En farfouillant dans les archives de mon site, je suis tombée sur un vieux billet sur cette question en apparence un peu facile: Si vous n’aviez plus jamais à travailler pour de l’argent, que feriez-vous? Mais la question du sens étant venue sur le devant de la scène depuis quelques années, peut-être que ça vaut le coup de se la poser… de temps à autres.
Une question d’époque
Bon, d’accord, il n’y a pas là de quoi empêcher de dormir le fils naturel d’un académicien(ne) et d’un(e) philosophe. Mais la question m’a paru intéressante au regard du monde du travail d’aujourd’hui et j’ai eu envie de l’aborder à nouveau, aussi en voici une mise à jour qui mélange quelques éléments de réflexion que je vous avais proposés à l’époque, auxquels j’ai ajouté quelques considérations d’aujourd’hui.
Questionner la relation au travail
Cette question, à l’époque, résonnait comme une projection imaginaire un peu facile, un poil téléphoné, un peu tarte à la crème, l’ikigaï des années 2000, en quelque sorte. Elle visait surtout à réfléchir à ce que nous aimions, qui avait du sens pour nous et permettait de questionner notre relation au travail.
Mais elle est intéressante aujourd’hui, parce qu’elle a pris une dimension supplémentaire, liée à l’évolution du monde du travail ces dernières années. La quête de sens s’est installée sous les feux de la rampe professionnelle, d’ailleurs pas particulièrement – et contrairement à beaucoup de préjugés – pour les jeunes générations, comme une question centrale de la relation au travail. C’est entre autres du à la surcharge de travail qui a remplacé le statut, à l’explosion des burnout, au management biohasardeux, qui ont fait naître de plus en plus d’envie de mieux articuler nos temps de vie, de travailler moins, de contribuer à des choses utiles. Et puis d’autre part la question du revenu universel, les voix plus nombreuses qui parlent de vivre sans travailler*, ou qui parlent de reconversion vers des métiers porteurs de sens et/ou générateurs et plaisir, tous ces éléments viennent questionner la relation que nous entretenons au travail et bousculer la notion de réussite, comme on le voit dans cet article:
Et ouvrir la porte à des visions tout autres qui peuvent autoriser les bifurcations vers des vies professionnelles plus réjouissantes:
Enfin, la robotisation qui est venue souffler à nos oreilles que, peut-être, Schumpeter est bien mort, que cette 4e révolution industrielle ne va pas créer autant de jobs qu’elle va en anéantir et que ce qui peut sauver notre employabilité est l’hybridation de nos métiers, faute de quoi nous allons devenir professionnellement obsolètes à grande vitesse et à échéance courte.
C’est d’ailleurs une question qui avait été posée lors de cette soirée à l’Agora des dirigeants (voir ci-dessus): comment occuper notre temps si nous sommes amenés à ne plus travailler? Avec du coup cet angle de vue qui a changé: comment donner du sens à une vie passée sans boulot? Nous voici donc tiraillés entre deux aspects du travail, ses bénéfices et ses limites. Car comme le dit cet article publié sur Cairn info:
“Le travail ne constitue pas l’essence de l’homme même s’il est devenu dans les temps modernes le plus important de ses attributs ou au moins un de ses attributs essentiels.”
Conserver les bénéfices du travail
Haaaaaaa! Tirer sa révérence professionnelle avec une élégance digne d’une pub pour le loto; ne plus s’entasser, en bonnes fourmis laborieuses, dans les transports en commun ou les embouteillages; ne plus avoir à se lever autrement que quand on veut, ne plus avoir à supporter patrons acariâtres et collègues grincheux…
Bref, on a tôt fait de s’imaginer l’oisiveté libératrice, la douce paresse d’Alexandre le bienheureux, le corps alangui et l’esprit libéré sur fond d’horizon turquoise, les pieds dans le bleu des mers du sud… la dolce vita ad vitam… ad nauseam?
