Comme beaucoup d’autres sujets, la reconversion à ses tabous : considérée comme un acte avant tout professionnel, elle est souvent menée en suivant une mécanique opérationnelle bien orchestrée, à l’exclusion de ses dimensions plus psychologiques : on ne va quand même pas mélanger le pro et le perso, hein ? Parmi ces facettes très personnelles, l’héritage familial entraîne parfois des conflits de valeurs qui peuvent entraver le changement de métier… et qui ont donc besoin d’être traités.
Reconversion : la ré-écriture d’une histoire personnelle et professionnelle
Effectivement, la reconversion est avant tout une décision professionnelle, seulement voilà : ses tenants et aboutissants s’inscrivent autant dans la vie personnelle que professionnelle. Ils y prennent leur source tout comme ils y trouvent leurs implications et au final, les dissocier est le plus souvent une fausse bonne idée. Car à remettre la dimension personnelle d’un désir de reconversion au fond d’un tiroir, le risque est surtout de fermer des portes, de construire un cadre qui n’est pas le nôtre et de ne pas nous y retrouver. De ne pas reconnaître dans l’identité professionnelle que nous élaborons la personne que nous sommes, mais plutôt le fruit de boussoles qui ne sont pas les nôtres et que nous vivons comme des carcans qui interdisent une véritable exploration des aspirations.
Parmi ces carcans, les croyances familiales peuvent générer de nombreux freins. Nous sommes tous les héritiers plus ou moins conscients et consentants à la fois :
- De la relation que nos parents entretenaient vis-à-vis du travail, en termes de convictions, d’aspirations, de valeurs
- De ce qu’ils ont voulu pour nous, qui est souvent lié à la sécurité ou au statut.
Et lorsque ce qui est important pour eux est en désaccord avec ce qui est important pour nous, le conflit de valeurs n’est pas loin. Il se joue à l’intérieur du candidat à la reconversion, sous forme de tiraillements fatigants qui vont se traiter d’une manière ou d’une autre, donc qu’il vaut mieux traiter consciemment pour éviter des réactions au détriment de l’identification d’une voie professionnelle réellement réjouissante et réalisable.
Désir de changer de métier et conflit de valeurs
Ce que nous faisons de cet héritage dépend de nous. Lorsqu’il ne correspond pas à nos propres valeurs et convictions, le conflit intérieur peut déclencher deux types de réactions :
- La soumission : nous pouvons alors mener nos carrières et nos transitions professionnelles en fonction des croyances de nos parents, quitte à taire les nôtres et à en tirer plus de frustration et d’amertume que de joie et de plaisir.
- La rébellion : nous avons alors tendance à prendre des décisions professionnelles pour aller à l’encontre des convictions familiales, plutôt qu’en fonction de qui nous sommes réellement. C’est n’est donc pas une déclaration d’indépendance, riche de ses propres choix, c’est une réaction, au final toujours soumise aux croyances familiales.
Dans les deux cas et en l’absence de traitement des systèmes de convictions, des stratégies d’échec se dessinent, qui vont davantage vers le renforcement des croyances que vers l’autonomie sereine, l’estime de soi et l’épanouissement professionnel.
Croyances familiales, absence de traitement et stratégies d’échec
L’absence de traitement des entraves psychologiques à un changement de métier, issues de conflits de valeurs avec les croyances familiales sont responsables de beaucoup d’échecs. Ils agissent comme une boussole interne cassée, dont l’aiguille s’affolerait entre les injonctions externes et les aspirations personnelles et échouerait à indiquer une direction franche, avec un double résultat possible :
- Un renoncement trop rapide, faute de pouvoir réconcilier les voix discordantes qui murmurent à nos oreilles trop d’injonctions paradoxales pour y reconnaître ses petits
- Des choix de métiers en décalage avec nos aspirations. La baisse de motivation y sera directement proportionnelle, de même que l’illusion du plaisir qu’on va y trouver. La porte ouverte à l’échec de la reconversion.
D’autant plus lorsque la reconversion s’inscrit dans un désir d’aller vers une seconde partie de carrière plus cohérente avec ses aspirations, qui recherche le sens et le plaisir au travail. C’est souvent le catalyseur de la résurgence de toutes les croyances et craintes familiales, creuset de freins et d’interdits qui n’encouragent pas l’épanouissement professionnel. Comment identifier une voie de reconversion enthousiasmante et pleine de sens lorsqu’on a hérité de croyances du type « la seule chose qui compte, c’est d’avoir un salaire » ?
C’est un blocage incroyablement fréquent, parmi tous ceux qui aimeraient se reconvertir sans savoir dans quoi : le cerveau génère alors une zone aveugle sur toutes les pistes professionnelles qui pourraient aller à l’encontre de ces systèmes de convictions, et le candidat à la reconversion se retrouve à tourner en rond sans solution. Quelques exemples:
- C’est le cas de Carolina, 46 ans, directrice commerciale d’une ETI, dont le père, tout en rigueur et discipline, lui a transmis que le plaisir est frivole et n’a de place que dans la vie personnelle. L’image de sa mère, artiste et électron libre rentrée dans le rang d’une vie bourgeoise, renforce cette conviction qu’au final, il n’est pas légitime de croire que le boulot peut être agréable. Elle rêve d’un métier qui s’articulerait entre sens, plaisir et rigueur et responsabilité, mais l’envisager l’angoisse parce qu’elle y voit une impossibilité. Difficile du coup de s’autoriser à explorer des pistes qui lui correspondent réellement, puisqu’elles sont illégitimes.
- C’est aussi Hugues, 50 ans, X-Mines, cadre dirigeant dans l’industrie et photographe amateur de talent, taraudé depuis des années par l’envie d’un métier artistique, et qui se l’interdit parce que « ce n’est pas un vrai métier », au regard des carrières linéaires de sa famille, qui correspondent parfaitement aux canons d’une « réussite professionnelle » qui n’autorise pas la perte de statut.
