Elégance relationnelle : quoi faire quand un(e) collègue sent mauvais

Comment s'y prendre pour dire à un(e) collègue qu'il/elle sent mauvais avec élégance et délicatesse

Rien que l’expression « ne pas pouvoir sentir quelqu’un » renvoie au lien direct entre odeur pénible et antipathie. Or les relations professionnelles sont déjà suffisamment compliquées comme ça, on n’a pas besoin que le dégoût olfactif s’en mêle. Alors voici comment s’y prendre avec élégance et délicatesse lorsqu’on bosse à proximité d’un(e) collègue qui sent mauvais, sujet particulièrement sensible.

Comment s'y prendre pour dire à un(e) collègue qu'il/elle sent mauvais avec élégance et délicatesse

Effluves et exhalaisons : le collègue qui sent mauvais, terrain sensible

Il y a trois choses qu’on ne peut pas sentir chez nos contemporains :

– Leurs comportements (du moins certains d’entre eux)
– Leur personnalité (du moins certains aspects)
– Leur odeur

Rien à faire: quand les odeurs d’un ou une collègues ramènent à notre jolie truffe des arômes qui fleurent davantage les relents de marées que l’air du grand large, ça chagrine autant l’humeur que la concentration.

Et la question des odeurs est particulièrement délicate, parce que c’est un terrain sensible, de l’ordre de l’intimité et qu’il est impossible pour la personne concernée de ne pas le prendre de manière personnelle, en particulier s’il s’agit d’odeurs corporelles. Il y a donc là matière à faux pas, à indélicatesses, à jugements péremptoires et à conseils absurdes, genre « lui suggérer de se laver avec bienveillance », ou « mettez un parfum d’ambiance » voyez ? Bref, entre recommandations vides et crainte de blesser, rien de tel pour s’engluer dans les marécages (forcément nauséabonds) des relations pourries. Car non, ce n’est pas facile de dire à Aldo qu’il refoule du goulot et pas utile de lui signifier que s’il continue à nous souffler son haleine de chacal dans les naseaux, on va lui faire la peau.

D’autant que le sujet est tabou, les odeurs, en particulier corporelles, étant associées à l’image sociale et directement soumises aux normes et aux valeurs de notre société. Dans la nôtre, c’est au 18e siècle que le seuil de tolérance aux odeurs s’est abaissé, avec le développement de l’hygiène sous la forme de rituels de toilette, comme l’explique cet article passionnant qui relate l’évolution de notre rapport aux odeurs :

« Si elles se diffusent dans les espaces d’interaction avec autrui, elles dépasseront les frontières de l’«acceptable», peut-on y lire. La sueur est plus généralement les mauvaises odeurs sont vues comme une contamination, une « offense territoriale » voir comme un «déchet» lorsqu’elles s’infiltrent dans l’espace d’autrui. »  puisqu’elles sont vite catégorisées  manque d’hygiène, de manque de maîtrise de soi, de laisser-aller, de négligence. Bref, nous avons tôt fait d’étiqueter cet autre qui répugne à nos narines délicates… et à lui montrer bien peu de bienveillance. Car comment dire à autrui qu’il pue sans être puant? J’ai été interviewée sur le sujet il y a quelques temps déjà et c’est une quidam(e) assise dans le bus en face de moi l’autre jour, dont le bouquet n’avait rien de violettes qui m’a donné envie de revenir sur le sujet.

Utiliser l'élégance relationnelle pour dire à autrui qu'il pue sans être puant

Tu pues, toi. Qu’est-ce qui ne va pas?

On oublie trop souvent qu’on ne sait pas du tout pourquoi un collègue sent mauvais. On juge vite fait bien fait, accrochés à nos petites valeurs, que c’est un(e) malotru(e) mal lavé(e), alors qu’il peut s’agir d’un problème médical ou de conditions de vie, potentiellement difficile à vivre pour la personne concernée.

Du coup, on a vite tendance à cataloguer les vilaines effluves sous l’étiquette « problème d’hygiène » et avoir recours au conseil pas franchement avisé, en mode je-sais-tout, du genre « Quand on a mauvais haleine, il suffit de sucer une pastille de menthe ». Ah ben bien sûr, il/elle n’y avait pas pensé, heureusement que vous Sauveur de l’humanité (ou a minima de l’open space) êtes là pour l’aider.

C’est d’autant plus indélicat qu’on touche là non seulement à l’intimité corporelle de la personne, mais aussi, à quelque chose face Attention donc aux attitudes moralisatrices qui vous posent en supérieur ou peuvent finir en humiliation, voire en discrimination.

