J’ai été interviewée dans le cadre d’un article de Capital sur les turbulences de la reconversion, c’est donc l’occasion de revenir sur quelques difficultés fréquemment rencontrées, qu’on a peut-être tout avantage à ne pas considérer comme des « combats » à mener, mais plutôt comme des turbulences. Car celles-ci peuvent se franchir, se traverser se contourner sans pour autant devoir sortir l’avion de chasse.
Une alternative à la « bataille » de la reconversion
L’article parle de « livrer bataille », ce qu’on peut considérer comme un simple choix de vocabulaire sans conséquence. Seulement voilà, le lexique guerrier a envahi le monde du travail et ce n’est pas exactement anodin. C’est pourquoi je vous propose une alternative, plutôt que de considérer un changement de métier comme un combat. Car c’est avant tout un chemin long vers une identité professionnelle réinventée, un « voyage à Ithaque » comme dit le poète, un itinéraire hors sentiers battus, plein d’enseignements et d’apprentissages, où l’on part autant à la découverte de soi-même que de mondes professionnels dont, au début, on ignore beaucoup de choses. En cela, la reconversion peut aussi être jubilatoire et réjouissante !
A l’évidence, si elle est un long fleuve, elle est rarement tranquille et son lot de rapides, de cataractes et de bassins stagnants peuvent être éprouvants. Mais ce n’est pas parce qu’on va la considérer comme une série de combats à mener que nous serons plus combatifs, au contraire. C’est inscrire dans nos calebasses que c’est un chemin nécessairement difficile et douloureux, or l’anticipation de la douleur est souvent pire que la douleur elle-même. La sémantique guerrière, qui se veut souvent le reflet de la détermination, a le défaut de nous ancrer dans une vision picrocholine du monde, où l’on finit épuisé à force de croire qu’il faut se bagarrer contre tout, tout le monde, tout le temps, y compris contre soi-même.
A mes yeux, la reconversion est plutôt un immense terrain de je(u) à explorer jusque dans ses recoins et que ce dont nous avons le plus besoin, c’est de l’énergie et du dynamisme, qui pourront, éventuellement, être utiles si au détour du chemin on tombe sur une difficulté. D’autre part, cet itinéraire est aussi souvent ponctué de découvertes et de rencontres formidables qui enrichissent la vie, pas uniquement de trolls et de pisse-froid contre qui il faudrait guerroyer. Pour un voyage au long court, mieux vaut remplir son sac à dos de vitamines mentales que de hallebardes et de lance-roquettes.
Alors parlons effectivement de turbulences, inhérentes au voyage, contre lesquelles on ne risque pas de se battre, puisqu’il s’agit simplement de les traverser. Et pour ça, nul besoin d’avion de chasse, il suffit que vous soyez à l’aise au pilotage du biplan En voici quelques unes, parmi les plus fréquentes.
1- L’angoisse du chômage
Pour ceux qui sont concernés par une période de chômage lors de leur reconversion, celui-ci peut avoir des conséquences difficiles.
Pourtant, loin des clichés navrants sur le salarié fainéant qui donne un chômeur bienheureux de son absence de vie professionnelle, la plupart des gens qui perdent leur emploi ou négocient une rupture conventionnelle, soit parce qu’ils sont au bord du burnout, soit en raison de situation difficile, se retrouvent surtout face à l’angoisse du vide du chômage. Lieu de sociabilité, de contribution, d’apprentissage et source de rémunération, le travail répond à différentes sortes de besoins fondamentaux qui sont brutalement mis à mal lors d’une perte d’emploi.
Oubliez les conseils pleins de bonnes intentions qui vous enjoignent de vous lever et de vous préparer chaque matin comme si vous alliez au boulot. Vous savez très bien que c’est faux, aussi épargnons-nous les faux-semblants. Vous pouvez bien entendu prendre enfin un peu de temps pour vous, quelle que soit la manière dont vous occupez ce temps. Cependant, on constate souvent que les cadres craignent l’image de l’oisiveté et qu’ils ont besoin aussi d’autre chose. En revanche, profiter du temps retrouver pour se rendre utile à des choses qui nous tiennent à cœur peut être un moyen de maintenir l’image de soi et de l’énergie. Il peut alors s’agir d’engagement associatif ou dans des réseaux locaux ou professionnels, par exemple, ou encore de vous former à des choses qui vous intéressent.
