Changer de métier continue à générer des tombereaux de littérature qui rabâche inlassablement ce qui se dit depuis 10 ans. Entre autres sur le “réalisme” nécessaire et l’indispensable “marché porteur” à identifier en partant de ses “compétences avérées”. Pourtant, ce n’est pas comme ça qu’on réussit une reconversion. Changer de métier, c’est une question de tripes bien plus que de raison et les reconversions trop raisonnables sont souvent un aller simple pour la déception.
Renoncements hâtifs et croyances limitantes
Pierre a 53 ans lorsqu’il vient me voir. Directeur commercial d’une PME, il est sur le point d’être licencié et, bien qu’un peu sous le choc, il avoue qu’au fond, ce n’est pas plus mal, le commercial ne le satisfait plus depuis un bon bout de temps. Il se sent – et du coup paraît – un peu sinistre, et comme il lui a été conseillé de se reconvertir, il se demande quoi faire. Au détour de l’entretien, d’un coup, il me dit que par amour des femmes, il a en fait toujours rêvé d’avoir un institut de beauté.
L’espace d’un instant, le voilà qui s’anime. Ses yeux brillent, sa voix s’enthousiasme et tout son corps semble vibrer à l’unisson de son envie. Et puis la raison reprend le dessus et la lumière s’éteint. Il redevient dimanche de novembre et me dit “mais tout cela est ridicule, il faut être pragmatique et trouver une reconversion qui correspond à ce que je sais faire, à la réalité du marché”. Victime des croyances limitantes issues des préjugés sur le changement de métier, il renonçait sans même explorer cette envie.
Je n’ai pas travaillé avec Pierre: les reconversions raisonnées-raisonnables, je ne fais pas, elles vont trop souvent dans le mur. Je travaille avec des personnes qui ont envie d’explorer des projets qui parlent à leurs tripes, sources de véritable motivation. Aussi je n’étais pas en mesure de répondre à sa demande: si une réelle exploration débouche sur un choix de reconversion raisonnable, alors dont acte. Mais partir dans le chemin étriqué et restreint du déni de soi, ça ne m’anime pas. Je l’ai recroisé trois ans plus tard. Il avait obtenu un outplacement et pour la somme modique de 12 000 Euros facturés à son entreprise, il lui avait été expliqué qu’il était fait pour s’installer en tant que consultant commercial auprès des PME ou pour se lancer en franchise. Il a fait l’un, puis l’autre, sans grand plaisir mais convaincu que c’était “ce qu’il fallait faire”. Et s’est planté, ce qui n’est pas une surprise.
Reconversions prudentes?
Si les reconversions raisonnables paraissent rassurantes, moins risquées donc plus intelligentes, les apparences sont trompeuses. La crainte d’échouer, associée à nos croyances sur la prise de risque et le besoin de sécurité génèrent de remarquables stratégies d’échec. Une reconversion raisonnée raisonnable repose sur plusieurs piliers:
– L’inénarrable méthode type bilan de compétences pour partir de ce que vous savez faire et en déduire ce que vous pouvez faire.
– L’exploration du marché pour trouver un secteur porteur.
– L’identification d’un métier dans lequel vous correspondez déjà plus ou moins aux exigences des entreprises cibles.
– La mise en retrait du sens et de tout ce qui vous ravit l’âme – parce que, hein, on n’est pas chez les Bisounours – au profit du formatage.
– La mise à l’écart des envies, dès lors qu’elles paraissent un poil farfelues ou éloignées du parcours professionnel actuel, reléguées au rang de fantasme quasi infantile ou du caprice.
Elle se reconnaît donc par le fait qu’elle prend peu en compte les besoins et valeurs motrices du candidat et ne suscite pas une profonde motivation, de celles qui donnent des ailes. Elle ne donne pas envie de faire des bonds de cabri, mais nous pousse à nous dire que c’est sûrement une bonne idée, puisque c’est présenté comme “réaliste” et “pragmatique”.
