Evénements tragiques ou ainsi va la vie, nous pouvons tous être confrontés au deuil ou aux épreuves. Que ceux-ci concernent drectement l’entreprise ou pas, ils ont un impact sur le bien-être du salarié et doivent être pris en compte, ne serait-ce que pour faire preuve de considération, ne pas laisser le salarié s’enfermer dans le silence et l’isolement et l’aider à traverser cette difficulté. A défaut de naviguer en père peinard sur la grand-mare des canards, nous avons besoin, y compris au turbin, de faire en sorte que l’amitié prenne le quart face aux coups de Trafalgar.
Quand la tragédie frappe à la porte de l’entreprise
Mon client Patrick raconte : très ébranlé par les attentats du 13 novembre, il arrive au boulot lundi avec appréhension : jusqu’ici, il s’estime relativement épargné puisque personne dans son entourage n’a été victime ou perdu un proche. Sa chef n’est pas là, l’ambiance est étrange. « On sentait tout le monde plus ou moins mal à l’aise, un mélange d’envie de revenir à la normale, de profiter du boulot à faire pour ne plus y penser un instant, de reprendre un rythme et en même temps de difficulté à se concentrer, de besoin d’en parler, mais personne n’osait vraiment, en tout cas pas au delà de quelques banalités. » Et puis vers 10h30, la nouvelle tombe comme un coup de massue : sa chef est absente parce que son compagnon est tombé sous les balles.
« Là, les langues se sont déliées et c’est devenu encore pire », raconte Patrick. Il décrit des indignations vertueuses pas toujours sincères, des propos irréfléchis, des grands mots, certains discours va-t-en-guerre, d’autres dégoulinants de bonnes intentions, tous des solutions faciles et péremptoires qui laissent peu de place à l’émotion. Il décrit aussi le désarroi palpable d’autres, plus silencieux. La vois de Patrick s’étrangle. Il aurait voulu plus de retenue, plus de partage, il aurait voulu avoir le sentiment de rangs qui se resserrent, d’un mouvement de soutien généreux et indéfectible envers cette N+1 « qui a ses défauts, mais qui mérite, comme n’importe quel autre personne, qu’on sache l’accueillir et l’entourer à son retour. » Selon ses propres termes, il avait « besoin de fraternité, de copains d’abord »
La tragédie qui a frappé vendredi est inhabituelle dans son ampleur, dans son horreur. D’autres tragédies plus ordinaires se passent tous les jours : nous pouvons tous un jour être confrontés à un proche qui se retrouve avec un handicap, une maladie invalidante ou mortelle, faire face au deuil, à un parent, un ami, un conjoint, un enfant, un collègue victime d’un accident, d’une maladie, d’une catastrophe. Qui soulèvent les mêmes questions : quoi faire du deuil en entreprise ? Comment parler de la perte d’un être cher ? D’un accident, d’une maladie, d’un handicap ? Quelle place faire à la détresse, au chagrin ? Comment l’accueillir ? Comment soutenir la personne dans l’épreuve, comment se soutenir lorsque c’est l’équipe ou l’entreprise qui l’est ?
Voici quelques pistes pour réfléchir à comment s’y prendre de façon à ce que les fluctuat nec mergitur ne soient pas que de la littérature, et qui sont de la responsabilité et/ou de l’initiative de tous, indépendamment de la hiérarchie.
La résilience collective
La parole, le contact physique, la présence, l’accueil des émotions, l’appartenance, le groupe favorise la résilience et la capacité à rebondir ou a minima à ne pas s’effondrer. Sur France Inter, Hélène Romano, docteur en psychopathologie, spécialiste du psychotraumatisme, évoquait la force de la résilience collective et l’importance de se retrouver ensemble plutôt que d’envoyer trop vite la personne chez le psy. Le deuil, la souffrance dans l’épreuve font partie de la vie, ce sont des processus normaux qui se traversent plus facilement à plusieurs. Favoriser la résilience collective signifie aussi accepter sa propre vulnérabilité, faire preuve de sensibilité, et des pistes mentionnées plus bas: gentillesse, entraide, écoute, élégance relationnelle, sollicitude et bienveillance mutuelle.
