Avoir du goût pour les tâches sur lesquelles nous travaillons au quotidien, encourage le sentiment d’oeuvrer et minimise celui de trimer. D’autant qu’inversement, l’inappétence génère inaptitude et ineptie et favorise les 3 B du bosseur (dés)abusé: burnout, boreout, brownout. Voici comment retrouver du plaisir au travail en s’appuyant sur la force de l’aimer-faire!
Les appétences, ou mettre un pied réjoui dans l’aimer-faire
Question : faites-vous ce que vous aimez et aimez-vous ce que vous faites ?
Je ne vous dis pas ça pour citer le pénible chinois super producteur d’injonctions professionnelles et de « citations inspirantes » mais parce que lorsque nos appétences correspondent à nos tâches, le plaisir au travail est démultiplié. Il ne s’agit donc pas tant de votre métier que de vos tâches professionnelles dans leur ensemble et on pourrait rajouter « dans des conditions que vous aimez ».
Il y a une joie douce ou enthousiaste, un contentement agréable, une satisfaction profonde et chaque jour renouvelée à prendre du plaisir dans les tâches que nous avons à faire au quotidien, a minima dans le maximum possible d’entre elles. Inversement, le manque de goût pour ce que nous avons à faire au boulot nous dégomme le ciboulot à coups de frustration, d’agacement, de découragement. Alors plutôt que de nous laisser embourber dans les affres du déplaisir quotidien, regardons du côté des appétences professionnelles.
J’aime beaucoup ce terme appétences, emprunté à Francis Boyer, rencontré il y a quelques années et dont j’avais apprécié le regard différent et pertinent sur le management. Jusque là, j’avais utilisé le terme “besoin” plus vague et moins réjouissant et j’ai adopté “appétence” parce qu’il a des connotations de désir instinctif, de penchant naturel, de goût, d’envie, de gourmandise réjouie et sans complexe… en d’autre termes, sous cette appellation, l’aimer faire a la saveur du plaisir au travail.
Les appétences peuvent porter sur tous les aspects de la vie professionnelle, depuis l’environnement et les conditions de travail jusqu’au sens qu’on trouve (ou pas) dans sa fonction. Attardons-nous ici essentiellement sur les tâches professionnelles, car c’est un moyen simple de mettre un pied réjoui dans l’aimer faire et d’y récolter des trésors de vitamines mentales. Pour les autres dimensions, voir
Inappétence, inaptitude, ineptie
Inappétence, inaptitude
Prenons un exemple simple : moi et la compta. J’ai un comptable formidable. Il m’a préparé des feuilles excel apparemment super faciles à remplir et il est d’une patience… Lorsque je lui ramène une tentative pleine de bonne volonté de lui préparer la tâche, il s’afflige le plus discrètement possible… Il me regarde la tête penchée et je le vois bien, il me prend pour une demeurée… Il faut dire que je n’ai aucun goût pour la paperasse quelle qu’elle soit et rien que la vue d’un formulaire me met les neurones aux abonnés absents, la comprenette en rideau.
Que le premier qui se trouve apte à tout me jette des tonneaux de galets : la réalité, c’est que l’inappétence ne favorise pas la montée en compétence parce que l’inappétence rend bête, l’inappétence rend inapte.
Inappétence, ineptie
Pendant 15 ans, j’ai corrigé les écrits des épreuves d’anglais du concours Mines-Ponts. Ça avait du sens : un nombre non négligeable de copies délicieuses, dans lesquelles les candidats faisaient l’effort
– de réfléchir à des questions pas forcément passionnantes, ce que je trouvais plutôt élégant.
– d’essayer d’utiliser des tournures savoureusement anglophones qui donnaient un brin d’authenticité à leurs écrits, ce que je trouvais élégant aussi.
15 ans plus tard, tout cela est remplacé par un gloubiboulga de globish laborieux et un vaste champ de platitudes pénibles. Même si le niveau est plutôt meilleur, le dégoût m’a gagné à force de déperdition de saveur. J’ai fini avec les gobilles dégobillant la banalité monotone de l’affligeant calque (vous savez, le même qu’on trouve partout aujourd’hui, celui qui “traduit” soft skills par « compétences douces ou molles »… vous traduiriez, vous, software par « matériel doux ou mou » ?)
15 ans de compétences, je pouvais corriger les yeux fermés, mais je ne pouvais plus corriger. L’inappétence ne favorise pas la motivation parce que l’inappétence rend la tâche inepte.
Inepte, inapte, ça fait beaucoup pour un seul travailleur qui voudrait bien faire des bons de cabri à l’idée d’aller bosser et se retrouve à tourner en rond dans une cage étroite. L’absence de prise en compte des appétences, c’est le zoo de la vie professionnelle. Et pourtant, on continue de gérer les compétences, de recruter par les compétences, de se reconvertir en cherchant à s’appuyer sur les compétences.