- C’est encore Pierre, 52 ans, ingénieur, qui a le sentiment d’avoir vu toute sa vie son père artisan « trimer », qui a été poussé à faire des études pour ne pas avoir à « trimer », qui à présent rêve d’un métier manuel sans se l’autoriser, par crainte de décevoir.
- C’est aussi Géraldine, 38 ans, enseignante et fille de commerçants, que ses parents ont poussée vers la sécurité de l’emploi et la noblesse d’un métier intellectuel, qui rêve d’ouvrir épicerie fine et procrastine l’exploration de cette possibilité depuis deux ans, par crainte de se mettre en port-à-faux avec une famille si fière de son métier de professeur.
Dans tous ses cas-là, omettre le traitement de cet héritage familial est la porte ouverte aux stratégies d’échec :
- Fermer inconsciemment la porte à toutes les voies professionnelles qui pourraient trop s’éloigner des croyances familiales
- Une reconversion vers le métier qui tient à cœur, mais inconsciemment mal ficelée, qui va dans le mur et vient ainsi renforcer les croyances de départ
- Une reconversion vers un métier raisonné-raisonnable, qui va dans le sens des croyances familiales plutôt que dans le sens de nos tripes, qui entretiendra aussi les croyances
- Un renoncement emprunt d’amertume et de frustration, qui risque de générer de la rancoeur vis-à-vis des porteurs de croyances qui ont été à l’origine de la décision.
Traiter l’héritage et construire sa propre boussole
Au-delà du parcours professionnel, la reconversion s’inscrit ainsi dans une dimension biographique à prendre en compte. Bifurcation à enjeu, elle est une ré-écriture d’une histoire personnelle et d’une identité professionnelle et le chemin emprunté peut s’éloigner de celui que nos parents ont suivi, préconisé ou qu’ils trouvent rassurant. Il s’agit donc de re-régler sa boussole interne pour qu’elle trouve sa propre rose des vents, en harmonie avec nous-mêmes.
Questionner notre héritage familial, en termes de croyances et valeurs liées au travail ne signifie bien entendu pas aller régler nos comptes avec des parents qui, essentiellement, nous ont voulu du bien en fonction de leurs propres convictions et héritages. C’est
- Faire du tri ente les convictions et les valeurs qui nous appartiennent et celles qui ne nous appartiennent pas.
- Faire le deuil d’être l’enfant parfait qui répond à toutes les attentes de ses parents.
- Accepter d’être autonome et construire son propre système de convictions indépendamment du regard, des croyances et des jugements des autres.
L’objectif étant une réconciliation interne entre un héritage qui est ce qu’il est et vaut ce qu’il vaut pour ceux qui se le sont approprié d’une part, et l’acceptation de sa boussole personnelle d’autre part. Des aspirations multiples et contradictoires n’empêchent pas l’entente familiale;)
Mais ce parcours-là n’est pas toujours simple. Questionner des croyances ancrées parfois depuis plusieurs générations, c’est bousculer des systèmes établis et ça demande pas mal de courage. Parce qu’il peut y avoir de nombreuses craintes à le faire,:
- Ne plus être reconnu, aimé, respecté
- Ne pas réussir à faire accepter son désir de reconversion
- Etre jugé
- Entrer dans des conflits
- De prendre les mauvaises décisions (puisqu’elles vont à l’encontre de ce que pensent nos parents)
De façon générale, nous nous estimons autonomes et la découverte des freins liés à l’héritage familial est souvent une prise de conscience difficile, qui pousse d’ailleurs à l’omerta, de peur d’être jugés par d’autres qui pourraient voir ces freins comme une marque de faiblesse ou des relents de crise d’adolescence mal gérée. Combien de fois ai-je entendu, de la part d’un client qui venait de faire ressortir une croyance héritée « comment peut-on en être encore là à 40/45/50 ans ? ». Si c’est un frein très courant, les candidats à la reconversion qui ont le courage de faire le point sur les héritages familiaux qui les entravent en sortent grandis :
- Plus sûrs d’eux-mêmes, ils gagnent en estime d’eux et en autonomie de réflexion.
- Plus sûrs de leurs choix de métier et plus en capacité de poser leur propre définition de la réussite.
- Plus sereins dans leurs relations familiales : il s’agit bien d’accepter les systèmes de valeurs des uns et des autres et d’en susciter l’acceptation chez les autres.
Dans tout ce qui génère des conflits intérieurs et des tiraillements dans votre désir de reconversion :
Quelles sont les croyances qui vous sont propres ?
Quelles sont celles qui sont héritées ? De qui ?
De quoi avez-vous besoin pour les rendre à vos parents et laisser émerger les vôtres ?
Il s’agit d’un travail d’évaluation des croyances dans le présent pour construire d’autres systèmes de convictions plus en accord avec nous-mêmes, il ne s’agit en aucun cas d’un travail de guérison du passé, qui serait du domaine purement psy. Cependant, il arrive que les héritages trop ancrés ou trop complexes bénéficient grandement d’un traitement psy. C’est l’option qu’ont choisi Carolina et Hugues, en complément de leur exploration des champs possibles en coaching. Pierre et Géraldine, quant à eux, vivaient le poids de ces croyances comme moins écrasant et s’en sont libéré sans l’aide d’un psy. A chacun son chemin;)
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C’est vrai que ce n’est facile quand on vient d’une famille ancrée dans ses convictions et qui ne partage pas la même vision du succès que vous. C’est important de définir son propre succès et de suivre sa propre voie !
Oui, et d’accepter sa propre vision sans s’inscrire contre la vision familiale^^