Car imagine-t-on vraiment qu’une vie sans travailler serait nécessairement oisive ? Ne serait-elle pas alors tout aussi creuse et dénuée de sens? Pour ma part, je fais partie des veinards malchanceux (j’ai décidé de manier l’oxymore) qui ont eu l’occasion involontaire et accidentelle de goûter à cette situation: ne pas travailler pendant un laps de temps substantiel (2 ans dans mon cas) sans souci financier extrême, même s’il a fallu se serrer la ceinture. D’accord, c’était pour des raisons médicales, mais c’est arrivé tout de même. Veinards parce que ça peut avoir des conséquences aussi inattendues qu’interessantes. Malheureux parce que passer du temps sans bosser n’est pas toujours confortable. Voici donc quelques évidences peut-être, mais qu’il fait bon de rappeler, histoire d’éviter que votre conte de fée de gagnant du gros lot vire à l’aller simple vers pire qu’avant.
Car disons-le, le travail présente un certain nombre d’avantages qu’il vaut probablement mieux conserver:
Le boulot, ça occupe
En voilà, une révélation, que dis-je, une épiphanie intergalactique.
Les cadres travaillent en moyenne 1814 heures annuelles soit 43,2 heures hebdomadaires (DARES 2017). Ca fait beaucoup de temps devant nous, tout d’un coup, dès lors qu’on ne travaille plus: le désœuvrement et l’ennui peuvent très vite gagner même les plus indolents. Qui ne connait pas quelqu’un qui, faute d’avoir suffisamment réfléchi à sa retraite, a souffert de son oisiveté soudaine?
Le boulot, ça fournit des interactions sociales sur un plateau
N’oublions pas que pendant la journée, la plupart des gens bossent, et que celui qui ne travaille pas peut rapidement se sentir isolé, voire très seul.
Le boulot, ça donne un statut social
Dans le regard de l’autre, mi-envieux mi-méprisant, celui qui ne travaille pas est rapidement dépourvu de statut, voire d’utilité sociale: il n’y a qu’à demander aux mères au foyer ou aux chômeurs comment ils vivent le regard des autres pour s’en convaincre.
Le boulot, ça donne du sens
Pour peu qu’on oeuvre dans quelque chose qui nous paraît utile et qui nous est agréable, bosser permet de contribuer à plus grand que nous, à autre chose que le périmètre limité de notre bien-être, le travail donne du sens à la vie (et pas seulement professionnelle)
Le boulot, ça peut être sympa et stimulant
Je suis passée d’une vie professionnelle monotone et peu stimulante à une carrière que j’aime et dans laquelle mes neurones se font incroyablement plaisir, à tricoter, maille à l’envers, maille à l’endroit des accompagnements utiles à mes clients, qui me nourrissent, grâce auxquels j’apprends énormément de choses et je découvre des tas de gens passionnants. Oui, bosser peut être une activité sympa et intéressante qui vous met des étoiles plein les lampions. Ce qui, quand on a la comprenette qui turbine en haut fourneau, peut être assez important.
Comment conserver ces avantages?
>Bref, au delà de l’importance de jouer au loto ou d’hériter de sa grande-tante, pour que le rêve prenne tournure, il s’agit bien de réfléchir aux activités qui rempliraient nos journées, quelle que soit leur nature, pour leur donner du sens et rester stimulés juste comme nous avons envie de l’être. Voici quelques questions à vous poser:
Comment occuperiez-vous tout ce temps?
Si vous faites la liste de toutes ces choses que vous aimeriez faire, suffisent-elles à remplir ces 1814 heures?
Comment?
Quels sont vos besoins relationnels et vos besoins d’oursitude? vous avez besoin chaque jour (quantité, qualité)?
Comment feriez-vous pour développer des contacts suffisants?
Comment vous positionneriez-vous socialement?