Libérons nos appétences !:)
Inappétence et perte de motivation
L’inappétence, par manque de plaisir, de motivation, de sens, d’intérêt, de tout ce qu’on veut, déclenche des tombereaux d’émotions négatives qui sont autant de signaux d’alarmes envoyés par notre crocodile intérieur, notre bon vieux directeur de l’évaluation des risques, qui se préoccupe de tout ce qui pourrait menacer notre bien-être intérieur (j’ai emprunté l’image du crocodile à Catherine Aimelet-Périssol). Ces messages vont s’exprimer sous des formes diverses : frustration, agacement, angoisse, inquiétude, agitation, fatigue, tristesse etc. selon les besoins qui se retrouvent malmenés à ce moment-là. En d’autres termes, les (in)compétences sans appétences déclenchent des états de défense, que l’on connaît sous les noms de lutte, fuite et repli:
Et comme on nous dit partout que nous devrions « maîtriser nos émotions », nous nous retrouvons à ignorer le message et à croire que faire du sport ou de la relaxation fera passer l’émotion. Mais le crocodile veille, qui attend des mesures concrètes et à force de non traitement, il va finir par nous protéger tant qu’il peut de cette menace – procrastination, désengagement, absence d’initiative, démotivation, stress, absentéisme, présentéisme etc.
Appétence et plaisir au travail : la force de l’aimer-faire
Inversement, dès lors que notre quotidien professionnel s’appuie sur nos appétences et que nous œuvrons sur des tâches qui nous plaisent (quelle que soit la raison pour laquelle elles nous font briller les mirettes), notre crocodile intérieur considère que nous avons trouvé un os pour notre joyeux Médor intérieur plutôt que de la menace en veux-tu en voilà, et il peut donc enfin aller faire un tour à la salle de sieste, histoire de souffler un peu.
Car à ce moment-là, nos taureaux, chevaux et opossums se détendent et laissent la place à des émotions et des états d’esprit plus agréables – stabilité, calme, confiance, courage, motivation, détermination, dynamisme, inventivité, créativité, assurance, quiétude, apaisement, etc. – et un sentiment général de plaisir, dans diverses nuances réjouissantes du terme:
Comme il convient de le répéter histoire de s’éviter ceux qui, en vertu du principe que pour noyer sont chien, autant l’accuser de la rage, dogmatisent et détournent histoire de défourailler sur tout ce qu pourrait déranger les ordres établis du management anté-ferroviaire, je le répète: il ne s’agit pas de rechercher une vie professionnelle limpide et dans heurts, dans laquelle on barbote en mode zen, les doigts de pieds en bouquet de violettes, sous un ciel éternellement sans nuage. Il s’agit d’aller chercher les sources de plaisir où elles se trouvent, parce que ça améliore l’humeur et aide à faire face aux aléas, et puis aussi parce qu’on a bien le droit d’avoir envie d’œuvrer sur ce qui nous plaît plutôt que de suer à se faire suer ce qui nous fait suer. D’autant qu’il y a de la place pour tous et que les appétences des uns ne sont pas celles des autres!
Cultiver le plaisir au travail par les appétences ? Objection votre honneur !
Le management par les appétences, s’il semble une évidence en termes d’engagement, de performance et surtout de plaisir au travail, n’est probablement pas pour demain. Etant largement englué dans la « gestion des compétences », le management se défendra maladroitement en disant qu’il faut bien que les tâches soient faites et puis qu’est-ce qu’ on fait s’il y a des tâches que personne n’aime. A objecteur objecteur et demi :
Il faut bien que les tâches soient faites : absolument (en réalité, on a envie de dire “sans blague”) ! Mais les faire faire par ceux qui les aiment, c’est mieux que par ceux qui savent les faire mais détestent les faire.
Que faire s’il y a des tâches que personne n’aime faire : voilà comment les mous de la calcombe abandonnent sans réfléchir 😉 La réponse est simple : on met sa matière grise à contribution en commençant par une répartition par appétence, puis une répartition équilibrée et équitable du reste. C’est toujours mieux que rien d’une part, chacun a quand même une part d’appétences d’autre part.
Mais en attendant qu’il s’éveille à des alternatives plus alléchantes, vous et moi ne sommes pas obligés ni condamnés à rester coincés dans ces vision étriquées. Pour peu que nous en ayons envie, nous pouvons en profiter pour pratiquer un poil de job crafting, explorer la marge de manoeuvre dont nous disposons (plutôt que celle dont nous croyons disposer) ainsi que notre propre pouvoir d’agir.
- Le boulot idéal: une réalité à inventer?
- Job crafting: devenir l’artisan de son propre plaisir au travail
Cultiver son propre plaisir au travail : job crafting et appétences
Nous sommes bien plus qu’une série de mots clés correspondant à des compétences figées dans la naphtaline de nos profils. Nos goûts, nos envies, la forme singulière que prend notre désir de travail, nos désirs de travail, l’intérêt et le sens que nous mettons ou pas sur ce que nous savons faire évolue en permanence, aussi nous pouvons choisir de nous réinventer de temps à autres – voire sans cesse pour les plus goulus d’entre nous.
