Après les chèvres dans le Larzac, il y a eu les chambres d’hôtes. Si ces idées de reconversion ne font plus recette : il en reste deux syndromes parfois antinomiques, mais toujours très présents dans les désirs de reconversion actuels et qu’il vaut mieux connaître : celui du métier idéalisé, chronique d’un plantage annoncé, et celui du gagner moins pour vivre et travailler mieux, tendance de plus en plus marquée.
C’était la grande tendance de la reconversion dans les années 90/2000 : essentiellement des cadres quarantenaires et cinquantenaires, qui quittaient des carrières parfois brillantes pour aller ouvrir des chambres d’hôtes à proximités de nos si jolis villages français, mus par l’envie de changer de métier pour vivre et travailler autrement. Tendance qui poussait 2 500 Français à créer un gîte rural ou des chambres d’hôtes chaque année, faisant passer leur nombre, entre 1990 et 2010 de 4 500 à plus de 30 000. Si la reconversion pour ouvrir des chambre d’hôtes fait moins rêver qu’il y a 10 ans, elle reste représentatives de deux syndromes particulièrement intéressants lorsqu’on a la tête pleine d’envies d’ailleurs professionnels.
1er syndrome de la chambre d’hôte : travailler moins pour vivre mieux
Fuir la ville et son rythme effréné, donner du sens sa vie, devenir son propre patron, gagner en qualité de vie, les grandes raisons qui poussaient les cadres à ouvrir des chambres d’hôtes avaient en toile de fond le rêve d’une vie de carte postale : partager en toute douceur de vivre un lieu ou « tout n’est que beauté, luxe, calme et volupté ». Retour à la terre, terroir, produits locaux, ils avaient le sentiment de revenir à une vie qui a davantage de sens et permet de partager du l’authentique à la Pagnol : décor rêvé, tranquillité, sérénité, éternel été.
Pourquoi des chambres d’hôtes ? Héloïse Lhérété dans la revue Sciences Humaines Changer de vie, le syndrome de la chambre d’hôte, dénombrent 5 éléments de motivations typiques des candidats à la reconversion :
– Se mettre au vert
– Se mettre à son compte
– Se consacrer aux autres
– Vivre sa passion
– Partir loin
Et lorsque les aspirations de ses candidats se trouvent à un point de convergence « quelle activité, sinon l’hébergement touristique, permet de conjuguer toutes ces motivations ? »
Transposé 10 ans plus tard, si la chambre d’hôte trouve moins de candidats (le partir loin et le se mettre au vert font moins recette: ce sont plutôt les jolies villes de province qui attirent aujourd’hui)) le syndrome de la chambre d’hôte, lui est resté sous la forme d’un désir de vivre autrement, le plus souvent associé à une décision ou a minima une acceptation du gagner moins pour vivre mieux (la rentabilité d’une chambre d’hôte tourne entre 1500 et 3000€ par chambre et par an). Ce gagner moins pour vivre mieux peut se réaliser au travers de très nombreux métiers, en particulier à son compte, en fonction de la manière de les exercer et l’on voit poindre de nouvelles tendances, peut-être balbutiantes pour l’instant:
– Chez les salariés, cela peut se traduire par des désirs de stagnation, des refus de promotion et, pour ceux qui sont en reconversion, des fonctions avec moins de responsabilités et plus de temps pour respirer.
– Chez les entrepreneurs des envies d’entreprendre autrement telles que le plafond de chiffre d’affaire ou le choix de ne pas développer son entreprise au delà d’un certain seuil, ou encore l’intérêt de plus en plus marqué pour l’ESS oul’humain et l’intérêt général priment sur les bénéfices.
Tout cela a un coût que les candidats à la reconversion sont de plus en plus près à payer, en particulier lorsqu’ils changent de métier suite à un burnout et que le temps, l’articulation des temps de vie, le bien-être, l’absence de stress deviennent prioritaires sur des revenus élevés:
- Job idéal: redéfinir la réussite
- Milieu de carrière : se redéfinir socialement et professionnellement
- Le boulot idéal: une réalité à inventer
2nd syndrome de la chambre d’hôte : le métier idéalisé
Revenons à nos candidats à la chambre d’hôte. Aujourd’hui, la manne s’est un peu tarie, certains hôtes ont même regagné la ville. Car pour un certain nombre d’entre eux, le rêve de bonheur tranquille dans un environnement de magazine déco a tourné au cauchemar d’une manière qu’ils n’avaient pas du tout anticipée. Un certain nombre d’entre eux ont eu une sacrée déception lorsqu’ils se sont rendus compte que ce n’est pas juste une activité à temps partiel gentiment lucrative où l’on nage dans la félicité professionnelle, alimentée par des hôtes éternellement émerveillés des aménagements forcément formidables qui leurs sont proposés. C’est un métier prenant, exigeant et parfois pas marrant-marrant.