Elles paraissent donc prudentes, raisonnées, mais constituent en réalité une stratégie d’échec parce nous prenons alors un projet qui n’est pas le nôtre, qui ne nous anime pas plus que ça. C’est d’autant plus surprenant que le désir de reconversion est souvent motivé par le fait que le premier métier était déjà une voie toute tracée par l’environnement familial ou scolaire, plutôt qu’un véritable choix personnel. Et on se retrouve alors à plonger tête baissée dans la même erreur d’aiguillage.
Elles ne génèrent pas l’engagement et la détermination nécessaires pour mener à bien ce type de projet. Le candidat à une telle reconversion peut construire des tas de raisonnements et rationnaliser sur son bien-fondé, voire même y mettre beaucoup d’endurance, convaincu que c’est un choix réaliste. Mais ses tripes, elles, n’y trouveront pas la foi qui déplace des montagnes.
Poussives reconversions raisonnées-raisonnables: chronique d’un échec annoncé
En d’autres termes, les reconversions raisonnées-raisonnables trouvent leur origine chez des consultants craintifs, victimes de leurs propres préjugés, qui ne font pas confiance en leurs clients (et en leur propre capacité d’accompagnement?) et les trésors d’imagination qu’ils sont capables de mettre en oeuvre pour faire le projet qui leur tient vraiment à coeur. Et qui préfèrent les envoyer sur des chemins prétendument sûrs, mais en réalité très éloignés des besoins et des vecteurs de motivation du candidat à la reconversion.
D’autre part, explorer les compétences avérées transférables sans prendre en compte les sources d’usure, de stress, de dégoût, de manque de sens mène à l’identification de projets qui ne sont pas pour nous. “J’avais évoqué l’envie de devenir éducatrice. On m’a ri au nez et suggéré des métiers qui s’appuyaient sur des compétences que je ne voulais plus exercer, m’explique Mathilde, ingénieur technique devenue commerciale dans le même domaine. Passer de la conception de produits à leur vente? J’ai cru que le consultant savait mieux que moi et ça fait 5 ans que je m’ennuie à mourir dans un boulot que je n’aime pas plus. A quoi ça sert d’être accompagné dans un projet si on ne vous écoute pas?”.
Il y a aussi le cas d’Adrien, ingénieur commercial à qui, au vu de ses compétences, s’est entendu dire qu’il était fait pour devenir entrepreneur, mais qui n’a jamais pu mener à bien son projet. Inconsciemment, son besoin de sécurité financière générait une crainte majeure des revenus potentiellement fluctuants lors de la création de l’entreprise, crainte qui s’est transformée en procrastination chronique sur son projet.
Dans ces deux cas, les tripes des candidats à la reconversion avaient des messages à transmettre qui n’ont pas été pris en compte, déclenchant au passage des échecs pourtant prévisibles. Le message transmis est souvent: “remets ton idée ou tes freins dans ta poche avec ton mouchoir pardessus, ton consultant prudent et raisonnable va te dire ce qu’il faut faire”. Tout en faisant fi des défauts inhérents à la démarche:
– Manque de motivation et de conviction: dictées par les tests de personnalité ou par les idées reçues sur les “marchés porteurs”, ces reconversions ne génèrent que très peu de motivation intrinsèque. La diminution de la force de conviction est directement proportionnelle. Ce manque est palapable et les recruteurs, eux, ne manqueront pas de le constater. Et comme ils se méfient déjà des candidats ayant fait une reconversion, nous leur offrons alors sur un plateau une bonne raison de ne pas nous embaucher.
– Déperdition et manque d’énergie: le candidat à la reconversion porte un projet lourd sur son dos, il n’est pas porté par lui. L’énergie nécessaire pour le mener à bien devient est plus grande et plus laborieuse. Ce type de reconversion ne génère pas sa propre énergie, il faut donc la trouver ailleurs, ce qui est coûteux en temps… et en énergie;)
– Risque de découragement: un projet moyennement fun et pourtant compliqué contient les germes de sa propre démotivation. La possibilité de se décourager face aux obstacles ou aux difficultés est démultipliée.
