Nous aspirons aux baguettes (et par extension aux mesures) magiques qui viendraient révolutionner nos organisations autant que nos relations. Seulement voilà, dans la vraie vie point de miracle : c’est la constance plus que l’intensité du geste qui lui confère sa force et son pouvoir. L’accumulation, la répétition, la pratique sont au cœur du développement de l’élégance relationnelle qui créera la confiance et transformera nos organisations.
La force des petites choses
L’époque, qui aime les superlatifs comme certains aiment les fraises tagada ou les séries télé, nous pousse à croire que l’intensité de l’expérience est essentielle. Sur les réseaux sociaux, nous avons tendance à rivaliser d’images extraordinaires de repas somptueux, de voyages merveilleux, d’expériences hors normes, faute de quoi nous sommes de pauvres losers, aux vies d’une banalité risible. Le spectaculaire, si superficiel soit-il, a remplacé la somme des petites choses dont l’impact est pourtant à la fois bien plus important et bien plus utile, comme le démontre Simon Sinek dans cette conférence.
Cette video animée reprend les propos de Simon Sinek, passionnant et comme toujours, qui réussit à trouver des parallèles et des métaphores dôles et pertinentes, qui marquent l’esprit. Un régal que je vous laisse regarder avant de vous partager les réflexions qu’il m’a inspirées.
Constance vs intensité
Simon Sinek oppose les notions d’intensité et de constance. Le désir d’intensité se comprend ici comme l’attrait pour les actions ponctuelles qui produisent des résultats immédiats et faciles à mesurer. Une mesure spectaculaire, rapide qui génère un changement apparent de forte magnitude sur l’échelle de la tellement à la mode « disruption ».
Cette intensité, souvent présentée comme « moderne » est le plus souvent occasionnelle. C’est une peu comme aller chez le dentiste : on sait quand on a rendez-vous et quand on sort, on a les dents soignées, propres et d’une blancheur émail diamant. Mais si on se contente d’aller chez le dentiste une fois de temps en temps, ça risque de mal se terminer pour la collection de ratiches blanc porcelaine qui nous a été gentiment attribuée. C’est pour cela qu’on nous apprend à nous laver les dents tous les jours, qu’on nous apprend la constance. Les brosser une fois n’a aucun sens : c’est l’accumulation de brossages réguliers qui les préserve et les maintient en bonne santé. L’intensité, au sens de la mesure drastique, ne suffit donc pas : c’est la constance, l’action répétée dans la durée qui importe.
Nous le savons pour nos dents, pour nos muscles, pour plein de choses et pourtant… nos entreprises s’y prennent tout autrement. Nous aimons les mesures ponctuelles parce que nous sommes friands de ce qui est cadré dans le temps et facile à mesurer, parce que les résultats sont prévisibles :
– Marre des managers, on veut des leaders ? On organise une conférence, on fait venir des conférenciers, tout le monde s’extasie et hop ! Nous y voilà, on a des leaders ! Ha bon ?
– Besoin de raviver une entreprise au bord du gouffre ? On change de management, on réorganise, on vire des cohortes de gens et hop ! Voilà les économies !
L’intensité au détriment de la pérennité, la superficialité au détriment de la durabilité est une vision court-termiste qui pourrait nous coûter cher. C’est l’accumulation d’actions qui, chacune prise individuellement, ne représente pas grand-chose, qui va avoir un réel impact et générer des changements solides et durables.
– Un peu comme la forme physique : vous pouvez aller à la salle de sport et faire 8h de muscu : ça ne va pas changer la tête de vos biceps (vous allez juste y gagner quelques jours de sacrées courbatures). En revanche, si vous faites de la muscu 20 mn par jours, vous allez rapidement voir les effets.
– Un peu comme une relation amoureuse : c’est l’accumulation des petits gestes de tendresse et d’affection qui entretiennent les sentiments. Comme par exemple, le matin au réveil, de dire bonjour à son conjoint avant de mettre le nez dans son smartphone.