Une opportunité de donner du sens à sa vie…
Personnellement, je n’en ai fait que partiellement l’expérience, puisque ces deux ans passés sans travailler on d’abord été très occupés par un an en centre de rééducation, et sans pouvoir faire ce que je voulais, étant immobilisée par une jambe en petits morceaux.
Cependant, j’en ai profité pour ré-évaluer ma vie, donner du sens à ma vie professionnelle en entamant une reconversion vers un métier qui me passionne et quitter un emploi alimentaire que je trouvais passablement ennuyeux.
Mais en dehors de cela, je me rend compte en mettant à jour ce billet combien nos désirs et nos aspirations peuvent changer en 10 ans au gré de tout un tas de choses: la vie de chacun, ses expériences, le monde qui nous entoure et ses évolutions. Ainsi il y a plus de 10 ans, je disais:
– M’investir dans des associations pour mettre mon savoir faire à la disposition de ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir mes services.
… Aujourd’hui
C’est finalement le “aujourd’hui” qui comptait le plus, soulignant sans le savoir l’impermanence de nos aspirations, de nos désirs et par là même l’intérêt d’y revenir de temps à autres pour voir comment nos sources de motivations ont évolué et ce qu’elles sont… aujourd’hui. Car lesdites aspirations ne séjournent pas dans un congélateur à désirs, elles ne sont pas figées, elles évoluent et se transforment au gré du temps, des événements et de bien d’autres choses encore.
Et les miennes ont bien changé. Outre le fait que mes jambes abîmées ne pourraient plus m’emmener sur ces sentiers où j’espérais encore pouvoir revenir à l’époque, la planète brûle et la seule chose qui ait du sens à mes yeux à présent est de participer de mon mieux à préserver ce qui peut encore l’être et à se préparer à un avenir incertain. Les jardins de mon village finissent vendus à des promoteurs et bientôt plus personne ne saura utiliser le système d’irrigation. Alors les chemins muletiers, les jardins Catalans sont descendus dans la hiérarchie de mes priorités. Tout cela a perdu de sons sens à mes yeux et plutôt que de leur dédier une oraison funèbre pour envie défunte, autant regarder avec curiosité de quel bois sont faites celles du présent: si je n’avais plus à travailler, je consacrerai beaucoup de temps à œuvrer en faveur de la biodiversité.
Et c’est d’ailleurs de que je vais faire. Me voilà sortant du fantasme avec un projet de vie en cours qui me permettra de m’installer au vert et de contribuer, dans la mesure de mes moyens, à préserver un peu de biodiversité. Mais sans m’arrêter de travailler, parce qu’indépendamment de tout autre considération, le contact avec mes clients, j’aime ça!
Il y a certainement à retenir de cette affaire que nos rêves et nos désirs sont aussi traversés de cette impermanence qui régit beaucoup de choses et que ça vaut le coup de ne pas les graver dans le marbre. Mais ça ne signifie pas non plus y renoncée d’emblée, histoire de ne pas s’emmêler les crayons à force de faire un pas à gauche, un pas à droite. Ca implique de se donner à soi-même un permis de changer d’avis et de les revisiter de temps à autres pour voir si elles sont toujours d’actualité, si une autre orientation se dessine et ce que ça nous dit sur la direction que nous voulons donner à notre vie.
Et vous, si vous n’aviez plus jamais à travailler pour de l’argent, que feriez-vous?
Comment vos propres aspirations ont-elles évolué?
Que disent-elles de vous, de la personne que vous êtes aujourd’hui?
Et si, parmi vos aspirations, certaines vous donnent envie de faire un peu de place dans votre vie pour leur donner du corps, c’est peut-être l’occasion de pratiquer un peu de job crafting, de gagner en efficacité pour travailler moins et dégager du temps pour elles. Dans ce cas, contactez moi;)
* Peut-on être heureux sans travailler? – Libération
Ils ont choisi de ne plus travailler – Psychologies
Frugalisme : et si on arrêtait de travailler à 40 ans – Mode(s) d’emploi
Voir aussi
(Re)donner su sens à sa vie professionnelle
(re)Trouver du sens à nos métiers
Déterminer s’il est temps de changer de métier (5): la perte de sens
Déterminer s’il est temps de changer de métier (2): l’ennui
Quel travail voulez-vous?