2- Retrouver énergie et dynamisme
Que l’on soit encore en poste ou sans emploi, l’insatisfaction qui a fait pointer le désir de reconversion peut être grande consommatrice d’énergie, qui ne pourra donc pas être investie dans les démarches et explorations nécessaires à la reconversion, y compris les introspectives, que la fatigue n’encouragent pas particulièrement. Comme indiqué dans l’article, on peut opter pour des activités apaisantes comme la marche ou la méditation. On peut ajouter à cela bien des façons d’engranger les vitamines mentales qui renforcent la joie (de vivre) et nourrissent le dynamisme :
– Entretenir l’énergie tout au long de la reconversion
3- Épouvantails et casse-pieds
Un des grands classiques de la reconversion, ce sont les pisse-vinaigre grands connaisseurs auto-proclamés de la vie professionnelle et de la vie tout court qui viennent vous expliquer combien c’est une mauvaise idée. Juste derrière, les amis-qui-vous-veulent-du-bien, qui viennent vous dire comment vous y prendre, ou encore ce que vous devriez faire. Il arrive que l’entourage personnel ou professionnel démolissent un projet de reconversion à la masse d’arme de leurs convictions. Ne les laissez pas faire et décidez par vous-même du bien fondé de votre désir de changer de métier :
– Reconversion: 6 façons de ne laisser personne décider à votre place
Choisissez avec soin, à qui vous parlez de quoi et à quel moment, concernant votre reconversion, histoire de vous éviter les grands sachants sachant sacher ou les discours culpabilisants. Ainsi le père d’un de mes clients, qui avait plus de 40 ans, lui avait dit “Avec toutes les inquiétudes que tu m’as déjà causées [un accident qui a immobilisé le client en question quelques mois], tu ne vas quand même pas m’infliger celle-là en plus”.
Vous n’avez pas à « convaincre » votre entourage du bien-fondé d’une démarche de réflexion en vue d’une reconversion. Ou à « l’emmener avec vous ». Bien des gens ne comprennent pas qu’on puisse avoir envie de changer de métier, ils ont le droit de croire ce qu’ils veulent, mais leurs croyances ne vous concernent pas.
Lorsqu’il s’agit du(de la) conjoint(e), la question parait encore plus épineuse. On peut comprendre un/e partenaire qui émet des doutes sur la pertinence d’une reconversion qui viendrait bouleverser l’équilibre financier de la famille, ou l’autonomie financière du candidat à la reconversion. Il y a là une question à régler ensemble de façon à trouver des accords avec toutes les parties prenantes. Il s’agit alors d’en parler, y compris avec les enfants et la plupart du temps, comme je le dis dans l’article, c’est l’occasion de renforcer les liens familiaux, parce qu’enfants et conjoints sont le plus souvent un soutien formidable et prêts à renoncer à certaines dépenses pour vous voir heureux.
Là où ça devient beaucoup plus questionnant pour la relation, c’est lorsque le/la conjoint/e ne vous soutient pas du tout dans votre démarche, sans raison particulière, autre que ses propres croyances sur l’ineptie d’un changement de métier, ou le désir de conserver intact un train de vie qui exige que vous soyez malheureux/se dans votre vie professionnelle. Et là, c’est bien la relation qui est en question.
4- La confiance en soi
Le manque de confiance en soi peut représenter un frein de taille, en particulier dans la mesure où il peut déclencher des difficultés à prendre des décisions. Cependant, il y a assez peu de chances que sauter en parachute vous donne la confiance inespérée en votre capacité à changer de métier. Si c’est le cas, tant mieux, mais pour tous les autres, l’estime de soi et la confiance en soi se construisent pas à pas en relation avec l’acceptation de soi et souvent, par ailleurs, en lien avec la relation aux autres. C’est donc souvent dans l’ordinaire de nos qualités, de nos appétences, de nos penchants, bref, en nous-mêmes que nous pouvons trouver les leviers de notre confiance:
- Estime de soi: qualités, talents naturels, le beau est dans l’ordinaire
- Petite leçon équine au service de l’acceptation de soi
5- L’apprentissage de nouvelles compétences
Dans le cadre d’un désir de reconversion, laisser de côté des compétences pour lesquelles on n’a pas ou plus d’appétence n’est pas si souvent aussi émotionnellement compliqué que décrit dans le billet. Avoir du mal à renoncer à des compétences dans lesquelles on a beaucoup investi est peut-être d’ailleurs le signe qu’on a encore du goût pour elles et qu’il y a d’autres pistes à explorer qu’une reconversion à 180°. Dans le cas des reconversion « précoces », ce n’est pas tant les compétences en elles-mêmes auxquelles les jeunes ont du mal à renoncer, que le poids moral de l’investissement parental dans leurs études qui génère un sentiment de culpabilité, parfois même lorsque la famille serait prête à encourager la reconversion. Voir ci-dessus.
C’est le plus souvent l’acquisition de nouvelles compétences et de se sentir débutant qui génère craintes et doutes, voire un sentiment d’imposture. Il y a d’ailleurs une croyance répandue sur le fait « qu’avec l’âge », on apprend moins facilement, mais c’est surtout la distance avec l’époque des études qui crée la confusion, car avec le temps, on apprend simplement différemment :
6- La question de l’identité et du statut
Peu abordée, la bifurcation professionnelle suppose cependant le passage d’une identité professionnelle à une autre. Les questions de changement de statut et d’identité professionnelle peuvent être source de beaucoup de questionnements, voire de difficultés. Ainsi dans l’article, je donne l’exemple de cette ancienne cadre devenue artisan, qui s’est retrouvée confrontée aux jugements pas toujours valorisants de son cercle d’amis vis-à-vis des métiers dits manuels. Ce qui l’avait confrontée à une situation qu’elle n’avait pas anticipée : la perte du statut.
