Ces temps-ci, on dirait bien que la reconversion est à la carrière ce que la Rolex est à la réussite : un incontournable signe extérieur de j’ai-tout-compris-à-la-vie. J’ai répondu aux questions de WTTJ sur le sujet, l’occasion de remettre la reconversion en perspective pour lui redonner sa vraie place: une possibilité, pas une obligation!
Tribulations pandémiques et désir de reconversion
2020 et ses tribulations pandémiques, en particulier confinées, ont sacrément bousculé nos vies professionnelles, et ont poussé beaucoup d’entre nous à questionner leur rapport au travail, la place qu’il tient dans leur vie. Ajouté à cela la multiplication des publications et témoignages de « reconversion réussie », le désir de reconversion semble exploser.
Ainsi, comme le rapporte le Journal du net et selon une étude Maformation.fr (septembre/octobre 2020), les recherches de formation dans ce but ont augmenté de 40% en 2020.
Je trouve réjouissant que le regard sur les bifurcations professionnelles en général et la reconversion en particulier ait suffisamment évolué pour qu’elles soient aujourd’hui de plus en plus considérées comme des options possibles. En cela, ce regard plus ouvert a permis a beaucoup de gens de s’autoriser à questionner leur propre orientation sous l’angle du désir et du plaisir de travailler, du sens qu’ils donnent à leur vie professionnelle et tant mieux, je le répète volontiers, celle-ci est bien trop longue pour s’emmerder au boulot.
D’autre part, explorer un désir de reconversion est un voyage fascinant et plein d’enseignements, à la rencontre de soi-même, fait d’expériences, de découverte, de créativité (y compris pour surmonter les éventuelles difficultés) et un grand pas vers l’acceptation de soi et le plaisir de travailler. De ce point de vue, tout ce qui concourt à encourager la réflexion est bon à prendre.
Cependant, si l’intérêt grandissant est formidable, la multiplication de publications glorifiant la reconversion l’a aussi, insidieusement, transformée en une nouvelle injonction, souvent associée à des discours un poil conte de fée, entretenant l’illusion d’un chemin tout tracé vers le bonheur professionnel, qui pourrait alors ressembler au pays où l’on arrive jamais. Car il n’y a pas que des désirs de reconversion qui mènent au changement de métier et que des itinéraires fluides, sans entrave et sans adversité. Or, à glorifier à tout va, on finit par créer une face cachée de la reconversion, pas si jolie et pas si rose, soigneusement remisée dans le carton des états d’esprits de frileux. Et le risque, c’est de pousser trop vite à sen lancer des gens qui, au fond, n’ont pas forcément besoin ou envie de changer de métier, ou pire: s’en vont gonfler les rangs des reconversions ratées car inadaptées aux personne qui les mènent.
J’ai répondu aux questions très pertinentes de Cécile Pichon pour Welcome to the Jungle sur ce sujet épineux de la reconversion-injonction vs désir réel dans cet article fouillé :
Car à l’évidence, avoir le sentiment qu’il faut se reconvertir pour traiter l’insatisfaction professionnelle, sous le poids d’une injonction, ça ne ressemble pas exactement à une bonne idée.
En complément, voici quelques liens pour approfondir les dimensions de la reconversion abordées dans l’article ainsi que les risques de la reconversion-injonction que j’ai déjà évoqués au fil de mes billets.
Les statistiques de la reconversion
La reconversion est de plus présentée comme la norme de demain, statistiques à la clé. Seulement prêtons attention aux statistiques, qui demandent à être lues avec un œil analytique pour éviter les généralisations et interprétations abusives qui en donnent une vision déformée, en particulier en raison de la difficulté à définir la reconversion. Et parfois, elles demandent à être lues tout court, pour éviter les clichés inventés de toutes pièces par les déformations d’observations, comme c’est le cas pour les « premiers de la classes », ces sur-diplômés censés se reconvertir à tour de bras dans l’artisanat, depuis que le livre de J.L. Cassely sur le sujet a été interprété de cette manière.
La question du sens
Elle n’a rien de nouveau, cependant 2020 a servi de caisse de résonnance et en a amplifié l’écho. Les générations précédentes qui s’en allaient élever des chèvres dans le Larzac, ouvrir des chambres d’hôtes, ou encore dans le cas de n’importe quel changement de métier dans l’optique du plaisir de travailler, chaque reconversion choisie contenait déjà des questions de sens. Ce qui est plus marqué à présent, c’est le lien entre sens de la vie professionnelle et sens de la vie tout court.
- Déterminer s’il est temps de changer de métier : la perte de sens
- Reconversion: changer de métier en temps de pandémie
Savoir s’orienter, compétence indispensable
L’accélération des évolutions du monde du travail et le déplacement de la gestion de la carrière de l’entreprise sur le salarié débouche sur une compétence essentielle à développer, la capacité à s’orienter professionnellement.