Car gérer soi-même ses chambres d’hôtes signifie bien gagner moins, mais pas nécessairement travailler moins ou travailler mieux. Lors d’une discussion sur le sujet avec le gérant du ravissant B&B le Clos St Nicolas à Neauphle le Château, il sourit et me dit « beaucoup trop de gens ouvrent des chambres d’hôtes sans se rendre compte que c’est un vrai métier, qui demande beaucoup d’implication, de présence, de sens de l’accueil et d’écoute des clients. Ils pensent souvent qu’ils vont travailler peu, ce qui est faux, et que ce qui leur plaît va plaire, sans se préoccuper des besoins des clients et sont déçus lorsque ceux-ci se plaignent. » La réalité du métier peut être perçue différemment selon les uns et les autres:
– Des activités non négligeables de ménage – Et pas uniquement le rôle plus glamour d’architecte/décorateur des lieux, partageur de bon goût et d’amour du beau.
– Du travail constant d’entretien, de maintien en état, du bricolage – Et pas uniquement le rôle gratifiant d’accueil d’estivants
– Des clients pas toujours faciles ou heureux, potentiellement exigeants, râleurs. Aimer recevoir des amis ne signifie pas qu’on va aimer recevoir des clients
– Un investissement financier important, pas toujours rentabilisé.
– Travailler en couple n’est pas toujours simple (et parfois s’aimer ne suffit pas, voir Entreprendre à deux et La reconversion professionnelle en couple)
– Un environnement constamment envahi: recevoir des clients chez soi, c’est aussi partager un espace avec des gens qu’on n’a pas choisis.
– Un métier pas toujours stimulant: s’il est potentiellement reposant, certes, certains peuvent trouver au final ce métier insuffisamment stimulant sur le plan intellectuel, en particulier ceux dont la théière fonctionne a toute vapeur et a besoin d’être extrêmement sollicitée. Certains compensent très bien avec leurs activités personnelles et culturelles, d’autres ont besoin de réflexion professionnelle, de résoudre des problèmes complexes etc.
Au-delà du simple cas de la chambre d’hôte, c’est toute la question du métier idéalisé que pose ce syndrome, creuset de tous les fantasmes de vie professionnelle de carte postale. Potentiellement, cette illusion du boulot parfait peut être le cas pour tous les désirs de reconversion, dès lors qu’ils s’inscrivent dans l’image qu’on a d’un métier plutôt que dans sa réalité. C’est le fantasme du métier qui rend heureux par nature. Par définition, métiers et fonctions sont multidimensionnels et protéiformes et se contenter de les regarder par un seul bout de lorgnettes à lunettes forcément déformantes, c’est prendre le risque pour l’aller simple de la déception majeure.
Il est donc indispensable, pour s’éviter des déconvenues coûteuses en temps comme en argent, de mener une enquête rigoureuse d’une part et d’avoir une vision précise de ses désirs professionnels (expression spécifiques des besoins professionnels) d’autre part, de façon à déterminer les points de convergence et les points d’achoppement. Ces derniers pourront faire l’objet de job crafting, de façon à les adapter pour construire son propre plaisir dans son nouveau métier, voire permettre de réinventer son métier. Ils pourront aussi se révéler facteurs de renoncement pour cause d’incompatibilité avec ce qui nous rend heureux au travail.
- L’enquête métier
- Plaisir au travail: Réinventer son métier pour se libérer
- Job crafting: devenir l’artisan de son propre plaisir au travail
Le second syndrome est donc un élan tête baissée qui risque de finir en sanglot de la déconvenue, en corde brisée au doigt du guitariste. Mais comme je vous dis que le bonheur existe, ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues, il suffit peut-être d’aller explorer ses rades inconnues…
Le premier syndrome est quant à lui un élan positif en ce sens qu’il un choix de vie fort qui libère des contingences des besoins financiers et ouvre le champ à d’autres façons de vivre sa vie professionnelle, dont on peut alors dessiner les contours en liberté pour ne par rester une heure arrêtée au cadran de la montre, un balbutiement… et inversement devenir des détecteurs de l’insolite, comme disait Jules Romain en parlant d’Aragon. Insolite professionnel ici, le vôtre, bien entendu, loin des idées reçues et des sentiers battus;)
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Article très intéressant. Il faut être prêts a travailler plus pour gagner moins. Mais rien de remplacera ,(autonomie, la qualité de vie et le plaisir de faire des rencontres au travers de nos hôtes.
Du vrai et du faux dans votre article 😉 . Tenir une maison d hôtes est loin d’être un travail tranquille, bien au contraire ! Mais vous travaillez pour vous et chez vous !
Il est justement dit dans l’article… que croire que c’est un travail tranquille est faux! C’est toute l’idée du”syndrome de la chambre d’hôte”. Nous sommes donc d’accord:)