Inversement, on constate que lorsque les candidats à la reconversion sont en harmonie avec leur nouvelle identité professionnelle, l’entourage personnel et professionnel accepte et adhère bien plus facilement. L’identité professionnelle, qui est multidimensionnelle et inclue sa propre définition de la réussite d’une vie (au sens large, le projet professionnel n’en étant qu’une partie) est donc un point essentiel de la reconversion. Nous aurons l’occasion d’y revenir et en attendant, voici deux pistes de réflexion
- Quelles forces vous habitent ? L’identité professionnelle selon Star Wars
- L’identité professionnelle : une histoire de soi
7- Les périodes de doute
Parce qu’on n’a pas d’idées, qu’on tourne en rond, qu’on ne sait pas par quel bout prendre l’affaire, parce qu’on a des craintes ou bien parce que le projet patine, qu’il n’avance pas, que les formations paraissent longues, parce qu’on se demande si c’est le bon choix, comment on va pouvoir budgéter la période de formation, les occasions de douter sont multiples en reconversion. Le doute peut apparaître à n’importe quel moment et venir grignoter la belle détermination des débuts, jusqu’à déclencher une procrastination tenace.
Rappelons-nous que c’est bien normal d’avoir des doutes d’une part et que d’autre part, ceux-ci sont souvent le reflet de points à traiter, qui peuvent être de natures variables : des informations à aller chercher, des pistes de réflexion encore inabordées qui peuvent concerner n’importe quelle dimension de la démarche de reconversion.
Comme avec les émotions, mieux vaut accueillir le doute et observer ce qui le déclenche.
- 8 étapes pour gérer les périodes de doute
- Reconversion professionnelle: solitude et procrastination
- Reconversion: quand la procrastination révèle des besoins négligés
8- Le changement de train de vie
Frein majeur pour beaucoup et point central lors d’un projet de reconversion, la question financière n’est pas à négliger : il est essentiel de pouvoir vivre comme on le désire d’une vie professionnelle. Ce qui bien entendu ne signifie pas espérer un salaire de footballeur au PSG, mais plutôt trouver l’équilibre entre train de vie et revenus possibles. Ce qui élimine d’emblée certains pistes, selon les besoins de chacun. On ne peut probablement pas espérer gagner un salaire mensuel à 5 chiffres en faisant des massages chez des particuliers, mais changer de métier ne signifie pas non plus opter forcément pour un job peu rémunérateur. Une croyance étonnamment répandue est en effet celle qu’un métier dans lequel on prend du plaisir ne paye pas, ce qui est faux, même si de nombreuses reconversion se traduisent par une baisse de revenus, du moins au début.
9- La peur de l’échec
Bien qu’elle ne soit pas évoquée dans l’article, la peur de se tromper, de se planter peut être paralysante dans un itinéraire de reconversion, parfois jusqu’à générer une procrastination dans les démarches et explorations qui préserve du risque.
A l’évidence, il est impossible de supprimer toute part de risque dans un changement de métier. Cependant, 3 points peuvent aider à dépasser cette inquiétude :
- Une reconversion ne commence pas lors de la phase de réflexion, mais bien quand on se lance dedans. Tout ce qui vient en amont, c’est l’élaboration d’un projet professionnel.
- On peut renoncer à tout moment dès lors qu’on a trouvé écueil majeur qui démontre la non pertinence du projet d’une part, et opter alors pour un autre projet, peut-être moins radical, comme un changement de poste, d’entreprise, ou un job crafting soigné. Bref : avoir un plan B, qui permet de retomber sur ses pieds en cas de renoncement.
- La peur est bénéfique : elle vous indique des points à traiter, des informations à trouver et vous pouvez la transformer en moteur rassurant de l’élaboration de votre projet.
10 – Les écueils relationnels
Qu’il s’agisse de relations familiales, de gérer les casse-pieds ou de convaincre ou s’entendre avec les éventuels partenaires, associés, recruteurs, clients, bref, tout le champ des interlocuteurs professionnels, ou de se positionner et s’affirmer dans son futur métier, la relation est au cœur de la reconversion. Le manque de confiance en soi, le sentiment d’imposture, ou les incompréhensions mutuelles peuvent générer toutes sortes de difficultés relationnelles qui peuvent entraver la reconversion et déclencher des craintes. C’est la raison pour laquelle je propose à tous les clients en reconversion de renforcer et développer l’élégance relationnelle : elle me paraît centrale à tout projet de changer de vie professionnelle.
Bonus
Allez, un bonus pour la route, histoire de vous souhaiter un itinéraire de reconversion joyeux et enthousiasmant: il nécessite un état d’esprit qui s’inscrit dans la façon de l’aborder, qui alterne réflexion et démarches
Bon voyage!
Aller plus loin
Vous voulez élaborer un projet de bifurcation professionnelle en accord avec vos besoins, désirs et appétences? Ithaque vous propose son accompagnement unique et sur mesure Heureux qui comme Ulysse. Pour tout renseignement, contactez Sylvaine Pascual.
Un changement de travail est également un défi à relever pour retrouver un équilibre. Comme tout changement, cela peut s’avérer destabilisant, notamment au début. Une reconversion nous incite à développer de nouveaux compétences.
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