C’est exactement pareil dans nos vies professionnelles.
La constance pour créer la confiance
Plaisir au travail
C’est l’accumulation d’instants de joie, d’efforts agréables, de moments de fierté, de tâches pour lesquelles nous avons de l’appétence, d’interactions réjouissantes, de collaborations fructueuses, de signes de reconnaissance, de marques de confiance etc. qui donne le sentiment d’être heureux dans son travail, ce qui laisse d’ailleurs la place à la possibilité de moments moins agréables, qui font partie de la vie.
C’est la constance, l’accumulation de petites mises en actions, qui nourrit la confiance en soi, en sa capacité à agir et à œuvrer pour son propre plaisir au travail, bref, qui développe le leadership de soi.
La constance pour améliorer le management
L’époque, qui aime les superlatifs, nous l’avons dit, s’est aussi emballée pour les mesures managériales qu’on pourrait qualifier de superlatives, puisqu’elles sont liées aux notions de « bonheur au travail », de « great place to work ». Mesures souvent limitées dans leur portée, mais spectaculaires et/ou visibles, quantifiables, mesurables !
Le ripolinage vite fait bien fait des mesures de « bonheur au travail » on connaît le résultat : c’est beau sur le coup. Comme une pissotière repeinte, disait-on à une autre époque, mais il ne va pas se passer longtemps avec que la peinture s’écaille. Comme dans les émissions de déco où on vous passe trois couches en 2 jours, en séchant vite fait avec un ventilateur : il ne fait pas longtemps avant que la jolie couleur toute neuve ne se craquelle.
Peut-être qu’un management plus efficace passe par l’accumulation de petites mesures toutes simples, celles qui donnent confiance. Simon Sinek donne un exemple pratique : vous êtes en réunion et tout le monde attend Charles qui est en retard. Pas de problème, chacun se met le nez dans un écran et trouve les moyens de rentabiliser ce temps mort. C’est une erreur. Les téléphones devraient être bannis des salles de réunion car que se passe-t-il alors en attendant Charles…ô miracle, les gens se parlent. De quoi ? Probablement de rien d’important, on prend des nouvelles, on bavarde. Mais ces instants de convivialité renforcent et entretiennent les relations, ils participent de la construction de la confiance mutuelle. Et là aussi, la répétition d’instants relationnels sereins va faire bien plus qu’un incentive dans un Château form où l’on va prendre des photos collectives de mines réjouies qu’on publiera ensuite sur les réseaux sociaux, ou de team-building hors sol, genre sur un bateau ou bientôt dans une navette spatiale, pour faire plus disruptif que son voisin.
L’on peut ainsi découvrir, nous dit Simon Sinek, qu’on apprécie son chef, qu’on a la certitude, en cas de problème, d’être épaulé(e) et soutenu(e) par nos collègues, qu’on peut se montrer vulnérable. La vulnérabilité ne signifiant pas forcément s’effondrer en larmes, mais plutôt la possibilité de dire qu’on s’est trompé, qu’on ne se sent pas compétent pour prendre en charge un dossier (je rajoute ici savoir dire non, exprimer un désaccord, partager un point de vue, faire une demande etc., tout ce qu’on a du mal à s’autoriser) sans craindre d’être dévalorisé, réprimandé, placardisé, harcelé ou même viré. Bref, le management a besoin de créer – et peut le faire ainsi – une atmosphère de confiance dans laquelle chacun peut s’exprimer et trouer sa place.
Constance et confiance au cœur de l’élégance relationnelle
Suite logique du point précédent, cette constance est aussi et surtout indispensable à l’une des dimensions du plaisir de travailler, parmi les plus essentielles et pourtant peu traitée : les relations professionnelles. Souvent mises au second rang du tout collaboratif, elles sont trop souvent considérées comme devant aller de soi (on “doit” avoir l’esprit d’équipe et tout le monde pense l’avoir!) et assez peu construire autour de la confiance.