Il va donc être important de commencer par faire un point précis sur lesdites appétences, ce que nous aimons faire dans le cadre professionnel, y compris ce que nous aimerions faire mais avons trop peu l’occasion de faire ou manquons de compétences pour. Reste ensuite à transformer tout ça en actions à mener, à expérimenter et à évaluer régulièrement. Voir :
Voici quelques exemples de la façon dont vous pouvez utiliser ces appétences :
– Vous positionner sur des missions et dossiers qui vous intéressent, en faisant valoir l’enthousiasme qu’ils suscitent.
– Vous challenger sur des domaines nouveaux pour vous ou que vous maîtrisez moins, en faisant valoir que votre appétence est source de motivation et de développement des compétences
– Evaluer vos appétences régulièrement : lorsqu’on a fait le tour de certains types de tâches/missions, l’appétence peut diminuer et la routine l’anéantir. De même, d’autres désirs peuvent naître.
– Communiquer sur vos appétences : votre chef ne sait pas nécessairement ce que vous aimez, il sait ce que vous faites mal/correctement/bien.
– Faire des demandes précises sur des tâches que vous voudriez prendre en charge ou des formations que vous aimeriez suivre.
Et pour explorer davantage comment construire les fontaines de jouvence du plaisir au travail:
Management par les appétences
Beaucoup de mes clients sont managers et contrairement aux idées reçues, ce sont des gens fondamentalement sympas et soucieux du bien-être de leur collaborateurs, même s’ils sont parfois eux-mêmes débordés, pris entre le marteau et l’enclume et en conséquence maladroits. Dans le cadre de leur désir de retrouver du plaisir au travail ou d’une reconversion qui les mènera peut-être à gérer d’autres équipes, nous appliquons le management par appétences parce qu’il est essentiel qu’œuvrer à augmenter son propre plaisir au travail ait un impact positif sur tout l’écosystème. En effet, un sentiment de plaisir durable est lié à une contribution au bien commun et par opposition, l’individualisme mène à un
D’autre part, le management par les appétences est un moyen majeur de donner de cette reconnaissance essentielle au bien-être, de fidéliser des collaborateurs qui vont trouver davantage de sens à leur poste et se sentir écoutés, pris en compte.
Il est relativement simple de déléguer ou de répartir des tâches par appétence. Managers, vous pouvez par exemple rendre vos entretiens annuels utiles en questionnant vos collaborateurs sur les tâches qu’ils apprécient ou non, pour réfléchir ensuite à des répartitions justes, qui donnent un maximum de tâches agréables à chacun. Vous risquez d’avoir des surprises : les managers ont souvent tendance à juger l’intérêt des tâches en fonction de celui qu’ils leurs accordent. Lorsqu’ils découvrent ce que leurs collaborateurs aiment réellement
Management: Béatrice, Directrice des opérations dans l’industrie, a réorganisé tout son service suite à une évaluation des appétences de ses collaborateurs et toute l’équipe lui en a été reconnaissante, ils ont eu le sentiment d’être entendus. Ses collaborateurs managers ayant vu les bénéfices, sont venus lui demander comment mettre la même chose en place dans leurs équipes.
Management du point de vue du collaborateur: Philippe, technicien informatique commençait à tourner en rond dans son poste. Ajouté à cela un trajet domicile-travail très long, il songeait à quitter son entreprise. Son manager l’ayant questionné sur ce qui l’intéressait, l’a aidé à mettre des mots sur ce vers quoi il voulait évoluer sans le savoir: un poste de chef de projet. Il a bénéficié d’une formation et obtenu des objectifs qui vont en ce sens.
Délégation: Alain, à la tête d’une équipe d’une dizaine de commerciaux, se coltinait la majeure partie de l’administratif parce qu’il trouvait que c’était des tâches ingrates et qu’il ne voulait pas accabler ses collaborateurs. Une fois l’évaluation des appétences de chacun faite, il a découvert que deux d’entre eux en avaient un peu ras la casquette du terrain et qu’ils étaient ravis à l’idée de faire davantage d’admin. Une petite réorganisation plus tard, les trois ont largement gagné en satisfaction.
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Les talents naturels, passeport pour le plaisir au travail
Plaisir au travail: Réinventer son métier pour se libérer
Aller plus loin
Vous voulez explorer vos possibilités de regagner en plaisir au travail et d’exercer votre pouvoir d’agir que votre quotidien professionnel? Pensez au coaching. Pour tous renseignements, contactez Sylvaine Pascual
Article intéressant mais quelques coquilles dommageables
Je suis ravie qu’il vous ait intéressé:)
Quant aux coquilles, ça arrive en effet!
Article très intéressant. J’adore vous lire.
Merci, ça me fait très plaisir!