Employabilité et mobilité sont devenues les marronniers des conseils en gestion de carrière et des publications RH avec force injonctions et grandes vérités. Mais qu’en est-il du point de vue des salariés ? Il ressort d’une enquête menée conjointement avec Nuances Conseil que ceux-ci se sentent seuls face à des mobilités considérées comme une prise de risque à bien des égards et face à leur propre entreprise.
Mobilité et employabilité : le point de vue des salariés
Les articles de presse et billets de blogs ou de sites carrière sur l’employabilité et la mobilité fleurissent comme les pâquerettes sur les gazons printaniers. Parce que c’est la thématique chérie des entreprises en quête de “flexibilité”, c’est-à-dire qui déguisent derrière leur désir de pouvoir embaucher et débaucher beaucoup plus facilement en autonomisation des salariés. Le point de vue des entreprises, des cabinets de consultants et des médias, c’est fort intéressant, mais quid de la relation que les intéressés entretiennent avec ces deux notions ?
Voilà l’objet de cette enquête menée conjointement avec Nuances conseil. Face au discours ambiant « se prendre en main », « devenir acteur de sa carrière » etc, face aux évolutions en cours du marché du travail, comment chacun voit-il sa propre mobilité, sa propre employabilité? Nous avons recueilli à la fois les réactions des personnes et les actions concrètes qu’elles réalisent pour développer leur employabilité, qu’elles soient en activité ou en recherche d’emploi.
Les cadres et la mobilité : une opportunité à créer
Essentiellement menée auprès des lecteurs d’Ithaque Coaching et des clients et partenaires de Nuances conseil, cette enquête est surtout révélatrice des préoccupations des catégories socio-professionnelles qui fréquentent nos sites : 77% des répondants ont des niveaux Bac +5 et plus et 80% sont des cadres.
Ces catégories ont un regard plutôt positif sur leur mobilité : elles ont majoritairement le sentiment d’avoir eu la main sur leurs mobilités passées et une conviction forte de la conserver dans leurs mobilités futures.
Elles en sont à l’initiative et 64% la considèrent avant tout comme une opportunité qui permet de :
– Continuer à apprendre 90%
– Rencontrer de nouvelles personnes 90%
– Prendre soin de son épanouissement et de son équilibre 89%
– Développer des compétences et sa capacité à trouver du travail 89%
Les répondants, du fait de leur catégorie socio-professionnelle, ont :
– Des attentes plus fortes par rapport à la sphère professionnelle, en termes de sens, de plaisir au travail, d’épanouissement professionnel.
– Des convictions en matière de gestion de carrière.
– Des ressources avérées en termes de recherches d’information, d’activation du réseau.
– Une certaine appréciation de la nature des compétences transférables et de la façon dont on peut les combiner pour réaliser des carrières multiples.
Une motivation claire à mener une transition de carrière
La principale motivation, et donc la principale attente des salariés face à une transition de carrière est de l’ordre du développement et du dépassement de soi : il s’agit de l’acquisition de nouvelles connaissances et/ou compétences, bien avant la rémunération ou les perspectives de carrière.
Employabilité, vous avez dit employabilité ?
Travailler son employabilité est devenu un incontournable. Mais les salariés semblent percevoir la relation à l’employabilité comme une injonction de la part d’entreprises qui voudraient parfois se défausser de cette responsabilité et la laisser au seul salarié. La méfiance vis-à-vis de l’organisation et des RH dans le cadre d’un désir de mobilité est palpable :
– 78 % des répondants ne sollicitent jamais les RH quand il s’agit de développement de compétences ou de mobilité.
– Encore plus inquiétant, 40% des répondants considèrent que leur entreprise ne se préoccupe pas de leur employabilité et 30% qu’il s’agit de beaux discours suivis de peu d’effets.
– La communication RH sur la mobilité professionnelle, quand elle existe dans l’organisation, est jugée sévèrement. Elle est estimée peu lisible et peu opérationnelle : pas d’information sur les métiers en développement ou sensibles, ni sur les passerelles d’évolution ou les conditions et modalités de la mobilité interne.
– Le seul outil de communication plébiscité par les répondants d’un point de vue opérationnel est la bourse de l’emploi même si les processus et les règles pour postuler en interne restent peu claires.
Les salariés réclament des ressources fiables et pertinentes sur l’évolution des métiers, les passerelles professionnelles ou les modalités de reconversion. Paradoxalement, ils craignent de dévoiler leur projet de mobilité dans un contexte de raréfaction d’emploi.
Mobilité : la rupture consommée entre l’entreprise et le salarié
Le salarié en désir de mobilité se sent bien seul : sa confiance en lesacteurs internes à l’entreprise est très mitigée et correspond aux articles de presse qu’on voit fleurir sur la thématique « comment chercher un job discrètement. »
– L’étiquetage « démotivé »: en affichant clairement leurs intentions de changement les candidats à la mobilité craignent les réactions de repli de la part de l’entreprise comme Monsieur Seguin et sa chèvre : « Comment ça ? tu veux me quitter ? » assortie d’une placardisation et d’un étiquetage de type « démotivé ».
– La vision mitigée du manager: les avis sont partagés sur l’appui que les candidats peuvent attendre de leur manager, soupçonnés de préférer uncollaborateur motivé par le projet partagé que par celui d’une transition professionnelle. Cependant, il reste l’interlocuteur privilégié en interne et dans 48% des cas, les candidats à la mobilité s’appuient sur lui.
– Le besoin de conseil et de soutien: un répondant sur deux attend de son manager un regard aiguisé sur ses forces et axes de progrès, ainsi que des conseils pour le pilotage de sa carrière (46%) et l’accès à un réseau interne (46%)
– Les appuis personnels: les interlocuteurs privilégiés des personnes en désir de mobilité sont… leurs amis et leurs relations personnelles, pour 85% des répondants.