Le leadership et l’élégance relationnelle qu’il implique ne se trouvent pas dans l’application immédiate d’une technique parfaitement modélisée et léchée en one-shot et hop ! Tout est réglé. C’est un ensemble de petites choses, gestes, attention, choix sémantiques, postures, moments d’écoute, d’intérêt etc. qui vont créer un sentiment de respect, d’appartenance, de reconnaissance mutuels, source de confiance mutuelle. Et cette confiance est essentielle :
– Elle favorise la collaboration : je travaille mieux avec autrui quand je n’ai pas peur de lui, quand ma théière n’est pas occupée à m’en méfier, à craindre qu’il vienne marcher sur mes plates-bandes etc.
– Elle renforce l’estime de soi, l’assurance en minimisant l’anxiété, l’inquiétude dans la relation .
– Elle donne le sentiment de sécurité émotionnelle : j’ai le droit à mes émotions, à l’erreur, à la vulnérabilité, à mon humanité
– Elle ouvre le champ a des relations authentiques : la confiance n’exclue ni les désaccords ni les conflits, elle leur donne un espace émotionnellement sécurisé dans lesquels ils peuvent s’exprimer
Par extension, deviennent leaders ceux qui savent créer la confiance, parce que nous sommes tous naturellement enclins aller vers ou avec ceux qui inspirent un sentiment de sécurité émotionnelle et morale. Le leadership n’a que peu à voir avec l’autorité (au sens autoritariste) ou hiérarchique, avec la domination dans la relation qui implique la soumission et non le désir d’aller avec. D’ailleurs, de ce point de vue, le geste prosocial un poil trop occasionnel laisse soupçonner un intérêt personnel qui trouve bénéfice à se manifester ainsi : pas de quoi instaurer un leadership de confiance et élégant.
On peut aussi parfois se retrouver avec l’impression d’avoir un peu des deux : une expérimentation relationnelle peut être une expérience intense et riche. Elle est ponctuelle, se produit à un instant choisi, elle est intense d’émotions (la première fois où l’on dit clairement non, par exemple, peut être émotionnellement très chargée), depuis la crainte, le trac qui saisit juste avant, jusqu’à la fierté qui vient juste après. A l’évidence, l’avoir fait une fois ne signifie pas que le geste est acquis et seule la pratique, donc la répétition, va donner l’aisance et l’assurance. Ce qui revient, là encore, à dire que la constance est au cœur du développement d’une élégance relationnelle qui instaure la confiance. Et ça vaut le coup car au final, au travail aussi le bonheur, c’est les autres, à condition de soigner la qualité des relations que nous entretenons avec eux:
Tout cela se joue au niveau des personnes bien avant de se jouer au niveau de l’organisation. Ainsi dans les « great place to work » ne sont pas à l’abri de micro pratiques iniques, de comportements de cheffaillons, d’étrangetés RH comme « chez nous, la rupture conventionnelle, ça ne se fait pas ». C’est probablement en passant par les personnes et par le développement d’une élégance relationnelle individuée, propre à chacun et qui s’exprime selon sa personnalité, une élégance relationnelle développée pas à pas, geste après geste, que toute l’organisation sera transformée.
Voir aussi
Sans peur et sans reproche: l’élégance relationnelle au service du plaisir de travailler (ensemble)
#SPSR Episode 2: l’importance de la compatibilité relationnelle
Collaboration: la lecture émotionnelle pour régler/prévenir un conflit
Elégance relationnelle: mots gentils et reconnaissance durable
5 grammes de panache dans nos relations
Du triangle de Karpman à l’équilibre relationnel: la triplette prosociale
Aller plus loin
Vous voulez construire et entretenir une élégance relationnelle sereine et plein d’assurance, qui s’appuie sur votre personnalité et participe de votre plaisir de travailler? Ithaque vous accompagne. Pour tous renseignements, contactez Sylvaine Pascual