Si le groupe (l’équipe ou l’entreprise, selon la taille et l’enjeu) parvient à générer une appartenance forte qui s’appuie sur la confiance, l’être ensemble et la libération la parole, il favorise alors cette résilience collective et peut faire de la place à l’expression des émotions plutôt qu’à l’affirmation d’opinions ou au jugement des émotions des autres. C’est-à-dire aussi admettre qu’il n’y a pas qu’une façon bien normée et facilement compréhensible par tous de traverser une épreuve ou une tragédie, de même qu’il n’y a pas d’échelle de la douleur. Une épreuve traversée ensemble est une collection de perceptions et de réactions uniques où chacune est légitime. La parole peut passer par des réunions spécifiques ou par l’encouragement à des échanges informels.
L’écoute
La peine d’une personne endeuillée c’est particulièrement difficile à écouter. En conséquence, nous avons tendance à intervenir, à chercher des mots, dans l’espoir de minimiser la douleur de l’autre. Mais cet espoir est vain, il ne fait que donner à l’autre le sentiment de ne pas être écouté. L’une des plus belles compétences relationnelles est certainement la capacité à écouter, à être simplement là pour entendre la souffrance. Mieux vaut admettre sans honte que nous sommes impuissants à apaiser la douleur de quelqu’un, mais que nous pouvons lui permettre simplement de l’exprimer et que c’est déjà le début d’un soulagement. Il y a trois types d’écoute :
– L’écoute active, pour aider l’interlocuteur à clarifier son propos et trouver des solutions, qui paraît inappropriée ici.
– L’écoute sans jugement, qui est –ou devrait être- le principe de base de toute écoute
– L’écoute simplement attentive, c’est-à-dire le simple accueil de la détresse de l’autre, sans exprimer d’opinion ou de conseil, une écoute qui peut simplement, de temps à autre, reformuler ce que dit la personne qui souffre, pour lui montrer qu’elle est entendue. Je vous en reparlerai prochainement.
Cette écoute permet de mieux comprendre les émotions de l’autre, sa façon unique de traverser cette épreuve ou ce deuil. C’est donc à la fois un accueil salutaire et un outil d’empathie.
La gentillesse
L’agressivité et les jeux de pouvoir, en des circonstances pareilles, ne font que renforcer le sentiment d’insécurité et les comportements anti-sociaux, la méfiance et la souffrance. Il ne s’agit pas de baisser la garde et de devenir trop-bon-trop-con, selon la navrante expression. Il ne s’agit pas non plus de sombrer dans des excès de compassion infantilisante et victimisantes. Il s’agit de faire preuve d’amabilité, d’un intérêt sincère et désintéressé pour cette personne qui a besoin d’être entourée. C’est le moment d’oublier les rancœurs et les différents et de tester des alternatives plus pro-sociales qui favoriseront l’établissement d’un climat serein, facilitateur de résilience. De réapprendre à dire bonjour et merci, de demander des nouvelles autrement qu’entre deux portes, d’accorder du temps, d’accueillir d’éventuelles larmes, de réconforter etc. Et aussi éviter les fausses bonnes idées sous forme d’injonction de pensée positive, par exemple.
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L’élégance relationnelle
L’élégance relationnelle, c’est un ensemble de savoir-être qui favorise la force centrifuge qui rassemble (cohésion, coopération, esprit d’équipe), plutôt que la force centripète qui divise (rivalités, tensions, divergences). Une tragédie, qu’elle soit collective ou celle d’une seule personne, c’est le moment de remettre un peu de panache dans nos relations en revoyant nos façon de nous comporter dans des situations de collaboration.