N’oublions pas que nous ne savons rien de ce qui génère cette odeur, J’ai ainsi eu un client, ingénieur dans l’aéronautique dont le collègue direct  ne sentait pas toujours la rose. Après avoir abordé gentiment le sujet avec lui, il s’est avéré que le collègue en question hébergeait sa sœur et ses enfants dans son trois pièces depuis plusieurs mois, le temps qu’elle puisse reconstruire sa vie après un paquet de difficultés. Elle dormait sur le canapé du salon et ses trois enfants étaient répartis : un dans la chambre des enfants et deux dans la salle de bain. Tout était donc très compliqué et les douches autant que les lessives étaient militées au strict minimum. Ses odeurs pouvait-elles être jugées comme le signe patent de laisser-aller ?

Peut-être que votre collègue a des problèmes de santé qui génèrent ces odeurs, ou des conditions de vie dont ils sont la conséquence et pouvoir en parler sans être jugé, se voir témoigner de la compréhension peut s’avérer un véritable soulagement.

Peut-être que dans son appartement humide, le linge sèche mal et prend cette odeur horrible de chien mouillé dont certains ne se rendent même pas compte.

Peut-être qu’il/elle ne se rend pas compte que le sport à l’heure du déjeuner crée des odeurs de transpiration qu’i/elle ne perçoit pas, car nous avons du mal à percevoir nos propres odeurs.

Et peut-être que tout ça nécessite simplement une conversation, une de ces conversations a priori difficiles qui sera grandement aidée par un peu d’élégance relationnelle, car tous les cochons ne sont pas des porcs.

Mavaises odeurs corporelles: Tous les cochons ne sont pas des porcs!

Parler mauvaises odeurs avec élégance et délicatesse

Il va donc s’agir de faire preuve de gentillesse et de chaleur humaine plutôt que de monter sur vos grands chevaux (dont les crottins puent eux aussi) et de vouloir passer vos contemporains à la moulinette de vos valeurs aux effluves de rillettes. Dans tous les cas, vous pouvez vous appuyer sur les bienfaits de la communication non violente (CNV), particulièrement utile dans les discussions considérées comme difficiles. Ce n’est pas parce que votre collègue ne sent pas la rose que vous devez mettre des épines dans votre discours!

la communication non violente pour recadrer un comportement pénible

Les mauvaises odeurs corporelles (y compris l’haleine)

Deux options s’offrent à vous, selon que vous vous sentez en mesure d’aborder le sujet ou non :

1- En parler directement avec la personne

C’est la façon de faire la plus empreinte de considération, pour peu que vous y mettiez vos plus beaux gants d’élégance relationnelle. Pensez délicatesse et douceur et si le sujet vous paraît particulièrement difficile à aborder, dites-le lui avec simplicité au lieu d’enrober votre discours dans des faux-semblants guimauve et d’excuses bidon, qui schlinguent le manque d’authenticité. 

Il ne s’agit pas de lui donner le moindre conseil, de lui dire ce qu’elle doit faire ! Et comme toujours, la communication non violente va considérablement aider à ne pas se prendre les pieds dans le tapis.

Quelque chose de très simple, dit avec douceur,  de l’ordre de « “j’ai quelque chose à te dire que je trouve ça difficile d’en parler, je ne voudrais pas te blesser. J’ai remarqué que tu as une odeur forte ». Laissez le temps à la personne d’accuser réception et laissez-lui la place de s’exprimer et montrez de l’intérêt et de la compréhension. Il s’agit d’entrer en discussion, pas d’annoncer un verdict! Et de ce point de vue, la simplicité a des bénéfices insoupçonnés:

Elégance relationnelle: le pouvoir de la simplicité

2- Le médecin du travail

La seconde option dans le cas d’odeurs corporelles consiste non pas à faire intervenir le manager ou le DRH, ce qui pourrait être particulièrement difficile à vivre pour votre collègue, mais à en parler avec le médecin du travail. Parce que c’est de son ressort et que c’est la seule personne apte à aborder le sujet avec délicatesse avec votre collègue d’une part, parce que c’est un recours non hiérarchique qui ne met pas votre collègue en mauvaise posture (ou en sentiment de mauvaise posture). Ce n’est pas à vous de lui expliquer qu’il doit laver ses chemises.

Reconversion: atention au métier idéalisé

Les odeurs de cigarette sur les vêtements

 Si vous ne supportez pas l’odeur de cigarette qui se dégage de votre collègue fumeur, le plus simple consiste à lui en parler avec franchise, mais toujours avec élégance, en ayant recours à la communication non violente. Comme il n’est pas question de lui demander d’arrêter de fumer, il va plutôt s’agir de lui proposer d’en parler an manager pour voir quelles solutions peuvent être trouvées, comme par exemple un réaménagement du bureau. Et si votre collègue refuse, vous pouvez alors l’informer que vous aller en parler. Au moins, vous n’aurez pas fait les choses dans son dos.