Travailler moins travailler mieux : il y a une vie après le boulot !
Ce que je fais en ce moment… Mais en mieux ; c’est à dire que je m’attellerais à bosser sur des textes.
si je ne travaillais pas, je ferais ce que je faisais déjà quand je cherchais du travail : dessiner plus, m’investir dans des asso qui me tiennent à c?ur, faire plus de musique et essayé d’apprendre le japonais, bricoler et redécorer notre appartement
c’est pour ça, qu’à la retraite,certains s’ennuient.. ils ont coupé le lien avec l’activité.. pour ça que je suis pas pressée de m’y retrouver !
bizou la miss
j’ai choisi mon travail par amour.. mais aujourd’hui, j’aimerais ne plus rien faire.. rien du tout.. rester chez moi.. le monde médico.. social m’a trop déçu et non la population que nous devons aider..
clem
mais je ne rêve que de ça!!! Avoir le temps de dessiner et non pas de devoir attendre bêtement le soir des heures indues, fatigué de la journée en plus!
Bon, j’en rajoute un peu sauf pour le rêve …quoique mes journées actuelles soient bien fatigantes aussi .. je monterais en plus ma petite affaire rien que pour l’aventure (déjà en cours d’ailleurs..)
Lire et faire du sport, tout ce que je n’ai jamais le temps de faire.
Pour la compagnie, c’est vrai qu’on ne pense pas à l’isolement quand on s’imagine gagnant au loto. Je vais y réfléchir et me mettre à jouer au loto!
Je m’investirais dans deux associations qui me tiennent à coeur: Amnesty Internationnal et Perce-neige.
Et puis je m’occuperais un peu de moi: hammam et shopping!
Si je n’avais plus besoin de travailler pour vivre, je partagerai mon temps entre des activités égoïstement pour moi et des activités tournées vers les autres: je prendrais le temps d’écrire tous les romans que j’ai en tête et qui restent actuellement à l’état d’embryons, et je me lancerais dans des activités d’alphabétisation pour les étrangers immigrants, ou l’animation d’ateliers de lecture/écriture en prison. Tout ça parce que je crois à la force des mots !
L’écriture est une activité très solitaire, qui ne suffirait pas du tout à emplir le besoin de contacts sociaux. Mais je pense que les activités sociales que j’envisage suffiraient à les combler.
Valérie
Si je devais travailler uniquement pour mon plaisir (l’opposé d’un emploi alimentaire, pour moi), je m’assurerais en plus de ne pas avoir à le faire sous la férule de qui que ce soit. J’en profiterais poour satisfaire mon envie de liberté en mettant mes compétences de façon bénévole au service de grandes (j’assume mon besoin de reconnaissance) causes. Mais avant d’en arriver là:
– je visiterais tous les pays que j’ai toujours rêvés de voir
– je prendrais enfin le temps de passer mon permis (à 33 ans et +)
– je ferais ce qu’il faudrait pour devenir professeure de danses afro-latines
– je retournerais, une fois de plus, pour prendre tous les cours que je voudrais mais sans la pression de devoir obtenir un diplôme en bout de ligne ou un A+
– je me remettrais à l’allemand et débuterais l’espagnol
Avec tout ceci, je me demande comment est-ce que je pourrais me sentir oisive? De toute façon, en général, ce sont mes problèmes d’argent qui occupent le gros de mes journées. Alors, le jour où ils disparaissent, je peux enfin arrêter de survivre pour enfin vivre
très bel article.
merci ithaque coaching pour ces conseils en strategie de vie
mikael
Merci:)