La vie de l’entreprise ne s’arrête pas, mais pour alléger le fardeau émotionnel de la personne éprouvée, il devient indispensable d’avoir recours à des attitudes moins teintées d’égo et plus favorables à la confiance mutuelle, à la coopération: s’affirmer sans rouleau-compresser, c’est à dire à exprimer des opinions ou faire des suggestions de façon agréable, être encourageants, envoyer des signaux de reconnaissance, pratiquer une communication poins violente, sortir des rôles relationnels etc. C’est certainement une bien triste occasion pour expérimenter, mais au vu des bénéfices, c’est une opportunité de l’adopter définitivement…
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L’entraide
Une équipe devrait probablement fonctionner sur un mode mutualiste qui permet à chacun d’avoir des coups de mou bien naturels, en particulier lorsque la vie devient particulièrement difficile. Savoir que l’on peut s’appuyer sur ses collègues, que leur Confitéor les rend à même de prendre le relais sur certaines tâches est un moyen de diminuer la pression et de conserver de l’énergie pour traverser l’épreuve.
– Discuter avec le collaborateur de ses besoins et des ajustements à faire – ou pas – dans sa charge de travail. Voir avec lui les priorités, ce qu’il est capable de prendre en charge, ce qu’il a besoin de prendre en charge (n’oublions pas non plus que pour certains, le travail peut être un refuge apaisant pendant lequel il peut concentrer son attention sur autre chose que sa peine.
– Proposer concrètement de l’aide (plutôt que le « si tu as besoin de quoi que ce soit » qui reste souvent lettre morte) sur un dossier ou une tache, en particulier lorsque vous avez le sentiment que votre collègue est en difficulté.
Attention cependant à ne pas infantiliser ou dévaloriser le collègue en difficulté en cherchant à trop en faire. Vous n’êtes pas là pour sauver votre collègue de se détresse, vous êtes là pour l’épauler. Ne faites pas à sa place sans en avoir parlé avec lui/elle.
La sollicitude et la bienveillance mutuelle
Lorsque l’épreuve est commune et que tous sont en deuil, des pistes telles qu’écoute et entraide sont à l’initiative de tous en fonction de la disponibilité émotionnelle de chacun, à un instant T, face aux besoins de l’autre. Il est important de savoir prendre sur soi pour accueillir l’autre dans un moment de vulnérabilité supérieure à la sienne. La sollicitude et la bienveillance ont besoin d’être mutuelles. Veiller bien les uns sur les autres, c’est être présent au moment ou l’autre en a besoin plus que soi autant que savoir demander de l’aide quand on en a besoin, quelle qu’elle soit. C’est aussi potentiellement garder un œil bienveillant (ni négligeant, ni inquisiteur) les uns sur les autres pour détecter d’éventuels signes de souffrance tues comme des comportements qui changent. Ca peut encore être l’utilisation d’outils comme la météo intérieure.
Célébration collective pour éviter la négation existentielle
Maladie, accident personnel ou du travail, le décès d’un collègue ou collaborateur est souvent glissé discrètement sous le tapis, comme si la mort ne devait pas avoir accès à nos lieux de travail. L’émotion étant de façon général encore très mal accueillie en entreprise, que ferait-on du chagrin et du deuil qui risqueraient sans doute de ralentir la machine. Pourtant, nous avons tous besoin savoir que jamais le trou dans l’eau ne se referme et que 100 ans après coquin de sort, on manque encore.
« C’est pourtant un devoir collectif de célébrer ensemble cette personne, laquelle a peut-être consacré 10 ans, 20 ans ou plus à l’entreprise. Exutoire collectif aux émotions, ce temps de célébration est aussi une nécessité pour donner du sens, éviter la formation pour ceux qui restent d’une béance existentielle dans un cadre de travail où l’oubli immédiat, voire une forme de négation, seraient les seules perspectives. » dit Florence Lautreaudou, coach et psychanalyste dans cette vidéo
Au final, ne sous-estimons ni l’ampleur des blessures morales et du malaise, ni la force collective qui peut pousser à des rebonds positifs (les initiatives citoyennes et individuelles se multiplient), eux aussi facteurs de résilience. Dans tous les cas, parlons-en. Ensemble.
Ressources externes
Le deuil et le monde du travail – Realto
Le quasi-accompagnement des employés en deuil au sein des entreprises – Cairn info
Les attentats, un traumatisme our les salariés – WK-RH – Liaisons sociales magazine