- Reconversion, slashing: 16 conseils pour développer la capacité à s’orienter professionnellement
- 6 conseils pour une navigation professionnelle sereine dans un monde agité
La glorification de la reconversion
Pour autant, faut-il glorifier la reconversion, en faire le Graal de la vie professionnelle? Evidemment non. De façon générale, la glorification génère des excès, des polarisations qui ne font avancer ni les gens, ni les réflexions, mais plutôt se transforment en impératifs et génèrent de la pression.
Elle serait aujourd’hui la solution à tous les maux de boulot et il y a un côté conte de fées dans la façon dont elle est présentée, jusqu’à entretenir une illusion du merveilleux qui pousse à des projets tronqués, insuffisamment réfléchis, qui augmentent les chances de se planter.
D’autre part, quand elle est simplifiée en « trouver sa vocation », elle ancre dans une vision étriquée et illusoire de métier idéal, qui va vous rendre heureux toute votre vie. Alors que le monde du travail évoluant tellement vite, plutôt que de trouver sa voie, mieux vaut apprendre à marcher.
Le rêve du métier qui rend heureux
Il n’y a pas de métier qui rend heureux par nature, et n’importe quel job que vous pourriez considérer comme merveilleusement porteur de sens peut le perdre dès lors qu’on l’exerce dans des conditions absurdes, délétères ou qui ne répondent pas à nos besoins. Demandez aux enseignants ou aux soignants !
Ce sont donc les conditions d’exercice et votre faculté à les adapter à vous-même qui vous permettra d’y trouver un plaisir durable, au sens de renouvelable. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est essentiel d’avoir une connaissance solide du métier qui vous intéresse (qui dépasse largement la simple enquête), pour éviter de l’idéaliser, ainsi que de vos besoins professionnels, pour préparer le job crafitng de votre votre vie professionnelle future. Or, ces besoins professionnels, vous ne les trouverez ni dans un Ikigai, ni dans un bilan de compétences, ils viennent au delà et demandent une bonne dose d’introspection, de connaissance et d’acceptation de soi, d’auto-objectivation et de réflexivité.
Quand le désir de reconversion cache un besoin de job crafting
L’engouement pour la reconversion a poussé beaucoup de gens à penser qu’elle est une solution à leur insatisfaction professionnelle. C’en est une en effet, mais pas pour tout le monde. D’ailleurs, la réelle augmentation qu’on remarque quand on accompagne la reconversion, c’est celle de ceux… qui ne changent pas de métier. Car au fond, ils l’aiment encore, mais pas dans les conditions dans lesquelles ils travaillent. Deux solutions s’offrent à eux:
– Une transition moins radicale comme un changement d’entreprise ou de secteur (et qui, sur le plan statistique, s’apparente à une reconversion)
– un job crafting soigné pour renouer avec le plaisir de travailler, le job crafting étant l’ensemble des modifications apportées par le salarié à son job, et qui apportent satisfaction et plaisir de travailler:
Distinguer réflexion et reconversion
Se dire et se penser « en reconversion » alors qu’on est en phase de réflexion sans avoir encore identifié un projet est source de pression, de décisions hâtives et de risque de plantage et exclue la possibilité de renoncer. Pour que le passage éventuel d’un désir de reconversion au job crafting puisse se faire en toute fluidité, il est essentiel de :
Distinguer la réflexion de la reconversion, parce la réflexion ne vous engage pas et qu’elle intègre la possibilité de renoncer, de changer d’avis ou de cap
- Reconversion: 4 moyens de limiter les risques de se planter
- Transition de carrière: la réflexion n’est pas une prise de risque!
- Renoncer à un désir de reconversion professionnelle
La troisième voie
Entre la méfiance excessive des années 2000/2010 et l’engouement actuel tout aussi excessif, je milite depuis longtemps pour une troisième voie, celle de la réflexion sereine, qui prend son temps et débouche sur des projets à la fois réjouissants, faisables et pertinents au regard de la situation de chacun. Celle-la permet d’éviter les effets délétères des injonctions inconscientes et d’aller vers ce dont on a réellement besoin.
- Reconversion professionnelle: nouveau regard ou troisième voie?
- Reconversion professionnelle: pourquoi le temps de réflexion est-il si long?
Et pour éviter les objections un poil trop épidermiques sur ce que constitue le temps de réflexion, celui-ci n’est pas hors-sol, uniquement préoccupé de voyage autour de son nombril, c’est une alternance d’introspection, d’analyse et de démarches concrètes qui débouchent sur un projet réfléchi:
Explorer, explorer!
Un dernier point: quand on commence à se dire qu’une reconversion est peut-être une bonne idée, il n’y a pas de question-miracle qui vous permettra de savoir si c’est un “désir profond” ou pas. Seule l’exploration de ce désir et de ce qu’il vient vous dire débouchera sur le pojet dont vous avez besoin: changement de métier, changement de boîte ou job crafting.
- Reconversion professionnelle: top 10 des questions inutiles
- 10 bonnes raisons d’explorer votre désir de reconversion professionnelle
Il me reste à vous souhaiter bon vent et bonne route et surtout, de trouver le projet qui vous conviendra le mieux!