Les dispositifs RH officiels de mobilité semblent négligés au profit de démarches officieuses où la détermination et l’énergie du candidat sont les moteurs essentiels. Au final la mobilité s’inscrit dans des démarches d’actions individuelles, souvent menées à l’insu des RH ou de la hiérarchie, et dans lesquelles le réseau personnel est largement sollicité. Trois chiffres dressent un tableau peu positif des relations entre les salariés et les RH :
– 78% n’ont jamais recours aux RH pour échanger sur la mobilité professionnelle
– 79% qui pensent que les RH ne se préoccupent pas ou pas réellement de leur employabilité
– 80% qui estiment que la communication sur les métiers de leur entreprise manque de clarté.
Ils traduisent une absence effarante de dialogue entre les deux parties les plus concernées, une véritable rupture consommée entre les RH et les salariés. C’est certainement là l’un des enseignements les plus essentiels de cette enquête, qui met au jour une défiance mutuelle majeure, rarement abordée dans la littérature sur la mobilité, la gestion de carrière ou l’employabilité.
Oser la mobilité : limiter les risques et satisfaire des besoins
En conséquence, pour oser la mobilité, les salariés comptent avant tout sur eux-mêmes. La majorité des répondants est convaincue que chacun doit être acteur de sa mobilité en fixant et en tenant les caps. Ce sentiment de solitude, associé à la méfiance de l’entreprise et aux incertitudes du marché contribue à entretenir un frein aux transitions professionnelles, toujours autant considérées comme un prise de risque
Ce qui souligne plusieurs besoins pour sécuriser les transitions : davantage de communication interne sur les métiers, sur les conditions financières et extra-financières des mobilités et sur les accompagnements possibles (coaching, mentorat etc.) ainsi que sur la réalité des métiers.
Que faire pour maintenir ou développer son employabilité ?
Carburant essentiel de cette employabilité, les paramètres d’ordre personnel et comportementaux sont cités plus souvent que les formations techniques et académiques.
– Veiller sa à santé et son énergie (61%)
– Etre attentif à son image (49%)
– Suivre des formations techniques (44%)
– Etre actif sur les réseaux sociaux (41%) Les salariés sont de plus en plus conscients de l’importance et de l’utilité des réseaux sociaux pour construire et entretenir un réseau professionnel vecteur d’opportunités et de cooptation (plutôt qu’un levier directe de recherche d’emploi, d’ailleurs). Cependant, 40% reste un chiffre faible au regard des mutations en cours dans le marché de l’emploi.
– Rencontrer régulièrement les membres de mon réseau (32%) un chiffre relativement faible au regard de la puissance du réseau professionnel en termes d’opportunités, d’accès au marché caché, de recommandations, de cooptation.
– Suivre des formations liées aux compétences informelles : relationnelles, managériales, organisationnelles etc. (31%) Les salariés semblent avoir de plus en plus conscience que les nouvelles tendances de l’employabilité s’articulent aussi autour de compétences non techniques et c’est tant mieux : ils ont certainement là une vraie carte à jouer.
Mobilités : oser la confiance et renouer le dialogue
Au final, les salariés sont moins actifs que ce à quoi on pourrait s’attendre d’une part et que ce qui paraît aujourd’hui nécessaire d’autre part. Trop souvent, les actifs restent trop passifs et attendent une perte d’emploi pour travailler leur réseau, ce qui retarde d’autant le retour en poste. En d’autres termes, ils savent ce qu’ils devraient faire mais ne le font pas forcément. 36% avouent ne rien faire.
Au-delà de la contradiction évidente entre leurs convictions et leurs actes, peut-être que cette passivité naît dans le creuset de la méfiance mutuelle entre eux et l’entreprise. Peut-être qu’une solution pour accroître l’employabilité et faciliter les mobilités se situe au cœur du pilier des relations quelles qu’elles soient (interpersonnelles, sociales etc.) : la confiance. Celle que le salarié a en sa propre capacité à mener les transitions de carrière qu’il désire et celle qui régit la nature de ses relations à l’entreprise.
Ce sont les pistes que nous vous proposons d’explorer au fil d’une série d’articles à la suite de cette enquête:
- Mobilité professionnelle : le pouvoir d’agir – Pascale Denantes-Parlier
- Mobilité: reconstruire la confiance entre RH et salariés par la confiance… en soi – Sylvaine Pascual
- Mobilité professionnelle : renouer le dialogue salariés -RH – Valérie Malaprade
Cet article a été co-écrit avec Pascale Denantes-Parlier et Valérie Malaprade et nous le dédions à notre collègue Odile Guillette, brutalement disparue.
Aller plus loin
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Il aurait peut-être été judicieux de définir la mobilité : est-ce juste le fait de changer d’entreprise ou bien de devoir déménager à l’autre bout de la France pour avoir un travail?
Dans le 2e cas, j’ai l’impression que ne pas être mobile est perçu négativement. Mais on oublie souvent que cette mobilité oblige à rompre les liens sociaux existant tels que la famille, les amis voire même le couple et les enfants. Au final on crée une société de solitude…
Il s’agit bien de toutes les mobilités: changement de job, d’entreprise, de carrière, de région. Et vous soulignez un point essentiel Adénine, la mobilité géographique qui impose la rupture (ou du moins l’éloignement souvent perçu comme tel) de liens essentiels au bien-être. D’où la nécessité pour chacun d’évaluer avec précision la part éventuelle d’inacceptable dans un changement de région avant de se jeter dans une décision que l’on risque de regretter;)