ténacité: accordez-vous du temps et faites preuve de patience, laisser germer des idées peut parfois prendre un moment, tant que certains éléments ne leur sont pas favorables.
Crédit pohoto
© Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons
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La glandouille ça a du bon aussi!;)