Le/La collègue tombé(e) la bouteille de parfum/d’après rasage

C’est le cas le plus simple, car il n’y a pas de gêne à avoir, et une demande joliment tournée en mode CNV devrait résoudre l’affaire rapidement. En cas de refus, entrez dans le dialogue pour vérifier : on ne sait jamais, il s’agit peut-être de quelqu’un qui cherche à masquer une odeur, auquel cas, revenir au point 1.

Eviter les pratiques qui empestent la couardise ou la muflerie

Il y a bien des manières de s’y prendre parfaitement indélicates, qui font de vous de puants donneurs de leçon, qui empestent la couardise et se révèlent sacrément insalubre pour la relation. Etonnamment, on les retrouve régulièrement dans les conseils sur le sujet. Petit florilège vite fait :

Ce n’est pas « pour son bien », c’est pour le nôtre

Méfions-nous ainsi de toutes les tentatives de nous faire croire à nous-même, sous prétexte de parvenir à « oser », que nous allons lui rendre service ou que c’est pour son bien : c’est pour le nôtre, puisqu’a priori, le ou la collègue en question soit n’en a pas conscience, donc vit très bien avec, soit doit le supporter aussi, auquel cas c’est double pleine.

Donner des conseils 

la tentation est grande, vu que vous, vous ne puez pas et vous savez très bien comment vous vous y prenez pour ne pas puer. « tu devrais t’acheter des Tic-Tac » est un conseil particulièrement efficace pour que votre interlocuteur ait l’impression d’être pris pour un con.

En revanche, vous pouvez informer le collègue adepte du vélotaf qui a transpiré sur son trajet qu’il y a une douche à disposition des salariés dans les sanitaires de troisième. Peut-être qu’il ne le sait pas. Evitez les formulations de l’ordre du « Tu devrais utiliser la douche du troisième » et préférez « Sais-tu qu’il y a une douche au troisième? »

Les détours passifs agressifs

On peut aussi être parfois surpris face aux conseils étonnamment passifs agressifs qu’on lit sur le sujet, comme

 – Parler « innocemment » d’une odeur bizarre
 – Demander « naïvement » si la personne est sensible aux odeurs
 – Déposer « subtilement » un savon sur son bureau
 – Rappeler en réunion que l’hygiène est importante
 – Faire croire que « ça m’est arrivé aussi » pour mieux imposer son conseil
 – les solutions sacrément aberrantes, comme faire intervenir le DRH

Tout cela manque carrément  à la fois de savoir-vivre et de courage. Et les relations sans panache, ça convient peut-être aux mous du je-nous, mais ça a le défaut de toutes les sournoiseries et de tous les non-dits : ça fragilise les liens et ça met en danger la relation. Car dans les faux-semblants se logent la valse des rôles relationnels et nous voilà tombant à pieds joints dans la ronde Sauveur-Victime-Persécuteur chère à Karpman.

De façon générale, il me semble que toutes les techniques tortueuses qui n’abordent pas les problèmes droit dans les yeux sont à proscrire. En plus d’être peu efficaces, si le collègue/collaborateur se sent visé, vous avez surtout ouvert les vannes du ressentiment et/ou de la honte. D’autant qu’il/elle ne tardera pas à penser que quelqu’un en a parlé au chef qui en a parlé en réunion, par exemple, ce qui signifie que tout le monde parle de lui/d’elle dans son dos.  Bref : ça manque de classe, ça ne donne pas envie de coopérer à votre bien-être et ça fragilise la relation.

En faire tout un plat (de nouilles)

il n’est pas très malin d’en faire trop, de rentrer dans une discussion qu’on croit très coaching: on en parle, on trouve des solutions, on prépare un plan d’action et on se revoit pour faire un point sur les avancements, de façon à surveiller le « changement de comportement ». En termes de micro-management à la limite du harcèlement, ça se pose là.

Les encouragements humiliants

Dans la droite ligne du point précédent – Je suis tombée sur ce conseil : féliciter la personne pour marquer ses « progrès », conseil fréquemment donné en management et en coaching. Il s’avère ici parfaitement indélicat car infantilisant et humiliant. Vous vous imaginez vraiment dire « aah, Bicthouille, bravo, je vois que tu laves tes chemises plus souvent ! ». En revanche on peut remercier la personne qui ne tombe plus dans sa bouteille de parfum d’avoir entendu votre demande.


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Aller plus loin

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