En bref, elles ne donnent pas envie de se mettre la rate au court-bouillon pour les mettre en oeuvre. Ce manque de détermination va avoir un impact direct sur leurs résultats et elles se traduisent souvent par:
– L’abandon : pas assez d’envie pour tenir la distance.
– La déception : le nouveau métier qui, finalement, ne nous correspond pas. Troquer un métier qui n’a plus de sens contre un autre qui n’en a pas beaucoup plus n’est pas particulièrement pérenne en termes de plaisir au travail et de sentiment de réussite.
– L’échec : l’incapacité à trouver un job ou des clients, en raison de la trop faible foi en ce que l’on fait.
Contrairement aux reconversions qui parlent au tripes, critère essentiel d’un changement de métier, dont nous parlerons la semaine prochaine;)
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J’approuve le fond de l’article, mais pour avoir effectué une reconversion à 45 ans, je peux vous assurer que les débouchés sont très difficiles dans le salariat…recommencer à zéro (pourtant mes stages se sont très bien passés), mais dans mon domaine (presse), il n’y a pas de place à part pour des pigistes payés au lance-pierres et qui n’ont aucune garantie d’un volume minimum. Le salaire moyen du pigiste est de 650€/mois, très très peu en vivent.
Pour moi, on divise par 5, et cela 6 mois après ma reconversion et mon épuisement de droits ARE. Alors je me retrouve à devoir reprendre n’importe quel job “alimentaire” qui ne me laissera plus le temps/l’énergie d’écrire à côté.
Voilà le souci des jobs “passion”. Oui, ce job me plait, mais il m’est impossible d’en vivre !
Alors que faire ? C’est l’impasse, alors que j’ai fait tant de sacrifices pour revenir à mon potentiel après tant d’années d’errance dans d’autres jobs où j’ai fait 2 burn-out à 12 ans d’intervalle….Je fais bouillir la marmite seule et donc je n’ai pas de soutien financier durant cette période de vaches maigres.
Je postule donc dans des jobs salariés qui ne m’intéressent pas, et ça ne marche pas ! Mon profil atypique suscite des interrogations/craintes, malgré des lettres de recommandation de mon ex-employeur. A 45 ans, être senior ET débutant c’est juste le chemin de croix assuré.
Désolée pour mon commentaire peu optimiste mais c’est la réalité que je vis en ce moment.
Je reviendrai dans quelques mois raconter la suite, si suite il y a.
Bonjour Cosmos, ne vous excusez pas pour votre témoignage, il est intéressant et utile:)
C’est toute la difficulté, quand un métier qui a du sens pour nous ou qui nous fait réellement envie est un métier dont il est peu aisé de vivre. Il est alors indispensable de mesurer en amont de la reconversion la réalité d’un marché précis, de façon à déterminer si le changement de métier est pertinent ou pas pour soi, car chaque situation est unique. C’est un travail long et minutieux que ne proposent ni les bilans de compétences, ni les accompagnements de type “trouver sa voie” qui ont fleuri ces dernières années, surfant sur la perte de sens au travail. Mais même quand on l’a fait avec soin, on n’est jamais complètement à l’abri de difficultés. Alors lorsqu’on se retrouve de l’autre côté, ça peut être extrêmement compliqué et pas toujours simple à résoudre. Il existe des manières de rebondir qui passent par la façon de présenter son parcours (pour le valoriser et couper l’herbe sous le pied des objections) et postuler à des jobs qui suscitent au moins un peu d’intérêt, car l’absence de motivation se ressent assez vite. C’est vite dit parce que c’est juste un résumé, je vais réfléchir à publier un billet là-dessus. En attendant je vous souhaite de trouver à rebondir et venez nous raconter la suite:))